Carte blanche
Comment les skieurs s’adaptent au manque de neige
Peu de neige cet hiver, la moitié des pistes fermées à Noël et un enneigement parfois localement médiocre pour les vacances de février. L’industrie du ski est une activité touristique affectée de plein fouet par le réchauffement climatique. Comment les skieurs répondent-ils à cette situation? S’élèvent-ils vers les domaines alpins de haute altitude ou s’envolent-ils pour le soleil des Canaries? Comment s’adapter à un avenir encore et toujours moins blanc?
Un article de François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris – Publié sur
“Skiez 365 jours par an”. Ce slogan publicitaire des années 1980 de Tignes, une station alpine bâtie ex nihilo, témoigne d’une époque révolue : le développement des sports d’hiver et la croyance en une neige éternelle. Les glaciers fondent et le manteau neigeux rétrécit. Les remontées mécaniques pour le ski estival ne tournent plus en France que quelques semaines par an. Les domaines s’ouvrent aussi plus tardivement pour le ski d’hiver.
L’an dernier, la célèbre station savoyarde du massif de la Vanoise avait fermé ses remontées le 1er juillet après 10 jours seulement d’exploitation et décalé l’ouverture de son domaine, pourtant de haute altitude, après La Toussaint. Cette commune compte désormais 30 000 lits – l’échelle qui a remplacé le décompte du nombre d’habitants des stations – et près de 500 enneigeurs – la dénomination qui s’est substituée à celle, moins gracieuse, de canon à neige.
Comparaisons difficiles
Au cours des 50 dernières années, la durée d’enneigement dans les Alpes a reculé d’environ un mois et la moyenne des hauteurs de neige a diminué de plusieurs centimètres par décennie.
Cette phrase résume à grands coups de carres les résultats d’une recherche internationale d’envergure. Cette étude a porté sur des données recueillies entre 1971 et 2019 dans plus de 2 000 stations météorologiques des Alpes européennes. Elle utilise de nombreuses définitions et mobilise toute une série d’hypothèses et modèles qui, comme pour tout travail scientifique, présentent des limites et se prêtent à discussion.
Par exemple, la présence d’un seul centimètre d’épaisseur de neige suffit pour définir une journée d’enneigement, un seuil qui ne satisfera évidemment pas un skieur. Par ailleurs, les tendances estimées ne sont souvent pas statistiquement significatives, car la variabilité interannuelle des conditions d’enneigement en montagne est extrêmement forte alors que la période d’observation, quelques dizaines d’années, n’est pas si longue.
Le recul historique des flocons est également bien établi par des études de portée nationale, que ce soit pour les Alpes françaises, helvétiques ou autrichiennes. Notez que la réduction de l’enneigement en épaisseur et en durée est plus ou moins marquée selon les situations locales, en particulier l’altitude, la latitude, ainsi que l’exposition et l’inclinaison des versants.
Difficile du coup aux skieurs de comparer la fiabilité de l’enneigement entre les stations pour choisir son domaine. L’altitude moyenne du domaine n’est qu’une très grossière approximation et connaître avec précision l’intervalle entre le point bas et le point haut de la station n’apporte guère plus d’éléments pertinents de décision.
Rien de surprenant à cette évolution retracée par les travaux précédents : dès lors que la montagne se réchauffe, un peu plus d’ailleurs que la plaine, il s’ensuit qu’il pleut plus qu’il ne tombe de flocons, que la neige chute en moindre quantité, fond plus vite, arrive plus tard en début de saison et repart plus tôt en fin de saison. Adieu flocons d’antan.
Parkings saturés
Dans l’adaptation de l’industrie du ski au recul de l’enneigement, la partie est inégale entre l’offre et la demande, c’est-à-dire entre les stations et les skieurs. D’un côté, des équipements et des hommes spécialisés, ancrés dans un territoire, peu mobiles ; d’un autre, des touristes et vacanciers, soient des consommateurs labiles et qui se déplacent vite et facilement.
Sur le papier, les consommateurs de neige sont placés devant trois options : skier ailleurs, skier à d’autres périodes, ou choisir d’autres loisirs.
La première, contrairement aux deux autres, n’entraîne pas forcément une baisse de fréquentation et du nombre de jours-skieur en montagne (c’est-à-dire d’utilisateurs payant des remontées mécaniques par journée). En revanche, elle redistribue les cartes en faveur des stations qui bénéficient d’une plus grande fiabilité d’enneigement. Soit, à très grands traits, les stations de haute altitude. Tignes et Val Thorens plutôt que qu’Abriès ou Chamrousse, sans parler des stations du Jura, des Pyrénées, des Vosges et du Massif central.
Quelle déception en effet de trouver des télésièges et télécabines sans vie après avoir programmé à l’avance son séjour de ski. Adapter son calendrier de skieur à celui d’un enneigement plus fiable, par exemple partir en vacances de neige en février et non plus à Noël ou à Pâques, réduit la durée de fréquentation des stations et, vous l’avez peut-être remarqué avec une pointe d’agacement voire plus, allonge les queues en bas des remontées mécaniques et à l’entrée des selfs et restaurants d’altitude. Sans parler de la saturation des parkings…
Cet encombrement peut finir par refroidir les ardeurs des skieurs et en décourager plus d’un. Faute d’assurance d’avoir de la neige et à cause de la congestion, les destinations touristiques hivernales garantissant soleil, chaleur et sable fin gagnent en attractivité. D’autant que les plages exotiques sont alors moins bondées qu’en été.
Peu d’études cherchent à cerner le comportement des skieurs. Un paradoxe car la demande pour les sports d’hiver décroît dans les pays occidentaux, ce qui devrait inciter à en mieux comprendre les ressorts.
Rappelons en effet que le ski est un marché mature. Mesurée en nombre de jours-skieur, la demande mondiale fluctue depuis le début du siècle autour de 350-380 millions par an. Elle est en légère baisse depuis 2009-2010 dans les Alpes qui concentrent environ 40 % des jours-skieurs de toutes les pistes de la planète.
Une tendance à la baisse qui sortirait renforcée en incluant l’hiver de la pandémie. Rappelez-vous ces images de stations fantômes pour cause de fermeture des remontées et des limites drastiques imposées alors au déplacement. Avec cette précision administrative toute française qu’en montagne le rayon de promenade autour du domicile correspondait à 100 mètres de dénivelé et non, comme ailleurs dans l’Hexagone, à la distance parcourable.
Attention, n’imputez pas en totalité au manque de neige l’essoufflement de la demande pour les sports d’hiver, et donc la pure manifestation d’une adaptation parfaite des skieurs au réchauffement climatique. La démographie en est peut-être aujourd’hui encore la première cause et puis d’autres paramètres jouent également. Le vieillissement de la population réduit la clientèle de ski alpin et n’est pas compensé par l’arrivée en nombre suffisant de nouveaux pratiquants.
Chutes et collisions
Il est vrai qu’il s’agit d’un loisir dont l’apprentissage n’est pas instantané – maîtriser son allure et dessiner de beaux virages réclament du temps. Ni un loisir forcément plaisant : onglées, mal aux pieds, lunettes pleines de buée, chutes, collisions, etc. Pour certains, une fois passée la corvée de retirer ses chaussures à crochets, le retour à l’appartement est vécu comme le meilleur moment de la journée. Surtout devant un chocolat chaud et une tarte aux myrtilles !
De plus, en France comme en Suisse et en Autriche, les classes de neige initiant les écoliers des métropoles se raréfient. Enfin, le ski reste un loisir très cher. Il est réservé à une petite partie de la population. Par rétrécissement successif : celle qui part en vacances, moins nombreuse encore celle qui part en vacances d’hiver, et encore un peu moins nombreuse toujours celle qui choisit alors de se rendre à la montagne.
La clientèle des stations de ski présente un profil bien connu : revenu plutôt élevé, niveau d’études au-dessus de la moyenne, urbain le plus souvent du centre de grandes villes ; des caractéristiques qui se recoupent mais avec une nette différenciation géographique : les CSP+ de Brest s’adonnent moins aux sports d’hiver que ceux de Grenoble.
Selon les très rares et trop anciennes études disponibles, les skieurs interrogés sur leur adaptation au recul de la neige privillégiraient la montée en station d’altitude et le glissement des dates de séjour aux semaines les plus propices plutôt que le changement de destination vers le soleil ou ailleurs.
Vous remarquerez que je n’ai pas parlé d’un report sur place de la clientèle vers d’autres activités que le ski. C’est parce que ce changement dépend plutôt de l’adaptation des stations au réchauffement climatique et de leurs propositions de loisirs de montagne sans neige, un sujet épineux mais bien balisé tant par les chercheurs, les élus et même les auditeurs de la Cour des comptes.
La pente de la technologie
Jusqu’à présent, les stations se sont principalement adaptées en glissant sur la pente de la technologie, celle du damage et de la production de neige artificielle, aussi nommée neige “de culture” en France, neige “programmée” en Italie, ou neige “technique” en Allemagne.
De nombreuses stations prévoient de poursuivre cette ligne de défense contre le changement climatique en multipliant les canons à neige et les installations de l’arrière (salle de pompage, retenue collinaire, etc.). Une voie qui n’est pas sans conséquences néfastes pour l’environnement, mais aussi pour les skieurs, même parmi ceux les moins concernés par l’avenir de la planète.
Pour ces derniers, l’augmentation du prix des forfaits et donc le renchérissement du ski-loisir constitue le désagrément le plus évident. La neige artificielle réclame en effet de lourdes infrastructures et des dépenses élevées pour la faire fonctionner ; des investissements et des coûts techniques qui s’ajoutent à ceux du parc des remontées mécaniques.
Or les forfaits coûtent déjà cher. Comptez 63 euros par personne et par jour pour accéder à l’espace Killy (Tignes-Val d’Isère), 57 euros pour les Portes du Soleil (Avoriaz-Champéry) ; et entre 20 et 40 euros pour des domaines de tailles plus modestes. Le haut revenu moyen des skieurs ne met pas les stations à l’abri d’une érosion de la clientèle face à l’augmentation du prix. Face à la baisse de la qualité également : glisser sur un ruban blanc encombré et bordé à ses côtés d’une pelouse jaunâtre et terreuse manque singulièrement de charme.
L’échec des ski-dômes japonais
C’est tout de même mieux que de skier sous cloche, me direz-vous. Les ski-dômes ont bien des clients et il s’en construit même des nouveaux. Vrai, mais leurs pistes de quelques dizaines de mètres le plus souvent servent surtout d’initiation au ski et ils sortent de terre avant tout en Chine où la pratique du ski ne se conjugue pas historiquement avec neige naturelle.
Au Japon en revanche, les centres de ski d’intérieur ferment les uns après les autres. Ils connaissent la même désaffection de clientèle que le ski de plein air qui est particulièrement marquée et rapide dans ce pays aux si nombreux centenaires.
Le ski sous cloche relève aussi du parc d’attractions et subit également à ce titre la concurrence des parcs de loisir en tout genre. Une rivalité d’autant plus désavantageuse pour les ski-dômes que la clientèle n’a pas à s’équiper et à s’activer, mais simplement à suivre passivement les attractions en habits et chaussures de tous les jours.
Pour skier 365 jours par an version ultra-artificielle et tendance globish la municipalité de Tignes a un temps envisagé la construction d’un “Ski-Line de piste in-door”. 400 mètres de glisse couverts à l’année dans un frigo géant avec remontée en télésiège des skieurs et, à côté, pour les surfeurs d’eau douce un bassin à vague artificielle.
Ce projet démesuré est resté à ce jour dans les cartons. Il ne devrait pas en sortir. La fin d’un monde est passée par là : celui d’une société sans pandémie, d’un accès immuable à une énergie et une eau bon marché ; mais aussi d’une clientèle indéfectible de skieurs consommateurs, au porte-monnaie sans fond ; et peut-être désormais plus préoccupés par leur empreinte sur la planète – souhaitons-le.
François Lévêque a publié chez Odile Jacob “Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global ?”. Son ouvrage a reçu le prix lycéen du livre d’économie en 2021.
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