Amid Faljaoui

L’Europe montre ses muscles face à la Chine, mais pas trop. Pourquoi ?

Face à la montée en puissance de la Chine, les candidats aux élections européennes appellent à une riposte plus ferme. Cependant, l’Europe hésite. Une prudence qui soulève des questions sur la capacité de l’Europe à défendre ses intérêts sans nuire à ses propres industries.

Si vous vous intéressez aux élections européennes, vous aurez remarqué que la plupart des candidats affirment qu’il faut cesser d’être naïfs à l’égard de la Chine, mais aussi à l’égard des États-Unis. Ces deux grandes puissances économiques parlent de libre-échange, mais en réalité, chacune pratique à sa manière une ou plusieurs formes de protectionnisme. Il n’y a qu’en Europe que l’on croit encore au libre-échange. D’ailleurs, Joe Biden a annoncé il y a quelques jours des droits de douane de 100 % sur les véhicules électriques chinois, et son administration a demandé à l’Europe de faire de même et de suivre le mouvement contre la Chine.

Pour le moment, vu de loin, on a l’impression que l’Europe prend son temps pour riposter. Pourtant elle est déjà inondée de voitures électriques chinoises, dont beaucoup attendent dans nos ports d’être vendues sur le continent. L’Europe semble se réveiller tardivement. Elle commence seulement à penser que le protectionnisme n’est pas une mauvaise chose, voire qu’il est même une sorte de légitime défense, notamment face à la Chine. La croissance chinoise patine, et comme la Chine n’arrive pas à vendre ses produits sur son propre marché, elle n’hésite pas à utiliser ses surplus de production pour nous inonder de produits de qualité à prix bas.

Pour preuve de son réveil, l’Europe a déjà ouvert 15 enquêtes pour soupçons de dumping ou de subventions abusives sur les voitures électriques, mais aussi sur l’éolien et les panneaux solaires. Ces enquêtes sont déjà une manière pour l’Europe de montrer ses muscles. Sauf que si l’on écoute les candidats aux élections européennes, ce n’est pas encore suffisant. Cependant, cette tribu des « YAKA FOKON » oublie quelques éléments importants :

Premièrement, si Joe Biden peut se permettre d’imposer 100 % de droits de douane sur les voitures électriques chinoises arrivant aux États-Unis, c’est parce qu’il est en campagne électorale et qu’il oublie de dire à ses futurs électeurs que son pays n’importe quasiment pas de véhicules électriques chinois. En revanche, ce n’est pas le cas en Europe où les fabricants de voitures électriques chinois détiennent environ un quart du marché. Vous pourriez dire que c’est une raison de plus pour bloquer les Chinois, mais n’allons pas si vite : une partie des voitures électriques fabriquées en Chine le sont par des constructeurs européens, comme la Dacia Spring, sans parler des modèles fabriqués sur place par BMW ou VW.

Deuxième bémol : pour que l’Europe parle d’une seule voix, encore faut-il que la première puissance économique européenne, à savoir l’Allemagne, joue le jeu. Or, l’Allemagne freine les rétorsions européennes, car ce sont ses entreprises qui ont le plus à perdre si la Chine ferme ses portes aux produits Made in Germany. Et cela, c’est aussi la grande découverte de ces deux dernières années : l’Allemagne, la plus grande puissance économique européenne, a découvert qu’elle avait un modèle économique fragile. Parce qu’elle dépendait du gaz russe à bas prix pour faire tourner ses usines, l’Allemagne a perdu cet avantage compétitif avec la guerre en Ukraine. Ce qui était d’ailleurs la volonté des États-Unis. Ceux-ci considèrent la Chine comme leur véritable ennemi, et leur objectif avec la guerre en Ukraine était aussi de couper le lien ombilical entre l’Allemagne et la Russie. Mission accomplie.

Deuxième fragilité de l’Allemagne : la dépendance de ses très grosses PME au marché chinois. Un marché qui va mal en ce moment. Donc, oui, il ne faut pas être naïfs à l’égard des Chinois, mais pas question pour les Allemands de se tirer une balle dans le pied en se privant du marché chinois. Si l’Europe jouait le même jeu protectionniste que les Américains, donc sans nuance, l’Europe, à travers l’Allemagne, en souffrirait davantage.

Les politiques qui crient au loup oublient encore autre chose : depuis 2001, date à laquelle nous avons ouvert le poulailler européen aux Chinois, nous avons délibérément accepté de ne plus produire certains produits sur notre sol, et il est illusoire de penser qu’on pourra le faire aujourd’hui aux mêmes prix que la Chine. Mais cet argument est promptement balayé sous le tapis, car il n’est pas vendeur électoralement.

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