La Belgique doit-elle vendre ses bijoux de famille?

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Afin de pouvoir faire face à l’accumulation de défis (climat, Ukraine, vieillissement, etc.) qui s’entassent devant notre porte, il nous faut absolument remettre de l’ordre dans la maison budgétaire. Pour le gouverneur de la Banque nationale Pierre Wunsch, le pays doit réaliser “un assainissement de grande envergure”. En gros, un effort de 5 milliards par an.


Pour résoudre l’équation, Alexia Bertrand, secrétaire d’Etat au Budget, dans un entretien au Soir, estime que “dans un premier temps, notamment pour assurer le financement des investissements en Défense, il faudra vendre les banques et les assureurs, Belfius, BNP Paribas, puis Ethias. Et loger les montants ainsi récupérés dans un fonds spécial”.


Bon, l’idée de créer un fonds pour résoudre un problème est aussi vieille que la comptabilité publique. Rappelez-vous, on avait créé en 2001 un fonds spécial pour financer les coûts du vieillissement de la population, qui auraient dû être financés par les surplus budgétaires (on rêvait encore en ce temps-là) et des recettes exceptionnelles. Bien sûr, le projet a fait pschitt : le fonds vieillissement a été dissout en 2016, démontrant au passage que notre Etat a un mal fou à se projeter dans l’avenir et à préfinancer un problème pourtant identifié.


Mais si l’on se concentre sur l’opération en elle-même suggérée par Alexia Bertrand, est-ce que vendre ses bijoux de famille est une bonne idée ? Alors bien sûr, l’expérience nous montre que l’Etat n’a pas vocation à être entrepreneur, et quand il l’est, il ne montre pas toujours des qualités exceptionnelles de management. Mais on ne parle pas ici de diriger mais de conserver ou non une participation dans une société.


Sur le plan comptable, un Etat qui vend ses participations ne peut pas mettre cette somme en réduction de son déficit. Il peut simplement se servir de l’argent reçu pour réduire sa dette. En revanche, si l’Etat ne vend pas, il continue à percevoir des dividendes qui, chaque année, garnissent le budget et réduisent le déficit. Prenons par exemple Belfius. Si l’Etat avait vendu la banque en 2018, comme il en avait partiellement l’intention, il aurait touché 6 à 8 milliards d’euros. Avec des taux longs en moyenne de 2%, l’Etat aurait économisé entre 120 et 160 millions de paiements d’intérêts par an. Mais Belfius va distribuer cette année un dividende de 440 millions. Depuis sa création voici un peu plus de 10 ans, la banque a déjà rétribué son actionnaire à hauteur de 2,5 milliards. Quelle est la meilleure solution pour les finances de l’Etat ?

Sur le plan stratégique, on a assisté, ces dernières années, à certaines prises de participations de la SFPI dans des activités que le bras financier de l’Etat estimait importantes : l’Etat est ainsi entré dans Ageas (le premier assureur du pays), Europort (un leader de la logistique portuaire), Euroclear (une plateforme essentielle pour le système financier mondial, on le voit aujourd’hui). Si la Belgique n’avait pas montré son intérêt, et si, par exemple, la France, qui avait un œil sur la société (l’Etat français, via la Caisse des dépôts, est devenu un grand actionnaire), avait réussi à la faire déménager à Paris, quels cris n’aurait-on pas entendus ?

Bref, tant sur le plan comptable, que financier, que stratégique, vendre n’est pas toujours la meilleure option. Cela dépend de la nature de l’entreprise, de sa profitabilité et du contexte économique et politique. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle de nombreux Etats se dotent d’un fonds souverain. Notre conseil donc : réfléchissez à deux fois avant de vendre vos bijoux de famille. z

Tant sur le plan comptable, que financier, que stratégique, vendre n’est pas toujours la meilleure option.

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