Amid Faljaoui

BCE: la hausse des taux de trop, voire… criminelle?

Si vous voulez savoir si les taux d’intérêt (du moins ceux à court terme) vont baisser, ne vous faites aucune illusion, ce n’est pas avant 2024 pour la zone euro.

Si je suis si sûr de moi alors qu’en matière de prévision financière, c’est la prudence qui prime, c’est parce que ce jeudi, la Banque centrale européenne n’a pas hésité à augmenter pour la 10e fois en un an son taux d’intérêt principal. Vous avez bien entendu, elle a provoqué dix hausses de taux d’intérêt en un peu plus de 18 mois. Et donc, le principal taux d’intérêt de notre Banque centrale européenne est désormais fixé à 4%. C’est son plus haut niveau historique, car il faut remonter à l’année 2000 pour trouver un taux aussi élevé.

Vous avez remarqué que j’ai utilisé le verbe « hésiter », j’ai dit que la BCE n’a pas hésité à encore augmenter ses taux au lieu de se calmer et de se mettre en mode pause. J’en parle, car le mandat de la banque centrale est clair : elle est supposée lutter contre l’inflation en zone euro, dès que celle-ci dépasse les 2% en moyenne. Or, les prévisions pour la zone euro montrent que, même si l’inflation n’est plus à des 10% comme en 2022, elle reste encore trop élevée ; autour des 5% en 2023 et sans doute autour des 3% en 2024. Donc, la Banque centrale européenne a fait ce qu’elle estime devoir faire, c’est-à-dire augmenter les taux d’intérêt pour refroidir encore plus l’inflation.

Vous me direz qu’elle est donc dans son rôle. Cela dépend. Beaucoup d’économistes estiment que cette hausse des taux, ce jeudi, était la hausse de trop. Pourquoi ? Mais parce qu’il n’y a pas que l’inflation qui compte dans la vie, la croissance est aussi importante ! Or, justement, en raison de toutes ces hausses des taux, on voit bien qu’en Europe, la croissance est en train de caler. Donc, la vraie question, débattue en ce moment, c’est : fallait-il vraiment encore augmenter les taux d’intérêt pour faire baisser l’inflation alors que les signes d’une éventuelle récession sont à notre porte, en tout cas pour 2024. La critique faite à la Banque centrale européenne, c’est d’avoir utilisé un remède de cheval pour terrasser l’inflation. En clair, on sera guéri de l’inflation, mais on aura tué en même la croissance. Ou autrement dit, la BCE préfère augmenter le chômage pour sauvegarder notre pouvoir d’achat ; une autre manière de dire qu’on sera mort guéri en quelque sorte.

Bien entendu, les dirigeants de la Banque centrale européenne diront qu’ils sont juste déterminés à lutter contre l’inflation, mais d’autres diront qu’ils ne sont pas déterminés, mais plutôt obstinés, ce qui n’est pas la même chose. D’abord, parce que cette 10e hausse des taux est prise à l’aveugle. Pourquoi ? Mais parce qu’en moyenne, il faut attendre entre 16 et 18 mois pour voir l’impact d’une hausse des taux d’intérêt sur l’économie. Donc, l’impact des dernières hausses n’est pas encore connu. Sauf dans le secteur immobilier qui souffre le martyre, en ce moment, à cause de ces hausses de taux trop rapides et trop brutales. Or, historiquement, quand le bâtiment va mal, le reste de l’économie ne se porte pas trop bien non plus.

Ensuite, certains économistes se demandent si ce mandat de ne pas dépasser les 2% d’inflation en zone euro n’est pas dépassé. On sait bien qu’avec le vieillissement de la population, avec la démondialisation et la transition énergétique, les prix seront désormais durablement un peu plus élevés que par le passé. Pourquoi donc la BCE se braque-t-elle sur ce taux d’inflation de 2% à atteindre alors qu’elle pourrait se donner une cible un peu plus élevée et éviter d’augmenter trop vite ses taux d’intérêt au risque de nous tuer, tous, collectivement sous prétexte de nous sauver contre une inflation.

Les juristes ont coutume de dire qu’il ne faut changer une loi qu’avec une main tremblante. Christine Lagarde, la présidente de la BCE qui est juriste de formation, a visiblement oublié ce vieil adage de prudence. Lisez la presse économique de ce week-end et vous verrez que le débat ne fait que commencer. En résumé, une seule chose à retenir : les taux d’intérêt ne baisseront probablement pas avant le second semestre 2024 en Europe.

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