On croyait le numérique “immatériel”. Sam Altman, patron de ChatGPT, l’a remis sur terre : l’IA est d’abord une affaire de watts et de silicium. Faute de puissance informatique, prévient-il, il faudra arbitrer des usages vitaux : “guérir le cancer” ou “offrir une éducation gratuite au monde entier”, par exemple. Personne ne veut choisir entre ces deux biens publics. La seule issue, dit-il, est d’augmenter massivement la puissance de calcul.
Ce diagnostic explique le “méga deal” du moment. OpenAI et Nvidia vont investir 100 milliards de dollars pour déployer rapidement 10 gigawatts de puissance électrique afin d’alimenter des millions de puces GPU destinées à faire tourner ChatGPT. OpenAI rêve déjà d’un milliard de puces GPU à terme. Même à efficacité croissante, l’explosion de la demande transforme le calcul en ressource stratégique aussi convoitée qu’un champ pétrolier en 1973. Les files d’attente de tokens deviennent la nouvelle pénurie de carburant. Le verrou n’est plus seulement le silicium, mais également l’électricité. D’où la tentation de sites autonomes, comme les réacteurs nucléaires SMR (small modular reactor ou petit réacteur modulaire), et de localisations, là où l’énergie est abondante et bon marché. L’IA rebat la carte énergétique mondiale.
Sam Altman a précisé qu’à l’horizon 2030, il lui faudra la puissance d’une centrale nucléaire supplémentaire chaque semaine pour alimenter ChatGPT. Cela représente la totalité de l’énorme parc nucléaire français chaque année ! Il a déclaré à CNBC : “Attendez-vous à ce que nous dépensions plusieurs milliers de milliards de dollars dans la construction de data centers”. Cela transforme la recherche en IA en manufacturing : modules standardisés, approvisionnements verrouillés, raccordements rapides, refroidissement liquide en série, robots de déploiement, logiciels d’orchestration et de maintenance prédictive. C’est l’industrialisation de la cognition.
Pour l’investisseur, le message est clair. Au-delà des stars des puces, le cycle 2025-2030 sera dominé par les électriciens intelligents (production pilotable, contrats long terme, PPA…), les intégrateurs d’AI factories, les opérateurs de réseaux et les équipements auxiliaires (refroidissement, onduleurs, fibre et photonique). Les acteurs capables d’orchestrer foncier, énergie, refroidissement et réseau deviennent la nouvelle noblesse industrielle bâtisseuse des usines cognitives.
Le dilemme “cancer VS éducation” n’est pas moral, il est physique. Faute de puissance de calcul, demain il faudra trancher.
Côté politique publique, la question posée par Sam Altman est brutale, mais lucide. Si le calcul est un bien commun qui conditionne la santé, l’éducation, la productivité et la sécurité, alors les États devront l’arbitrer. La définition des priorités devient l’art de gouverner l’intelligence. Mais le dilemme “cancer versus éducation” n’est pas moral, il est physique. Faute de puissance de calcul, demain il faudra trancher. Avec du calcul, on peut faire les deux : accélérer la découverte de médicaments, tout en offrant des tuteurs numériques à chaque enfant. La capacité informatique devient le cœur de la politique sociale. L’Europe saura-t-elle penser en gigawatts ?
La Belgique a une carte à jouer : devenir un pays atelier où l’intelligence se fabrique. D’abord, il faut sécuriser les capacités nucléaires sinon ces usines à intelligence éviteront la Belgique. Ensuite, il est crucial de capter la chaîne de valeur : génie électrique, transformateurs, groupes froids, logiciels d’optimisation, cybersécurité des data centers et immobilier spécialisé. L’arrivée d’immenses usines à IA impose un État bâtisseur. Demain, la prime ira aux pays et aux entreprises capables de tenir la cadence de l’intelligence.