Amid Faljaoui

Mettez-nous un Bonaparte au 16 rue de la Loi, pas un comptable !

En Belgique, il n’y a jamais eu autant de fuites dans la presse concernant les futures mesures gouvernementales. Certains estiment que ces fuites sont orchestrées par le parti socialiste flamand, d’autres pensent que le MR en est à l’origine, tandis que d’autres encore y voient une manière de préparer l’opinion publique à des réformes fiscales et sociales qui, par nature, ne plairont à personne.

En réalité, et sans vouloir donner de leçon, ce que ce gouvernement en gestation devrait surtout éviter, c’est de laisser penser que son futur programme ne sera que le résultat du plus petit dénominateur commun entre les partis au pouvoir. Avec, en guise d’excuse, le traditionnel discours : « Désolé, mais les caisses sont vides et nous n’avons pas d’autre choix que de prendre des mesures impopulaires si nous voulons réduire notre déficit budgétaire. »

Après l’espoir suscité par le changement, notamment en Wallonie, il serait regrettable de revenir à un discours d’austérité, que les électeurs n’acceptent plus. Pourquoi ? Parce que depuis des décennies, nos lecteurs entendent la même rengaine de l’austérité, sans résultat tangible. À chaque fois, on nous ressert le même discours.

Les amateurs d’histoire se souviennent que Winston Churchill avait promis à ses compatriotes « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ». Mais ce sacrifice se justifiait par la lutte pour la liberté, contre les nazis. En Belgique, aujourd’hui, personne ne comprendrait un tel discours, surtout dans une société où l’influence des réseaux sociaux nous a rendus plus individualistes, comme c’est aussi le cas ailleurs en Europe.

Résultat : les concessions nécessaires aux ententes collectives ne séduisent plus la population. Dans une société individualiste, « toute contrainte est perçue comme une oppression », explique la philosophe Julia de Funès dans son dernier ouvrage. « Aucun accommodement, aucun compromis n’est aisément envisageable s’il n’est présenté comme un intérêt personnel, un avantage individuel », ajoute-t-elle. Voilà le problème majeur de nos sociétés du « bonheur immédiat ».

Autrefois, nos sociétés étaient structurées par des récits d’espérance, que ce soit le catholicisme, le syndicalisme ou le communisme. Le salut venait plus tard, après la mort pour les catholiques, après la révolution pour les communistes. Mais ces grandes structures, qui prônaient une forme de « bonheur différé », ont cédé la place à l’idéologie du « tout, tout de suite » promue par les réseaux sociaux.

Comme le souligne le philosophe Luc Ferry, les citoyens d’aujourd’hui ont « compris que nous n’avons qu’une seule vie, qu’elle se vit ici et maintenant, dans la joie, et pas après la classe, la retraite, la révolution ou la mort ! ».

Pour encourager nos concitoyens à ne pas laisser la Belgique et l’Europe se faire dépasser par l’Asie, vassaliser par les États-Unis ou transformer en un immense musée visité par les classes moyennes chinoises, comme le dit Alain Minc, notre gouvernement ferait bien de se souvenir des paroles de Napoléon Bonaparte : « On ne conduit le peuple qu’en lui montrant un avenir. » Et c’est aussi Napoléon qui disait : « Un chef est un marchand d’espoir. »

En résumé, les fuites concernant quelques mesures techniques sont dépassées. Comme diraient les jeunes, c’est très « boomer ». Si nos gouvernants veulent demander des efforts aux ménages, aux entreprises, aux pouvoirs publics fédéraux, régionaux et communaux, il faut que nous sachions à quoi ces efforts serviront. Réduire un déficit n’a jamais fait rêver personne. En revanche, motiver la population autour d’un projet collectif ou d’un avenir prometteur, c’est une tout autre affaire, bien plus inspirante.

Bref, mettez-nous un Bonaparte au 16 rue de la Loi, pas un comptable !

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