Amid Faljaoui

Exit le patron de Hertz ou comment avoir tort quand on a raison trop tôt

Et si nous terminions le mois de mars 2024 sur une leçon : à savoir qu’avoir raison trop tôt, c’est avoir tort. C’est ce qu’a découvert, il y a quelques jours Stephen Sherr, l’ancien patron du loueur de voitures Hertz.

L’expression « ancien patron » est appropriée, car il a été viré après avoir été nommé à ce poste, il y a  à peine deux ans.  Plutôt rapide et brutale comme sortie de route ! Pourtant au départ, son arrivée a été saluée par une hausse du cours de Hertz en Bourse de 42% en moins de quinze jours. Mais c’était en 2021,  il y a un siècle donc.  À l’époque, Stephen Sherr venait d’être nommé à la tête du 3e loueur de voitures au niveau mondial.

Ancien banquier, il était attendu comme le messie, car Hertz venait de sortir d’une période compliquée. La période de COVID a failli lui être mortelle, comme aux autres loueurs de voitures. Pour redresser la barre de Hertz, Stephen Sherr a eu un raisonnement en apparence imparable. Première idée : il s’est dit que l’électrification des voitures était en marche, sans retour possible et que les consommateurs soucieux de ne pas polluer la planète allaient se ruer sur les voitures électriques. Persuadé d’avoir raison, il a agi comme un joueur de poker et a misé gros : il a commandé 100.000 voitures électriques Model 3 à Tesla. Toujours amnésique, la Bourse a crié au génie et le cours de l’action Hertz s’est aussitôt envolé.

Mais passons à son deuxième pari, sous la forme d’une collaboration nouée aux États-Unis avec les taxis Uber pour leur louer une partie de sa flotte électrique. Là encore, le raisonnement était d’autant plus imparable que les villes américaines veulent toutes avoir des véhicules propres à horizon très court. La ville de New York exige par exemple qu’en 2030, tous les véhicules de location de type Uber soient des véhicules propres. Bref, ce partenariat a aussi enflammé la Bourse.

Mais voilà, Stephen Sherr n’est pas le génie qu’il pensait être.  Au final, tous ses raisonnements de type tableau Excell ne se sont pas du tout vérifiés dans la réalité. Raison pour laquelle, il s’est ramassé la porte fin mars. En fait, ce à quoi n’avait pas pensé ce patron, c’est que les réparations de voitures électriques se sont révélées deux fois plus chères que pour les voitures thermiques et elles ont plombé ses comptes. La faute aux pièces détachées coûteuses de Tesla. Et pour aggraver ce constat, l’ancien CEO a découvert à son grand dépit que les conducteurs de Uber étaient à l’origine de beaucoup d’accidents.

Et pour corser le tout, Tesla s’est engagée dans une guerre de baisse des prix pour piquer des parts de marché à ses concurrents. Résultat ? Hertz a vu la valeur de revente de ses voitures baisser drastiquement, sans oublier la dépréciation des voitures électriques inscrites dans le bilan de Hertz.  

Last but not least, le tableau Excell de l’ancien CEO s’est heurté à la réalité, précisément au fait que les Américains se sont montrés beaucoup moins empressés que prévus à se jeter sur des voitures électriques. Normal, les distances outre-Atlantique sont immenses, et faute d’autonomie suffisante et de bornes à foison, les Américains sont restés attachés à leurs véhicules thermiques.

L’autre morale de cette histoire de ce CEO déchu à la vitesse éclair, c’est la différence entre le monde des affaires et le monde politique. Dans le monde des affaires, quand on se viande, c’est la porte de sortie immédiatement. En politique, nous le voyons avec les prochaines élections, on peut se viander pendant vingt ans ou trente ans, et revenir solliciter le suffrage de l’électeur sans fard et sans honte.

Petite anecdote : saviez-vous que durant l’antiquité, les architectes qui avaient réalisé les plans d’un pont étaient ligotés et placés sous le pont en question, le temps d’enlever les échafaudages. Le but ?  Si l’architecte avait bien fait ses calculs, tout allait bien. Mais si ce n’était pas le cas, il mourrait immédiatement avec l’écroulement du pont. C’était la manière des Romains de responsabiliser les gens à l’époque. Les agents de change ont connu ce système sous la forme de la société en commandite simple : s’ils se plantaient avec l’argent de leurs clients, ils faisaient la culbute avec eux. Puis, modernité oblige, la société anonyme a permis aux dirigeants d’entreprise de ne pas mettre en danger leurs avoirs personnels et donc d’être en quelque sorte irresponsables. Il y a de bonnes habitudes qui se sont visiblement perdues au fil du temps.  

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