Carte blanche
Face à l’IA, il faut réduire les effectifs humains
L’IA ne dort pas, n’oublie rien et est quasi gratuite. Les chefs d’entreprise et managers qui croient encore pouvoir adapter leur organisation sans réduire la voilure en termes d’effectifs sont peut-être déjà dépassés. Face à ChatGPT qui gagne 1 point de quotient intellectuel chaque semaine, il ne s’agit plus d’évoluer : il faut trancher.
L’économie ne récompense pas la prudence. Elle récompense la productivité. Et à ce jeu-là, l’intelligence artificielle n’est pas qu’un choc technologique majeur. Comme la vapeur au 19e siècle, comme l’automate dans les usines du 20e. Cette fois, le bouleversement ne porte pas sur les bras, il s’en prend à nos cerveaux. L’IA s’invite dans le domaine jusqu’ici sacralisé de la compétence intellectuelle.
Une machine qui code, résume, traduit, analyse des milliers de lignes comptables ou juridiques en quelques secondes, rédige un plan stratégique ou un communiqué de presse en 10 secondes, ce n’est pas un outil. C’est un substitut à la compétence humaine. L’histoire économique est claire : quand un facteur de production devient moins cher, plus rapide et plus fiable, il évince les autres. Le capitalisme ne connaît ni compassion ni nostalgie. Il optimise.
Mais alors, pourquoi les bureaux sont-ils encore pleins ? Pourquoi tant de fonctions n’ont-elles pas encore été coupées ? L’article de John Burn-Murdoch dans le Financial Times apporte une réponse essentielle : l’IA est freinée non par son intelligence, mais par le désordre cognitif des humains. Toutes les tâches humaines ne sont pas égales face à l’automatisation. Celles qui sont “clean” – séquentielles, balisées, sans ambiguïté contextuelle – tombent les premières. Comptabilité, reporting, traduction, rédaction basique, assistance juridique. En revanche, les tâches “messy“, déstructurées, irrégulières, pleines de zones grises et d’interactions humaines tacites – négociation, arbitrage, coordination floue – résistent temporairement.
L’IA n’est pas une mode, c’est une révolution industrielle cognitive. Les patrons doivent maintenant passer à l’acte.
C’est la “messiness frontier” : la frontière du chaos. L’IA progresse à travers elle, mais pas sans heurts. Et cela redessine le calendrier de la substitution. L’analyste financier sera remplacé avant le DRH. Le journaliste de brève avant l’éditorialiste. L’agent de back-office avant l’acheteur stratégique. Cette nuance est capitale. Elle ne change pas la tendance, mais elle offre aux dirigeants une cartographie fine : ce ne sont pas seulement les métiers qu’il faut évaluer, mais les tâches elles-mêmes. Il faut désormais classer les postes selon leur degré de “mécanisation cognitive”, et non plus leur intitulé.
Mais cette frontière mouvante ne doit pas servir d’excuse à l’inaction. Les gains de productivité liés à l’IA sont massifs. Le coût marginal de la production intellectuelle tend vers zéro dans de nombreux secteurs. Le temps des tests est fini : il faut maintenant réduire les effectifs, de manière intelligente. Là où la valeur ajoutée humaine est faible. Là où la machine fait mieux.
Ne rien faire, c’est condamner son entreprise à devenir structurellement moins compétitive que celles qui auront su trancher plus tôt. Ce n’est pas de l’éthique. C’est de la stratégie. Les concurrents qui auront eu le courage de remplacer vite se développeront. Faut-il s’en réjouir ? Non. Faut-il l’assumer ? Oui. L’IA n’est pas une mode, c’est une révolution industrielle cognitive. Les patrons doivent maintenant passer à l’acte. Moins d’empathie. Plus de lucidité. Et une main ferme sur le contrôle des effectifs. Sinon… leur propre poste finira lui aussi, un jour, par être menacé.
Rédigé par Laurent Alexandre, avec la collaboration d’Alexandre Tsicopoulos, étudiant en droit.
Intelligence artificielle
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