Carte blanche
Le mythe du discours spontané
Lorsqu’on monte sur scène, on donne une performance. Cela ne signifie pas que le fond ne soit pas présent, mais plutôt que ce contenu est mis en valeur avec une forme soignée. On n’a pas le droit de ne pas être bien, d’être malade ou miné. Il faut donner plus que l’on prend et cela requiert de l’énergie.
Par Ihsane Haouach (Author -Speaker – Trainer -Advisor)
Lors de ma dernière prise de parole en public, j’étais souffrante. Sur le chemin, je me suis trompée de direction de bus et suis descendue au mauvais arrêt, c’est dire le niveau de fonctionnalité de mon cerveau. Un collègue m’a demandé ; “Est-ce que tu peux annuler ?” Non. Lorsqu’on est invité à s’exprimer lors d’un TEDx, on ne décale pas, on n’annule pas, on assure c’est tout. Alors, j’ai géré mes remèdes homéopathiques et médicaux pour optimiser leurs effets pendant la soirée. J’ai annulé toutes mes activités non essentielles le jour précédent. J’ai essayé de me soigner en vitesse accélérée, mais le corps a ses raisons que la raison ne connaît point. Je ne contrôle pas mon corps. Mais je contrôle mes pensées. Je vais livrer dans cet article quelques conseils (liste non exhaustive) qui pourront servir à gérer votre prise de parole publique, que vous soyez en forme ou pas.
La voix vient du ventre. Lorsque j’ai fait du théâtre, j’ai appris qu’il faut s’exprimer en utilisant son diaphragme. Si vous êtes malade, il est encore plus nécessaire de ne pas fatiguer vos cordes vocales. Cette technique permet d’amener un timbre plus profond, plus agréable aux oreilles, tout en maîtrisant sa respiration et son souffle.
Silence. Il faut marquer des pauses pour laisser à votre audience le temps de processer les informations, pour ramener les esprits évadés et pour respirer : vous permettre de respirer et laisser respirer les autres. Lors de ce TEDxBrussels, j’ai marqué un arrêt d’environ 15 secondes : si ce temps paraît long en tant qu’oratrice, il est assez court pour une audience. De nature, je n’aurais pas laissé autant de secondes passées à contempler le public avec un sourire, telle une enseignante demandant à son élève de corriger sa réponse. Mais j’en avais besoin. Question de terminer le talk sans suffoquer.
Se connecter. J’adore observer les gens. Tellement de choses sont dites avec le non verbal. En regardant dans les yeux, en consultant les postures, vous savez rapidement si vous intéressez votre monde ou pas. Et il est toujours temps de se rattraper.
Être soi-même. N’imitez pas, inspirez-vous et trouver votre propre style. L’authenticité ne se simule pas, elle se ressent.
Être indulgent·e. L’exercice est déjà assez difficile, nul besoin d’ajouter de la pression. La perfection n’est pas un objectif. Si vous commettez une erreur, ce n’est pas grave, continuez. Chassez les idées négatives de votre tête en vous concentrant sur votre message. “The show must go on”.
Jouer avec le rythme. J’ai appris l’importance du rythme dans mes cours de solfège. Un même morceau peut être joué de manière complètement différente si vous variez le rythme. Une référence en la matière est la talk de Simon Sinek dans sa fabuleuse démonstration du cercle d’or. Au-delà du fond, il effectue quelques enchaînements de phrases de manière magistrale. Si vous accélérez, n’oubliez pas de décélérer de temps en temps, et bien sûr, la plus grande partie de votre speech doit être à rythme traditionnel.
Maîtriser son contenu. J’aime beaucoup la citation de George Bernard Shaw : “Je suis le présentateur le plus spontané́ du monde, parce que chaque mot, chaque geste, et chaque réplique ont été attentivement répétées.” N’écoutez pas ces personnes qui vous disent “Je n’avais rien préparé”. C’est faux. Tout le monde répète. Ce n’est pas une dévalorisation de l’expertise, bien au contraire. Cela démontre le caractère sérieux et professionnel de l’intervention. Évidemment, si un individu a déjà parlé plusieurs fois du même sujet, il n’a pas besoin de beaucoup s’entraîner. Au plus votre temps de présentation sera court, au plus votre préparation sera essentielle. Dans le cadre d’un TED, des coaches délivrent un formidable travail d’accompagnement. Une amie m’a dit : “Mais tu n’en as pas besoin, tu as l’habitude”. J’en avais besoin. J’ai bénéficié de feedbacks pertinents qui ont permis d’augmenter la qualité de l’intervention. L’avantage de la préparation, c’est que si vous êtes déstabilisé par une nouvelle ou un évènement (comme le fait de tomber malade), vous ne risquez pas de vous perdre. Votre message est tellement ancré dans votre mental que vous êtes capable de l’expliquer de manière semi-automatique, comme lorsque vous empruntez le même chemin pour rentrer chez vous.
Jauger son besoin de support. Pour les longues présentations, il est souvent nécessaire d’avoir des slides. La majorité de la population a une mémoire visuelle. Pour les courtes présentations, demandez-vous ce qui est utile. Parfois, quelques images aident, parfois, non. Bien adapté, votre support servira de boussole. Trop détaillé, il sera votre ennemi, la tentation sera trop grande de lire le texte contenu sur vos slides ou vos fiches. Vous ne voulez pas que votre audience lise ce qui est projeté derrière vous au risque de ne plus vous écouter. Si vous êtes sur scène, c’est pour délivrer un message personnellement.
Penser impact. Une fois votre script terminé, relisez-le et enlevez tout ce qui n’est pas nécessaire. Connaître les profils types de son audience aide. Il est préférable de transmettre un seul message de manière percutante plutôt que plusieurs messages à moitié compris.
Profiter. Même si trois personnes sur quatre auraient la phobie de parler en public, l’expérience en vaut la peine. Alors, profitez-en. Il m’est arrivé de sortir de scène et de me dire “ouf, c’est fait”. C’est surtout raté. Il est exceptionnel et précieux de pouvoir s’adresser à des dizaines, centaines, milliers de personnes à la fois.
La scène n’est pas réservée à certaines personnes, vues comme naturelles dans ce rôle. La scène doit nous être accessible à toutes et tous, car tout le monde a quelque chose de différent à raconter. Lorsque nous organisons un événement, pensons à amener des individus moins connus à côté de personnalités connues, afin de favoriser l’émergence de nouvelles expertises et une plus grande diversité de représentation.
« Tu sais l’égo qu’il faut pour monter sur scène » chante le groupe belge Colt. Ayons suffisamment d’égo pour partager nos idées en public et d’humilité pour écouter les autres.
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