Paul Vacca

La casserole, nouvelle icône révolutionnaire

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Un banal ustensile de cuisine s’est métamorphosé en porte-voix, mais inversé, servant à couvrir la voix du pouvoir.

La révolte s’est toujours nourrie de symboles. Le rouge, par exemple, est devenu très vite une sorte d’espéranto révolutionnaire à l’échelle du globe. Michel Pastoureau raconte dans son passionnant essai Rouge, l’histoire d’une couleur (Points Seuil) comment cette couleur choisie pour le bonnet des sans-culottes en France lors de la Révolution de 1789 est progressivement devenue européenne au gré des révolutions qui secouèrent le continent en 1848, puis pleinement mondialisée lorsque le communisme l’adopta comme couleur officielle en URSS, puis en Chine.

Marteau, faucille, pavés…

Parfois, ce sont des objets du quotidien qui accèdent au statut de symboles. On songe évidemment au marteau et à la faucille dont l’association incarna, avec le succès que l’on sait, la convergence des luttes du prolétariat des usines et des moujiks exploités dans les champs d’avant l’Union soviétique de 1922. En mai 68, à Paris, le pavé eut aussi son heure de gloire, arraché à sa matérialité terre-à-terre pour embrasser le destin aérien de projectile d’abord, puis de symbole libertaire à part entière et de métaphore poétique avec le célèbre slogan “sous les pavés, la plage”, devenu l’appel d’une génération.

Plus proche de nous, fin 2018, en France toujours, c’est un accessoire de sécurité qui eut droit à ce privilège, le gilet jaune, autre produit du quotidien connu de tout automobiliste tenu d’en posséder un dans son véhicule. A la suite d’une taxe carburant contestée, le gilet jaune est spontanément sorti du coffre des voitures pour endosser sa charge symbolique de révolte sur les ronds-points et désigner métonymiquement les acteurs du mouvement que l’on appela les Gilets-Jaunes.

Tout récemment enfin, un nouvel objet de notre quotidien s’est invité avec fracas à la table des symboles de lutte: la casserole. En quelques jours seulement, alors que la loi sur les retraites venait d’être promulguée par Emmanuel Macron, la casserole a quitté les plaques chauffantes pour faire sa tambouille sonore dans les rues à grands coups de “casserolades”. Un objet dont le succès populaire est tel qu’il semble avoir été le fruit d’une opération géniale de design thinking.

Un banal ustensile de cuisine s’est métamorphosé en pur objet d’inanité sonore festive et carnavalesque ; en signe de ralliement et de métrique bruitiste dans les manifestations ; en porte-voix (autre instrument révolutionnaire s’il en est! ) mais inversé, servant à couvrir la voix du pouvoir ; en incarnation du refus d’écouter des discours devenus de toute façon inaudibles ; en gongs signifiant la fin de la partie ; en rappel d’une inflation galopante qui touche les produits alimentaires…

La casserole, c’est hype

Mais son véritable label révolutionnaire semble lui avoir été octroyé par le pouvoir lui-même. D’abord lorsqu’il a été envisagé d’en interdire l’usage sous l’appellation de “dispositifs sonores portatifs” donnant lieu à une viralité inespérée. Puis quand le président a déclaré que les “casseroles et les œufs sont faits pour la cuisine” ou que “l’on n’avance pas avec une casserole”…

Soudain, la casserole est devenue hype. Ironiquement, c’est l’esprit révolutionnaire qui offre une master class de capitalisme. Car quel fabricant de casserole n’aurait pas rêvé d’une pareille campagne publicitaire capable d’insuffler un tel capital iconique à son produit tout en multipliant ses occasions d’utilisation? Pour autant, cette publicité gratuite ne profitera visiblement pas aux fabricants d’ustensiles made in France, mais plutôt à ceux de la République populaire de Chine, fortement présents sur le marché tricolore. Comme quoi, notre monde chaotique peut parfois obéir à une certaine logique.

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