Carte blanche
Un “doughnut management”? Chiche !
Qu’est-ce que le « doughnut management » ? Une nouvelle tendance dans la gestion de l’entreprise ? Bruno Colmant a récemment publié une opinion à ce sujet dans ce magazine. Il le conçoit comme un modèle où « les entreprises abandonnent pour partie la hiérarchie traditionnelle pour se tourner vers l’intelligence artificielle afin de mesurer le bien-fondé holistique de leur décision ».
Réponse à Bruno Colmant: L’entreprise de demain : le « doughnut management »
Nous partageons avec lui la perspective que “l’économie du donut” peut être un formidable outil d’accompagnement d’entreprises. Cependant, il nous semble utile de nous mettre d’accord sur ce que cet outil peut apporter… ou pas. Notre expérience d’accompagnement d’entreprises pionnières en Belgique voulant mobiliser cet outil, nous fait penser qu’il faut éclaircir le message clé de cette approche. C’est le but de notre carte blanche.
La carte blanche de Bruno Colmant fait référence par là à l’économie du Donut. Il s’agit d’une théorie développée par l’économiste britannique Kate Raworth, proposant un changement profond dans la manière d’envisager le développement de nos sociétés : l’objectif de répondre aux besoins de tous les citoyen∙ne∙s tout en respectant la santé de la planète. Il se présente sous la forme d’un donut car il est un composé d’un cercle intérieur représentant le “plancher
social” permettant aux individus de vivre une vie digne et délivrée de la précarité, et d’un cercle extérieur, “le plafond écologique”, représentant les limites planétaires à ne pas dépasser. En respectant ces deux limites, nos sociétés peuvent évoluer durablement au sein d’un espace juste et sûr.
A l’intérieur de ce Donut, se dessine une économie où les entreprises adoptent des pratiques résolument régénératives et distributives. Comme le pointe justement Bruno Colmant, le modèle du Donut permet une prise en compte holistique des impacts d’une entreprise, qui soient tant environnementaux que sociaux, tant directs qu’indirects. Mais, au-delà d’un diagnostic sur les activités, l’approche du Donut va surtout se pencher sur la configuration même de l’entreprise, c’est-à-dire la façon dont elle fonctionne ou son ‘design’. Celui-ci va réellement conditionner l’adoption de pratiques distributives et régénératives essentielles pour fonctionner dans l’espace juste et sûr du Donut. Travailler sur la configuration de l’entreprise va demander aux acteurs économiques de se questionner à 5 niveaux :
- L’objectif ou la mission de l’entreprise permet-elle de mettre les enjeux sociaux et environnementaux au même pied d’égalité que les enjeux financiers ? Si l’objectif d’impact positif n’apparaît pas clairement au sein de la mission d’entreprise, il peut rapidement être mis au second plan en faveur des objectifs financiers.
- A travers ses réseaux, comment l’entreprise peut favoriser des partenariats qui prônent la transparence, la relation de confiance et la collaboration à long terme nécessaire pour gagner en résilience ?
- Comment la gouvernance permet de faire les bons compromis entre les enjeux sociaux et environnementaux face aux exigences financières ? Qui a voix au chapitre et comment les décisions sont-elles prises ? Donner une place à la nature, aux employés ou à toutes autres parties prenantes importantes pour l’entreprise sont des pratiques recommandées par le modèle du Donut.
- Comment la finance peut être au service de la mission et réinvestie dans les innovations nécessaires à la transition ? Beaucoup d’entreprises témoignent vouloir développer des solutions durables, mais se heurtent à l’exigence de devoir générer des rendements élevés à court terme. De telles exigences ont tendance à freiner l’avènement de ces solutions (qui existent pourtant bien).
- Enfin, quelle est la propriété de l’entreprise ? Quelles sont les exigences financières imposées par les propriétaires ? La maximisation de dividendes à court terme empêche souvent l’entreprise à canaliser ses investissements dans des innovations à moindre rendement à court terme mais à haut bénéfices (au sens large) sur le long terme.
Voilà les raisons qui amènent l’économie du Donut à proposer un nouveau discours aux entreprises questionnant le modèle « business-as-usual ». L’objectif premier consiste en ce sens à faire en sorte que la configuration de l’entreprise serve de levier pour amplifier les impacts positifs de l’entreprise.
L’implication de l’intelligence artificielle dans ce cadre est originale mais n’est pas centrale selon nous. Si son avènement va très certainement bousculer bon nombre de pratiques, toute la question concerne la façon dont elle va être mobilisée par les entreprises : au service de la qualité holistique de leur mission ou comme outil pour accélérer la course au gonflement des dividendes ?
L’ASBL Confluences est une structure dont la mission centrale est d’accompagner des groupes et organisations qui veulent se mettre en recherche et expérimenter des solutions innovantes en co-création, en particulier à Bruxelles.
Confluences est entre autres chargée du projet BrusselsDonut qui a pour mission d’accompagner la transition économique, écologique et sociale nécessaire de la Région de Bruxelles-Capitale tant au niveau du secteur public, associatif que privé.
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