Pierre-Henri Thomas
Dépoussiérer les banques, oui, les déstabiliser, non
Même si les élections approchent à grands pas, Vincent Van Peteghem ne devrait pas jouer avec le feu et réémettre un nouveau bon à précompte réduit.
L’avis qu’a remis voici quelques jours l’Autorité belge de la concurrence (ABC) au ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne est un document peu banal. Ce n’est pas tous les jours que le gendarme de la concurrence se penche sur un secteur aussi sensible que celui des banques. Et les conclusions de l’avis devraient faire bouger quelques lignes.
L’ABC l’écrit noir sur blanc, « le marché de la banque de détail en Belgique (…) présente les caractéristiques d’un oligopole dominé par quatre grands acteurs ». L’ABC constate « que les quatre grandes banques ont tendance à rouler en peloton et à offrir aux consommateurs des produits à des conditions commerciales substantiellement similaires ». Bon, on se doutait que notre paysage bancaire ne se caractérisait pas par une concurrence exacerbée. Mais quand c’est le gendarme qui le dit, cela a du poids.
Et cela pèse d’autant plus dans la conjoncture actuelle. Car lorsque les taux montent, l’emprise de l’oligopole est plus forte encore. Le Financial Times notait voici quelques jours que les quatre grandes banques américaines accaparaient une part croissante des bénéfices du secteur bancaire du pays. Les grands joueurs n’ont pas, pour diverses raisons (avantages technologiques, réputation de sûreté en fonction justement de leur taille, etc.), à rémunérer autant les déposants pour les garder chez eux. La situation américaine nous rappelle évidemment quelque chose.
II n’y a pas de mystère : si l’on veut rémunérer davantage une grande partie de l’épargne, il faut raviver la concurrence. Et pour raviver la concurrence, il faut bâtir un marché transparent où la comparaison est aisée. Pour cela, l’ABC recommande entre autres d’en finir avec ce système béotien et illisible de taux de base et de prime de fidélité, d’instaurer une portabilité du numéro IBAN pour permettre de changer de banque facilement et plaide pour élargir à tous les produits d’épargne l’avantage fiscal du livret.
Une clarification du paysage serait une bonne chose pour tous.
On entend les dents des banquiers grincer, mais une clarification du paysage concurrentiel serait une bonne chose pour tous. Elle inciterait en effet les institutions financières à se concentrer sur l’amélioration des services rendus à leur clientèle. Dans un monde en grande mutation où une société de payement comme Adyen vaut en Bourse 30 milliards d’euros, soit 50% de plus que KBC, les banques doivent innover pour rester dans le marché. Et elles en ont la possibilité : les institutions du pays ont parmi les meilleures applications au monde, ont de faible taux de défaillance et présentent les fonds propres les plus solides.
Toutefois, secouer pour dépoussiérer ne signifie pas déstabiliser. Autant une réforme visant à augmenter la concurrence et la transparence est souhaitable, autant l’intrusion répétée de l’Etat dans le marché de l’épargne avec des bons favorisés fiscalement est délétère. Nous avions dit, lors du premier bon Van Peteghem en septembre, qu’il était de bonne guerre de brandir un instrument extraordinaire pour réveiller un marché endormi. Mais nous avions ajouté que cette mesure devrait être exceptionnelle.
Si l’épargnant constate que l’Etat va désormais émettre régulièrement un instrument fiscalement favorisé, il va délaisser les dépôts bancaires. Cela fera mal à toutes les banques, grandes et petites, et indirectement aussi à l’économie, dont le financement repose en très grande partie sur le système bancaire. Vincent Van Peteghem a eu son bon d’Etat, il est remonté dans les sondages. C’est bien pour lui. Mais même si les élections approchent à grands pas, il ne devrait pas jouer avec le feu et réémettre un nouveau bon à précompte réduit.
Lire aussi | Le succès retentissant du bon d’Etat fait mal à KBC
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici