Paul Vacca
Des inconvénients d’être leader
On le sait, au moins depuis David et Goliath, le fait d’être leader ne présente pas que des avantages. La Silicon Valley s’est d’ailleurs depuis toujours totalement imprégnée de ce narratif biblique. A son origine, déjà, en faisant naître des David dans ses “garages” mythiques à l’attaque des Goliath d’alors. Et aujourd’hui encore, où les Big Techs, pourtant des mastodontes de la valorisation mieux dotés que certains Etats, réussissent à se faire passer pour de frétillants David.
A priori tout prédestinait le “goliathesque” Google à faire la course en tête dans l’IA, l’eldorado du moment. La recherche en ligne, dont il est le leader incontesté depuis 25 ans au moins, ne présente-t-elle pas de nombreuses affinités avec l’IA ? Or les essais avec Bard, son robot conversationnel, puis ceux avec Gemini, son IA, ont été de cuisants revers. En générant des réponses absurdes avec Bard et des images incongrues avec Gemini, Google a été la risée des réseaux sociaux. Mais plus inquiétant, suite à une démo catastrophique, le titre Alphabet (maison mère de Google) a dévissé de 100 milliards de dollars en valorisation. C’est cher payé l’impréparation.
Car le premier inconvénient d’être leader, c’est d’abord celui d’être surexposé en cas d’échec ou même de simple déconvenue. Lorsqu’on est dans son garage ou une start-up naissante et que l’on échoue, personne n’est au courant. Et, comme pour les nouveaux-nés, tout le monde s’ébahit devant le moindre de ses balbutiements quand, au contraire, on ne pardonne rien au leader. Certes, ce n’est pas la première fois que l’entreprise fait fausse route. On se souvient du crash des Google Glass en 2012. Mais les lunettes connectées constituaient un essai de diversification, alors que l’IA est un enjeu tout autre qui touche au noyau stratégique de l’entreprise: la recherche en ligne sur laquelle Google et même tout Alphabet repose et prospère.
Quand une start-up naissante échoue, personne n’est au courant. Alors qu’on ne pardonne rien au leader.
Le deuxième inconvénient d’être leader, c’est d’être à portée de fronde de n’importe quel David venu. Et ce David en l’occurrence s’appelle ChatGPT. De l’aveu même de Sundar Pichai, le CEO de Google, il n’a pas vu venir cette frénésie soudaine autour de l’IA générée par ChatGPT en 2022. Il avait un autre agenda pour l’IA au sein du groupe : avancer de façon incrémentale, pas à pas, comme c’est culturellement de mise dans l’entreprise où le système d’exploitation Android, le navigateur Chrome, le cloud avec toutes ses applications, la boîte de courriel Gmail et YouTube ont chacun leur couloir d’innovation dédié.
Or, et c’est le troisième inconvénient d’être leader, il est très difficile, quand les choses fonctionnent à cette échelle, de se réinventer. C’est l’effet d’inertie du leader. D’autant que face à cette stratégie consensuelle et incrémentale se dresse celle interventionniste et agressive de Satya Nadella. Le CEO de Microsoft a investi 13 milliards de dollars dans OpenAI – la boîte à l’origine de ChatGPT – et dans la start-up française Mistral de même qu’il intègre de façon massive de l’IA dans les produits de la marque. La guerre est lancée.
Google se trouve donc sur une ligne de crête très délicate à gérer: produire l’IA attendue par les marchés sans pour autant cannibaliser sa vache à lait, la recherche en ligne et la publicité. Un pari qu’avait réussi Steve Jobs avec Apple en son temps qui adorait s’auto-disrupter, prenant le risque de sortir des innovations (comme l’iPad notamment) susceptibles de cannibaliser ses produits installés. Jobs avait compris qu’il valait mieux que ce soit lui qui le fasse plutôt que la concurrence trouvant ainsi la formule pour rester un vigoureux David dans la peau d’un Goliath.
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