Bruno Colmant
Bienvenue dans la machine
Welcome to the Machine est une chanson de Pink Floyd qui apparaît sur l’album Wish You Were Here (1975). Quelques strophes prophétisaient notre monde numérisé : « Welcome to the machine. Where have you been? It’s alright we know where you’ve been . »
Des percées quotidiennes dans le domaine de la numérisation, du Big Data, de l’automatisation, des biotechnologies, de la robotisation et de l’intelligence artificielle laissent présumer l’entrée de l’humanité dans la quatrième révolution industrielle.
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, auxquels il faut ajouter Nvidia) ainsi que les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) fournissent chaque jour la preuve de changements technologiques disruptifs. Ces progrès technologiques s’accompagnent généralement de la crainte de voir des emplois disparaître. Actuellement, celle-ci a dépassé les inquiétudes des travailleurs d’emplois industriels pour s’étendre aux occupants de postes de travail de toute nature, susceptibles d’automatisation.
Bien sûr, la peur du progrès n’est pas nouvelle. En atteste l’interdiction, par l’empereur romain Dioclétien (244-311), de l’utilisation d’un nouvel outil permettant de soulever des colonnes afin de ne pas retirer de travail à son peuple. Pareillement, au début du XIXe siècle, les canuts et les luddites détruisirent des métiers à tisser, tant en France qu’au Royaume-Uni, par crainte de voir l’artisanat menacé.
Mais aujourd’hui, libérées de tout cloisonnement géographique, les chaînes de production ont le choix de passer les frontières en quête des localisations les plus rentables. De nombreux facteurs sont ainsi mis en perspective : coûts salariaux, accès au marché, connaissances, infrastructures, fiscalité, etc. Aimantées par des destinations meilleur marché, les chaînes de production ôtent ainsi leur raison d’être aux mêmes postes de travail occupés par la classe moyenne dans le monde occidental.
Par ailleurs, les postes de travail impliquant une certaine répétition d’actions (par exemple les emplois de trieurs, agriculteurs, dactylographes, services postaux, call centers, ouvriers d’usine) peuvent être partiellement remplacés par la robotique et la technologie. Cet effet de substitution est moins présent dans le cadre des emplois hautement qualifiés, trop complexes pour être automatisés, mais également dans celui de certains emplois peu qualifiés, peu répétitifs et nécessitant d’être réalisés au niveau local.
Certains imaginent que les métiers de création, d’intuition et d’expérience seront préservés, mais c’est pourtant l’inverse qui se produira. Depuis plusieurs années, les avertissements de créateurs d’entreprises d’envergure mondiale se multiplient au sujet de l’intelligence artificielle. Certains, tel Bill Gates, ont même plaidé pour la taxation des robots. Que se passe-t-il ?
Progressivement, les façonneurs du XXIe siècle se rendent compte que le choc social qui va frapper nos économies est titanesque. On aurait pu croire que la numérisation, qui conduit essentiellement à une automation améliorée des tâches humaines, allait, à terme, créer autant d’emplois qu’elle n’allait en détruire. Mais l’intelligence artificielle, c’est différent : ce sont des métiers, relevant essentiellement de la classe moyenne, qui vont disparaître. Or, ces métiers concernent la majorité de ceux qui relèvent de l’économie tertiaire.
Des chercheurs hollandais ont peint un Rembrandt, quatre siècles après sa mort, grâce à un puissant algorithme d’intelligence artificielle et une imprimante 3D. Il ne s’agit que d’une copie… mais plus tout à fait. Grâce à ces techniques, le marché des échanges sera transformé en des multitudes de micromarchés répondant aux courbes d’utilité de chaque individu. Et que penser du dernier album des Beatles, Now and Then, publié plus de quarante ans après la mort de John Lennon ?
Par ailleurs, l’économie digitale permet aux créateurs de ce nouvel environnement d’être hors de portée physique de ses victimes. Il suffit de penser aux développements inimaginables du Metaverse. Certains dirigeants de Google parlent d’humanité 2.0, avec la vision messianique de transformer le monde… et même d’annihiler la mort. Cela rappelle le gnosticisme, courant religieux postulant que l’imperfection du monde ne pouvait qu’être l’œuvre d’un démiurge dissident qui avait temporairement usurpé les pouvoirs du vrai Dieu. Dieu avait donc un Dieu. Il est temps de bien réfléchir. Et si l’intelligence artificielle balayait le monde ? Et si nous étions au bord d’une transfiguration de l’humanité alimentant un bouillonnement social généralisé ?
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