Carte blanche

La dé-dollarisation, un pari risqué sur la scène internationale

Depuis 2017 Emmanuel Macron plaide en faveur d’une plus grande autonomie stratégique européenne. Cette vision repose sur l’idée que l’Europe devrait renforcer sa capacité à prendre des décisions indépendantes et à agir par elle-même sur les questions de sécurité et de défense, plutôt que de dépendre principalement des États-Unis dans ces domaines.

Cette vision suscite de vifs débats au sein de l’UE, avec des opinions divergentes sur le degré d’autonomie stratégique que l’Europe devrait viser. Mais une autre question, sous-jacente, est dans toutes les têtes : l’indépendance stratégique est-elle possible sans une « dé-dollarisation » de l’économie ? Et cette dernière est-elle vraiment envisageable ? 

L’article qui suit le montre : la suprématie du dollar est loin d’être acquise. 

Dette mondiale: prédominance du dollar américain

Le dollar américain demeure la principale monnaie de réserve internationale, ce qui signifie qu’il est largement détenu par les banques centrales et utilisé pour régler les transactions internationales. En conséquence, de nombreux pays préfèrent émettre leur dette en dollars pour attirer les investisseurs internationaux et faciliter les échanges commerciaux.

Les marchés financiers américains étant parmi les plus vastes et les plus liquides au monde, émettre de la dette en dollars permet aux pays d’accéder à un large pool d’investisseurs internationaux et de bénéficier de taux d’intérêt potentiellement plus bas.

C’est notamment pour ces raisons que la majeure partie de la dette mondiale est libellée en USD et pour la rembourser, vous devez avoir accès aux dollars américains. C’est vrai pour toutes les grandes puissances économiques, même la Chine, dont les premiers emprunts dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie ont été émis en USD.

Hégémonie militaire et pouvoir monétaire, deux concepts étroitement liés

Une autre raison, géostratégique, explique les liens forts entre le billet vert  et certaines régions du monde.  

Plus les liens militaires d’un pays sont forts avec les Etats unis, plus ledit pays dépend du dollar américain. Une étude de la Fed (Réserve fédérale des États-Unis) montre ainsi que les 3/4 des réserves mondiales de dollars américains sont détenues par des pays ayant des liens militaires étroits avec les Etats Unis. Même si demain, le dollar était moins utilisé dans le commerce mondial (ce qui est peu probable), cela ne signifierait pas nécessairement que le dollar perdrait son statut de principale réserve de valeur internationale, précisément à cause de l’hégémonie militaire américaine. En 2022, le budget de défense des Etats-Unis s’élevait à environ 737 milliards de dollars, ce qui représentait près de 39% des dépenses militaires mondiales.

La force économique des Etats Unis, un rapport de confiance

Enfin, plusieurs facteurs structurels soutiennent un système monétaire international centré sur le dollar, plutôt que sur le yuan.

D’une part, le dollar est extrêmement liquide grâce à la profondeur des marchés financiers. Les marchés financiers américains, tels que Wall Street, sont parmi les plus vastes et les plus liquides au monde. Cela signifie qu’il est relativement facile d’acheter et de vendre des actifs libellés en dollars, ce qui renforce l’attrait du dollar comme monnaie d’échange internationale et facilite le financement des opérations commerciales mondiales. Bien que la liquidité du yuan s’améliore progressivement à mesure que la Chine poursuit ses efforts pour internationaliser sa monnaie, il faudra probablement du temps avant que le yuan ne puisse rivaliser pleinement avec la liquidité du dollar américain sur la scène mondiale.

Ensuite, le yuan est lui-même principalement indexé sur le dollar américain. Il peut dès lors être influencé par les fluctuations du dollar en raison de la nature des relations économiques et commerciales entre les États-Unis et la Chine. Des changements dans la valeur du dollar américain peuvent avoir un impact sur la compétitivité des exportations chinoises et sur la politique monétaire et les décisions de change de la Chine.

Vers une décentralisation ?

Le dollar a encore de beaux jours devant lui. Mais la concurrence ces prochaines années s’annonce sévère.  Nous entrons probablement dans un système monétaire mondial plus décentralisé où le dollar américain restera la principale monnaie de réserve à côté de nombreux autres concurrents tels que le yuan. Il s’agit d’une évolution saine et normale pour l’économie mondiale, mais surtout pour l’économie américaine. Que tous les pays dépendent de la monnaie d’un seul autre pays n’est pas bon et génère des déséquilibres à la fois pour eux et pour les Etats unis. 

La décentralisation pourrait donc progressivement s’imposer sous l’ombre hégémonique mais consentante des Etats-Unis. Une stratégie d’autant plus probable que les Etats-Unis ont désormais intégré ce redoutable retour du bâton du billet vert : l’hégémonie de leur monnaie augmente la puissance d’importation et diminue leur compétitivité à l’exportation. 

A l’inverse, la diversification mondiale des réserves des banques centrales et des rails de paiement peut s’avérer à l’avenir mauvaise pour ‘USA the empire’ mais positif pour ‘USA the Country’. Or,  l’électeur américain vote d’abord pour son pays…

Ivo Mertens, Chief Revenue Officer chez iBanFirst

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