Philippe Ledent

Qui aurait cru que la Banque ­nationale suisse serait la première à couper ses taux?

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Beaucoup de tendances ou même de certitudes du passé continuent de voler en éclats sur le plan économique. Les chocs ayant été multiples, les réactions des politiques monétaires et budgétaires l’ayant été tout autant, quoi de plus normal, finalement ? Avec une telle combinaison de chocs conjoncturels et structurels, ce serait faire preuve de beaucoup de naïveté que de penser que tout rentrerait dans l’ordre naturellement et que l’on en reviendrait à la situation de 2019. Ce n’est certainement pas le cas en matière de politique monétaire.

En effet, qui aurait cru que la Banque nationale suisse (BNS) serait la première à couper ses taux ? Et pourtant, c’est ce qu’il s’est passé. Face à une très faible inflation (1,2% en février) et à des anticipations d’inflation revues à la baisse jusqu’en 2026, la BNS a pris la décision d’abaisser son taux directeur de 25 points de base. Il faut dire que la BNS a combattu l’inflation par les taux mais aussi par une politique de change relativement agressive, vendant en 2022 et 2023 l’équivalent de respectivement 22 milliards et 133 milliards de francs suisses de réserves de change. Le franc suisse fort qui en est la directe conséquence a fait le reste, au travers d’une perte de compétitivité.

La recette aurait-elle trop bien fonctionné, au point que la BNS s’empresse aujourd’hui d’inverser la vapeur monétaire ? Toujours est-il qu’elle a surpris tout le monde en étant la première banque centrale majeure à abaisser ses taux au cours de ce cycle.

Ce n’est en fait pas la première fois que la BNS surprend les marchés financiers. On se rappelle notamment de sa décision d’arrêter brutalement la défense d’un taux de change avec l’euro de 1,2 CHF/EUR fin 2014, provoquant une appréciation éclair du franc suisse de pas moins de 15%. Néanmoins, on ne l’attendait pas dans le rôle de leader d’une politique monétaire plus accommodante.

Qui aurait cru que la Banque ­nationale suisse serait la première à couper ses taux ? Et pourtant, c’est ce qu’il s’est passé.

Autre tendance longue volant en éclats, la Banque centrale du Japon (BoJ) a acté, le 19 mars dernier, la fin d’une période de 17 années de taux négatifs. Il faut dire qu’après être tombé en déflation dans la deuxième moitié des années 1990, le Japon a retrouvé une inflation positive depuis fin 2021. Elle est actuellement de l’ordre de 2,2%. Par ailleurs, on observe une nette hausse des salaires dans les grandes entreprises, ce qui augmente le pouvoir d’achat (ou d’épargne…) des ménages japonais mais pourrait aussi représenter de nouvelles tensions inflationnistes.

On ne peut donc s’empêcher d’avoir une pensée pour l’ancien Premier ministre Shinzo Abe, qui lançait en 2012 un grand éventail de mesures de politiques économiques en rupture avec les pratiques du passé pour sortir l’économie japonaise de l’équilibre déflationniste dans laquelle elle se trouvait depuis si longtemps. Il aura fallu du temps et des chocs inédits pour que sa volonté se réalise. Avec d’ailleurs autant de nouvelles questions : quel sera le comportement de l’économie japonaise dans un monde inflationniste ? Quelles conséquences le retour de l’inflation et de taux d’intérêt positifs aura-t-il sur les finances publiques ? Bref, comment l’économie va-t-elle passer d’un équilibre déflationniste à un équilibre inflationniste ?

La BNS baisse rapidement ses taux, la BoJ relève les siens… Dans ce monde à l’envers, on pourrait avoir d’autres surprises. Et qui sait, pourquoi ne pas imaginer que la Banque centrale européenne (BCE) abaisserait ses taux avant la Réserve fédérale américaine ? Dans les deux cas, il se pourrait bien qu’elles prennent leur décision de baisse de taux en juin. La réunion de la Fed a lieu le 11 juin, celle de la BCE le 6…

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