Pas de stress sur le prix du gaz en 2023?

Philippe Ledent
Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’offre de gaz devrait suffire à la demande… Du moins si le flux actuel se maintient et si l’hiver ne joue pas les prolongations, entre autres…

Comme consommateur, on ne peut que se réjouir de la forte baisse des prix du gaz au cours des trois derniers mois. Mais peut-on réellement espérer un marché plus stable en 2023? Les contrats futures sur le gaz donnent une certaine indication du niveau de stress du marché. Ainsi, alors que le prix spot du gaz (prix pour livraison directe) est inférieur à 60 euros le MWh, les tarifs des contrats pour une livraison au cours des prochains trimestres (on parle bien ici du marché de gros), ou même en 2024, oscillent également autour de ce niveau.

En d’autres termes, tout en restant à des niveaux supérieurs à ce qu’ils étaient avant 2021, les prix de marché semblent se détendre, non seulement à très court terme, mais également pour les prochains mois. Ceci dit, il faut faire attention à l’interprétation des prix des contrats futures, influencés par de nombreux facteurs dont… le prix spot justement. Malgré tout, il semble que le marché écarte pour le moment l’idée d’un nouveau déséquilibre important entre l’offre et la demande. A-t-il raison? Bien qu’il soit presque impossible de répondre à cette question vu les nombreux éléments d’incertitude, essayons au moins d’identifier quelles seront les conditions permettant effectivement au marché de rester “stable” cette année.

Tout d’abord, rappelons que les livraisons de gaz russe à l’Europe ont certes diminué de 85% par rapport à 2021, mais qu’elles n’ont pas disparu. Or, si tel devait être le cas, ce serait probablement suffisant pour déséquilibrer le marché.

Supposons donc que les modes d’approvisionnement actuellement disponibles le restent en 2023, en ce compris le gaz russe. Compte tenu de l’état actuel de ses stocks, l’Europe devrait terminer la saison de chauffage (fin mars) avec des réserves à 55% de leur capacité. Ce serait bien mieux qu’un an auparavant: moins de 30%. L’objectif étant de remplir les stocks à au moins 90% de leur capacité d’ici novembre, un niveau de réserves plus élevé en avril signifie moins d’importations à la belle saison. C’est une bonne nouvelle, mais ce n’est probablement pas suffisant pour garantir un marché sans stress.

De nombreux ménages et entreprises ont adopté des comportements visant à économiser l’énergie. Il ne faudrait pas que la baisse actuelle inverse cette tendance.

Deux conditions supplémentaires devraient être réunies: d’une part, il faudrait que la consommation de gaz en Europe reste au moins 10% inférieure à la moyenne des cinq dernières années, et ce toujours dans le but de diminuer la nécessité d’importations. D’autre part, il faudrait que le rebond conjoncturel de la Chine n’entraîne pas un retour des importations chinoises de gaz naturel liquéfié (GNL) au niveau de 2021. Un tel retour signifierait une hausse de la demande chinoise de GNL de plus de 20%, ce qui, compte tenu des capacités disponibles (bateaux et terminaux), créerait une pression à la hausse sur les prix. Une hausse plus modeste de 10% des importations de la Chine pourrait par contre être absorbée par les capacités, sans compromettre l’approvisionnement de l’Europe.

En conclusion, en supposant que le flux actuel de gaz russe se maintienne, que l’hiver ne joue pas les prolongations, que la consommation européenne reste tout au long de l’année inférieure de 10% à sa moyenne et que les importations de gaz de la Chine n’augmentent pas de plus de 10%, l’offre de gaz devrait suffire à la demande, et on ne devrait plus connaître de stress similaire à 2022.

D’autres combinaisons sont bien entendu possibles : une plus forte diminution de la demande européenne pourrait compenser un plus fort rebond de la Chine. A ce propos, on peut se réjouir que de nombreux ménages et entreprises aient adopté des comportements visant à économiser l’énergie. Il ne faudrait pas que la baisse actuelle des prix inverse cette tendance. Chacun a donc un rôle à jouer dans le prix futur de l’énergie.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content