Carte blanche
Le marché du travail doit d’urgence s’affranchir de la polarisation
Anouk Lagae, CEO sortante d’Accent : « Les idées fixes concernant les malades de longue durée, l’inclusivité et la flexibilité doivent être aux centres des débats de cette année électorale. »
C’était la dernière semaine d’Anouk Lagae en tant que CEO de la société de placement de talents Accent. Une dernière fois, elle a élevé la voix pour parler de la polarisation du marché du travail. Selon Lagae, nous devons apprendre à nous défaire de croyances bien ancrées sur la maladie de longue durée, le travail flexible, les changements du marché du travail et l’inclusion. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons faire face à la pénurie persistante sur le marché du travail.
L’incapacité de travail est un terme stigmatisant
Les entreprises continuent d’éprouver des difficultés à pourvoir leurs postes vacants, la guerre des talents n’est pas terminée. Ce n’est pas le taux de chômage qui pose problème, mais le taux d’absentéisme pour cause de maladie. Si le taux de chômage n’a pas nécessairement augmenté ces dernières années, alors que c’est particulièrement le cas pour le taux de maladie. De plus en plus de personnes sont malades pendant de longues périodes et sont donc qualifiées d’inaptes au travail. En Belgique, cette étiquette est source de polarisation. Elle suggère que les gens ne peuvent plus travailler du tout, mais cette image ne correspond pas à la réalité.
Les malades de longue durée peuvent ne pas être en mesure de reprendre le travail dans la même fonction qu’auparavant, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas en mesure d’occuper un autre emploi, éventuellement avec des prestations complémentaires ou un maintien du salaire. Il est urgent de mettre en place un nouveau statut pour faciliter le retour au travail des personnes en congé maladie de longue durée, afin qu’elles ne soient plus perçues comme des victimes ou comme incompétentes, et que les stigmates associés à leur statut diminuent. Ces personnes possèdent encore de nombreuses compétences qui peuvent être mises à profit de manière différente.
Cependant, il existe actuellement encore trop de barrières législatives pour qu’un tel statut puisse voir le jour. Les principaux partis se renvoient la balle, mais les réformes en profondeur, qui sont nécessaires pour apporter des changements, tardent trop à se concrétiser. Personne ne se préoccupe vraiment de la situation. Accent souhaite participer à la réflexion, en s’appuyant sur l’expertise qu’elle a développé en matière de marché du travail. Rester simplement spectateur n’est plus une option. Il est important que les entreprises, les mutuelles, les médecins et les services de prévention unissent leurs forces pour agir. Chacun peut apporter sa pierre à l’édifice, mais les pouvoirs publics doivent impérativement mettre en place un cadre juridique adapté qui permette d’aller plus loin.
La flexibilité doit être facilitée et adoptée
Le marché du travail se caractérise par une plus grande fragmentation des types de contrats. L’époque d’une longue carrière fixe au sein de la même entreprise est révolue. Les jeunes générations ne veulent plus être liées à un seul employeur. Elles recherchent moins une carrière, mais veulent de la flexibilité et des expériences.
Des modes de travail plus souples, tels que les flexi-jobs ou le travail intérimaire, peuvent répondre à leur demande. Ceux-ci permettent d’effectuer un travail certains jours de la semaine et un autre plus en phase avec leur passion les autres jours. Par exemple, des travailleurs pourraient travailler quatre jours par semaine en tant que comptable et exercer une activité de photographe un jour par semaine. On les appelle les « slashers ».
Les entreprises doivent répondre à cette demande de flexibilité et les gouvernements doivent la faciliter davantage. À l’heure actuelle, il y a beaucoup d’ambiguïté sur les formes de travail flexibles. Qu’en est-il d’un plafond salarial pour les flexi-jobs ? Peut-on travailler à mi-temps et tout de même exercer un flexi-job ? Peut-on travailler à temps partiel dans n’importe quel emploi, et les employeurs doivent-ils l’autoriser de toute façon si les employés le demandent ? Ces incertitudes signifient que nous n’osons pas encore suffisamment adopter les formes de travail flexibles, et cela doit changer.
Les emplois d’aujourd’hui ne sont pas ceux de demain
Non seulement la flexibilité doit être davantage adoptée, mais les entreprises doivent aussi comprendre que notre marché du travail évolue à un rythme effréné en termes d’exigences et de types d’emplois. Les emplois d’aujourd’hui ne sont pas nécessairement ceux de demain. Les innovations actuelles nécessiteront de nouveaux emplois pour s’adapter et travailler avec elles.
Prenons l’exemple de l’installateur de bornes de recharge. Il y a quelques années, ce métier n’existait peut-être pas, mais avec l’essor de la voiture électrique, ces profils sont de plus en plus demandés.
Chez Accent, nous nous engageons à préparer les gens d’aujourd’hui à exercer les emplois de demain. Grâce à nos programmes de reconversion, nous offrons aux individus la possibilité d’ajuster leurs compétences afin de pouvoir exercer d’autres types d’emplois. Nous proposons nous-mêmes des solutions à nos clients, car nous ne pouvons pas attendre que la pédagogie et la formation professionnelle s’adaptent à l’évolution du marché. Les candidats devront réaliser qu’ils ne seront jamais vraiment « diplômés ». L’apprentissage continu sera nécessaire à l’avenir.
L’inclusion va de pair avec un lieu de travail productif
Les entreprises doivent recruter des personnes plus inclusives. Chez Accent, nous constatons que les entreprises veulent être moins polarisées et ouvertes à des profils plus diversifiés. Elles ne devraient pas se contenter de rechercher des profils correspondant aux postes à pourvoir, mais devraient davantage rechercher l’adéquation culturelle. Nous croyons fermement à l’idée de « recruter la volonté, former les compétences ». Si les connaissances ou l’expérience d’une personne ne correspondent pas au profil recherché, l’entreprise peut former cette personne.
Accent a lancé fin 2022 l’open-minded hiring, un principe visant à inciter les entreprises à recruter, sans préjugés, des profils plus diversifiés. Le recrutement ouvert est un moyen de rendre le lieu de travail plus inclusif afin qu’il reflète la diversité de la société. Dans notre pays, il existe de nombreux métiers en pénurie que les gens ne peuvent ou ne veulent pas exercer. Une partie de la solution pour pourvoir ces postes consiste à autoriser la migration de la main-d’oeuvre. Cependant, la migration de la main-d’oeuvre est encore trop souvent perçue comme une menace et la législation, en particulier pour les migrants extra-européens, est lourde et peu flexible. En outre, de nombreux aspects rendent la Belgique peu attrayante pour les travailleurs migrants. Pensons par exemple au décret sur le logement, qui est complètement dépassé et rend impossible la mise en place de formes plus flexibles de cohabitation qui pourraient être très intéressantes pour les travailleurs migrants.
Ce n’est qu’en traitant ces questions avec plus de souplesse que nous pourrons faire face aux tensions sur le marché du travail. Il y a tant de talents, pourquoi les gaspiller ?
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