Typhanie Afschrift

L’Europe, bientôt un musée ?

Typhanie Afschrift Professeure ordinaire à l'Université libre de Bruxelles

L’Europe a un problème avec le progrès. Dans les secteurs de pointe, elle est non seulement en retard, mais pratiquement inexistante. On savait déjà que l’Europe ne représentait pas grand-chose dans le domaine de l’intelligence artificielle, où l’on voyait soit des entreprises américaines faisant partie des plus grandes sociétés mondiales (le groupe de Musk, Google, etc.), soit des nouvelles sociétés rapidement performantes (OpenAI).

Face à cela, l’IA française Lucie, produit d’une coopération entre la société Linagora et le CNRS, fait plutôt pâle figure puisqu’elle a dû fermer quelques jours après son lancement, parce que Lucie annonçait, dit-on, que les vaches pondaient des œufs… Mais aujourd’hui, on voit que les Chinois, présentés naguère comme des copieurs, peuvent aussi innover dans ce domaine, comme le montre DeepSeek, qui serait aussi fiable que les grandes IA américaines, sans consommer autant d’énergie. C’est la même chose dans de nombreux autres domaines, comme la distribution, où Amazon règne sur le monde, concurrencée seulement par des entreprises chinoises (le groupe Alibaba) voire, dans une moindre mesure, japonaises (Rakuten). Face à elles, on ne trouve aucun champion européen.

Ce n’est guère mieux dans le secteur des téléphones portables. En attendant l’arrivée des téléphones Tesla annoncés par Elon Musk, ce sont des marques américaines (comme Apple) ou coréennes (comme Samsung) qui sont dominantes. Alors qu’au moment du lancement des smartphones, c’étaient des sociétés européennes comme Nokia et Ericsson qui contrôlaient l’essentiel du marché. Elles n’ont pas été capables d’innover et sont aujourd’hui devenues quasiment inexistantes dans ce secteur ou ont été absorbées par des concurrents asiatiques.

Il faut favoriser les investissements privés en Europe. Pas à coup de subsides, mais simplement en facilitant la vie des entreprises.

Le temps où l’Europe, grâce à ses entreprises et ses scientifiques, parvenait à être leader d’un marché est, hélas, révolu. Ce n’est pourtant pas parce que les Européens seraient moins doués pour innover. Sans remonter à l’époque où la Belgique dominait le monde dans le secteur des métiers à tisser, puis dans celui des chemins de fer, l’Europe a connu, au 20e siècle, des domaines où elle était capable de développer, mieux que les autres, de nouvelles technologies.

De cette suprématie, il reste quelques vestiges comme Airbus, premier constructeur d’avions au monde, parce que cette entreprise a connu moins de déboires que sa concurrente Boeing, dans un secteur qui innove pourtant assez peu : il faut toujours environ 8 heures pour aller de Paris à New York, comme en 1960 ! Mais cette relative suprématie sera bientôt en danger : la société chinoise Comac vient de lancer sur le marché son C919, qui deviendra rapidement un concurrent dangereux pour les modèles Boeing et Airbus capables de transporter entre 150 et 200 passagers.

Les causes de cette stagnation, voire de ce recul européen sont en grande partie politiques. Pour les dirigeants européens, et surtout de l’Union européenne, l’important est de réglementer et certainement pas de faciliter la vie des entreprises. Mario Draghi a bien raison de vouloir des investissements importants dans ces secteurs. Mais il ne faut surtout pas s’imaginer que des investissements publics seront efficaces dans l’innovation : ce n’est jamais arrivé. Il faut favoriser les investissements privés en Europe. Pas à coup de subsides, mais simplement en facilitant la vie des entreprises et en les débarrassant d’un fatras de réglementations multiples qui les dissuadent d’investir en Europe. Soit ce que les États-Unis ont décidé de faire chez eux. Si l’Europe n’est pas capable de modifier profondément son système bureaucratique, elle deviendra un musée, un très bel endroit que les autres habitants du monde viendront visiter. 

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