Amid Faljaoui

Etats-Unis et Chine : derrière la trêve, une grande duplicité

Et si nous faisions un petit flash-back ? La semaine dernière, l’événement le plus important à garder à l’esprit, c’était la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping, les dirigeants des deux plus puissantes économies du monde.

Pareille rencontre était en soi un message au monde entier, qu’on pourrait résumer de la sorte : « il y a déjà deux conflits majeurs en ce moment – en Ukraine et à Gaza – n’ajoutons pas un troisième conflit ».

Trois conflits, c’est visiblement un de trop pour Washington. Surtout à un an des élections présidentielles américaines. Lors de cette rencontre au sommet, les deux dirigeants n’ont pas hésité à faire preuve d’amabilité et à dire par exemple, « nous avons décidé de pouvoir décrocher notre téléphone et de nous parler directement ». Deux puissances nucléaires qui veulent éviter un malentendu ou une guerre par accident, c’est tant mieux pour nous tous. D’ailleurs, si les Etats-Unis jouent la carte de la pause stratégique en ce moment, c’est aussi parce qu’ils ont compris que la Chine n’était pas l’URSS.

A l’époque de la guerre froide, la stratégie des Etats-Unis visait à isoler Moscou et à attendre l’effondrement de son régime communiste. En ce qui concerne la Chine, les stratèges de Washington ont compris que l’attente risque d’être nettement plus longue. Et la Chine, pour l’heure, ne semble pas prête à s’effondrer même si le monde économique chinois n’hésite plus à râler ouvertement contre son président. Il est vrai que le président Xi Jinping est plus idéologue que ses prédécesseurs et n’hésite pas à s’immiscer dans le business au grand désespoir de ses compatriotes.

Pourquoi cette pause stratégique dans ce conflit économique larvé entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales ? Première raison : Joe Biden se représente aux prochaines élections présidentielles et n’a pas besoin de tensions économiques supplémentaires qui pourraient entraver sa réélection. Les Chinois semblent assez d’accord, car alors que les Russes et singulièrement Poutine attendent le retour de Trump à la Maison Blanche comme le messie, ce n’est pas le cas des Chinois. Il y a donc en quelque sorte une alliance tacite entre Pékin et Washington pour barrer la route à Donald Trump. Comme me le faisait remarquer un ami belge, lui-même professeur invité à l’université de Shanghai, « les Chinois tiennent un discours proche des Russes, mais en réalité, ils sont éloignés des Russes. D’ailleurs, les personnes riches en Chine continuent d’envoyer leurs enfants étudier aux Etats-Unis et pas à Moscou ».

L’autre raison pour laquelle les Américains veulent aussi une pause stratégique, c’est qu’ils ont besoin de temps pour se rendre indépendant des semi-conducteurs de Taïwan. Plus de 60% des semi-conducteurs fabriqués dans le monde, le sont sur cette petite île. Les Américains ont compris très tôt le danger d’un embargo sur Taïwan par la Chine. Résultat : ils redoublent d’effort pour fabriquer leurs propres semi-conducteurs ou inciter leurs alliés (Pays-Bas et Japon) à en fabriquer eux-mêmes, mais ils savent aussi qu’il leur faudra sans doute 10 ans pour arriver à cette indépendance technologique. A ce moment-là, ne nous faisons pas d’illusion, les Etats-Unis risquent de laisser tomber Taïwan. N’oublions pas, comme le disait le général de Gaulle : « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Les Chinois le savent bien et sont donc prêts à attendre encore 10 ans avant d’annexer Taïwan pour peu que les Etats-Unis ne réarment pas trop l’île indépendantiste. La Chine a aussi besoin de la technologie américaine pour continuer à se développer et les embargos actuels sur certaines technologies font mal à l’économie chinoise. Autrement dit, Pékin a aussi besoin de temps pour se rendre indépendant des Etats-Unis. La grande duplicité de cette rencontre au sommet, c’est que sous couvert de collaboration, les deux super puissances veulent s’émanciper l’une de l’autre, mais ne peuvent pas y arriver aujourd’hui. La froideur du raisonnement pourrait effrayer certains, mais en ces temps d’hystérie médiatique autour du conflit du Proche-Orient, la rationalité des deux plus grandes puissantes nucléaires est plutôt de nature à rassurer.

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