Laurent Alexandre et Alexandre Tsicopoulos

Pourquoi les entreprises n’ont plus intérêt à former leurs salariés à l’ère de l’IA

Pendant des décennies, la formation professionnelle a été l’un des piliers du capitalisme moderne. Former ses salariés, c’était investir dans l’avenir. Un pari rationnel sur la montée en compétence et la fidélisation. Mais ce modèle est en train de mourir puisqu’à l’ère de l’IA et du savoir externalisé, former les salariés n’est plus un investissement, c’est un investissement à perte.

D’abord, parce que la durée de vie des compétences humaines s’effondre. Jadis, un savoir technique pouvait rester pertinent 10 ou 20 ans. Aujourd’hui, dans des métiers comme le code, le marketing digital, la gestion documentaire ou même l’analyse stratégique, un outil peut devenir obsolète en six mois. L’arrivée constante de nouvelles IA toujours plus puissantes et plus intuitives rend les formations humaines caduques avant même leur digestion complète. Former quelqu’un à une compétence où l’IA s’apprête à exceller, c’est former un futur “inemployable”. La courbe de retour sur investissement est inversée.

Ensuite, la loyauté des talents a muté. L’époque où un salarié restait 10 ans dans une même entreprise après avoir bénéficié d’un plan de formation est révolue. Aujourd’hui, les profils les plus agiles, ceux qui peuvent justement apprendre vite, s’adapter, dialoguer avec les IA, sont aussi ceux qui zappent le plus vite. Former un salarié haut potentiel revient à améliorer un CV qui partira chez un rival dans six mois et donc à enrichir un futur concurrent.

Surtout, l’IA rend la formation inutilement coûteuse. Pourquoi injecter des milliers d’euros dans des formations lentes, rigides, théoriques, quand une IA peut vous coacher en temps réel, à la demande, sur mesure, dans toutes les langues et avec une patience infinie ? Pourquoi payer une école de management quand ChatGPT vous forme à la demande à toutes les fonctions d’une entreprise, avec une granularité que même Harvard ou Wharton ne peuvent offrir ? Dans un nombre croissant de métiers, la bonne stratégie n’est plus de former les salariés, mais de leur apprendre à déléguer à l’IA. L’entreprise n’a plus besoin de former des humains, mais de configurer des assistants numériques. Le gain de productivité vient de la bonne orchestration des IA et non plus de l’élévation des compétences des cerveaux humains.

Enfin, plus cyniquement, dans une économie automatisée, former un salarié revient parfois à accélérer son inutilité. Plus il est formé, plus il devient cher, exigeant et instable. Et moins il accepte de devenir l’assistant d’une IA. Il s’agit de préparer les équipes à une ère où leur valeur ne viendra plus de ce qu’elles savent, mais de la manière dont elles se branchent aux IA. La formation va muter profondément. Il ne s’agira plus de transmettre un savoir, mais de calibrer une interface avec les IA. Le reste étant laissé à la machine.

Former quelqu’un à une compétence où l’IA s’apprête à exceller, c’est former un futur “inemployable”.

Les grandes entreprises qui continuent à investir massivement dans la montée en compétence humaine sans refondre leur vision de l’apprentissage commettent une erreur stratégique. Elles raisonnent comme si le facteur limitant était encore le salarié. Or, dans une économie dopée à l’IA, le vrai goulot d’étranglement, c’est la vitesse d’intégration algorithmique et non l’intelligence humaine.

Dans 10 ans, les winners ne seront pas les groupes les mieux formés, mais les mieux augmentés. L’intelligence ne sera plus dans les têtes, mais dans l’infrastructure. Contrairement aux poncifs habituels, les budgets formation ne doivent pas augmenter… ils vont chuter !

L’intelligence artificielle est présente dans la plupart des secteurs, ou presque, avec ses partisans et ses détracteurs, mais quel est son impact?

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