Pourquoi la Belgique est-elle incapable de se réinventer ?

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Bruno Colmant
Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

À quelques mois d’importantes élections fédérales qui verront les polarités régionales s’éloigner un peu plus, je me suis souvent interrogé sur les raisons qui ont conduit le Royaume à devenir un pays si complexe, encombré d’institutions tortueuses et paralysantes, incapable de se réinventer ou d’exprimer une vision sociétale claire, au sein d’un État alourdi par une administration pesante. La réponse réside probablement dans le défi que représente la gestion de populations appartenant à quatre régions linguistiques aux inclinaisons culturelles, sociales et politiques divergentes.

L’explication pourrait également se trouver dans la nature artificielle de l’existence du royaume. La Belgique a dû s’inventer une existence, étant un territoire incertain, à peine délimité par 60 km de côtes et dépourvu de l’estuaire de l’Escaut. Mis à part les deux guerres mondiales, qui ont vu son territoire, pourtant neutre, servir de champ de bataille à l’armée allemande, aucun événement majeur n’a altéré son existence. C’est un pays aux frontières géographiquement ambiguës qui ne possède de légitimité qu’en tant que zone de transit entre ses partenaires économiques.

Pour exister sans devoir résoudre ses contradictions, la Belgique s’est placée dans l’incapacité de se renouveler. Le pays s’est volontairement complexifié de l’intérieur, puisqu’aucune barrière, géographique ou géologique, ne lui permet de se distinguer.

De plus, la prise de décision politique décisive est presque impossible en raison d’une représentation proportionnelle exigeant des compromis constants. Cette complexité institutionnelle assure, malgré une inefficacité évidente et une gestion sous-optimale alourdie par l’administration, l’obligation permanente du consensus. Les réformes, donc, sont rares et toujours marginales. La Belgique est, il faut en accepter le constat, un pays d’immobilités et de droits acquis.

Sur le plan économique, le sud du pays a mis des décennies à se débarrasser de l’ombre d’une révolution industrielle obsolète, tandis que le nord a choisi, en s’appuyant sur un projet régionaliste, de devenir l’une des régions les plus prospères d’Europe. Deux visions de l’avenir du pays se dégagent. Soit la Belgique est perçue comme un non-pays et devient une zone administrée, un assemblage de ses partenaires économiques, nul besoin alors d’une direction autonome puisqu’elle serait dictée par ces derniers à travers les flux économiques. Ou on mise sur une régionalisation plus poussée, qui reconnaît les particularismes tout en refédéralisant les compétences régaliennes.

Par ailleurs, l’entrée dans la zone euro a dépossédé le pays d’un attribut de sa souveraineté : la mesure de sa performance monétaire. Simultanément, le contrôle de notre dette publique, qui constituait l’une des conditions d’entrée dans la zone euro, s’est trouvé dilué au sein du vaste marché des capitaux mondiaux. On sous-estime d’ailleurs la corrélation qu’ont peut établir entre l’absence de décisions politiques et l’immersion dans la zone euro. Si le franc belge avait toujours cours, sa parité de change serait un baromètre de la qualité de la décision politique. Et il serait, à mon estime, bas.

Il faudrait une Belgique à quatre : Flandre, Wallonie, Bruxelles, Communauté germanophone, avec une évidente proximité linguistique et institutionnelle entre Bruxelles et la Wallonie. Il est vraiment temps de repenser le pays, de manière apaisée, lucide, constructive et dans l’écoute des représentants de toutes les régions et communautés. Le fait régional est circonscrit, mais il n’est pas assumé. Et ce qui est assez singulier dans ce pays, c’est qu’on a des forces qui sont à la fois centrifuges en termes régionalistes, mais également une retenue centripète, car on a rendu le pays trop complexe pour le déliter. C’est à ce niveau qu’on n’a pas réussi à faire la synthèse. On ne peut pas avoir une administration et une structure institutionnelle tellement complexe que personne ne la comprend pour conserver une cohérence apparente au pays et, en même temps, annihiler ou contrarier les forces centrifuges. Ce qui crée l’immobilisme dans le pays, ce sont ces forces opposées, antagonistes, de nature administrative d’une part, de nature régionaliste d’autre part. C’est pour cette raison qu’un choix doit être fait. On peut très bien voir simplifier les choses en acceptant ces forces centrifuges en renforçant l’autonomie régionale, tout en déterminant ce qu’on veut absolument conserver au niveau fédéral.

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