Carte blanche

“Il est impossible de penser le changement avec des gens qui travaillent à ce que rien ne change”

La Fédération des services sociaux (FdSS) a assisté au Forum pour une Transition Juste. Ses représentants livrent dans cette Carte Blanche, leurs impressions et le goût amer que le forum leur a laissé en bouche.

Nous débattions, il y a quelques mois, de la transition juste. La ministre Khattabi avait en effet appelé à un rassemblement préparatoire à un large forum, prévu pour un plus tard dans l’année, permettant d’échanger visions et propositions autour d’une notion largement défendue jusqu’ici par le monde du travail. L’idée de transition juste entend en effet protéger les travailleuses et les travailleurs, et surtout les moins bien traités d’entre eux, des conséquences des changements majeurs qui affectent la planète et ses habitantes et habitants.

Elle figure un horizon désirable au motif qu’elle défend l’idée que personne ne doit rester derrière. Pour en discuter, la ministre avait convié ce que l’on a coutume d’appeler la société civile ainsi que le secteur économique, qui n’a besoin de personne pour se présenter… Le monde politique, quant à lui, viendrait plus tard, une fois les premiers échanges engagés et, de façon plus sous-entendue, mais néanmoins audible, une fois les premiers consensus dégagés.

Durant ces deux fois huit heures, nous avons pu constater que le monde économique manie mieux que nous le vocabulaire de la transition et de la résilience. Ces termes font désormais partie des éléments de langage pleinement intégrés aujourd’hui par l’industrie, le commerce ou la production : ils rejoignent une palette déjà existante où figurent des mots comme inclusion, sérieux, pouvoir d’agir ou responsabilité. De même, il nous a été impossible de rencontrer des représentantes et représentants d’entreprises ou de secteurs productifs qui ne prendraient pas la mesure de ce qui se déroule.

Connaissance ne veut pas dire reconnaissance

Les bouleversements climatiques et environnementaux, désormais, c’est su, connu, retenu, répété. Mais pour autant, nous avons pu constater aussi que connaissance ne veut pas dire reconnaissance. On peut certes discuter de ce qu’il y aurait à faire, mais il est bien plus compliqué de débattre de ce qui a été fait. Pourquoi en effet reconnaître ses responsabilités pour le passé alors que c’est l’avenir qui importe ? Que diable, nous sommes toutes et tous dans le même bateau ! Ces seize heures de discussions nous auront enseigné que le monde économique est bien préparé aux futurs débats et qu’il dispose de réponses clé sur porte, argumentées, séduisantes même parfois, capables en tout cas de doter de vessies toutes les lanternes de la planète. Mais cela nous aura surtout appris deux choses.

La première est qu’il est impossible de penser le changement avec des gens qui travaillent à ce que rien ne change, ancrés dans une logique basée sur l’exploitation des ressources et sur le creusement des inégalités. La deuxième est qu’il est bien dommage que cette notion de transition juste qui défend l’idée que personne ne doit rester derrière ne postule pas en même temps que personne non plus ne doive rester devant.

L’autre chose étonnante dans ces journées de rencontres, c’est qu’elles étaient hardiment portées par un seul ministère quand on aurait pu penser que c’était à tout le moins une conférence gouvernementale sinon intergouvernementale qui aurait été nécessaire pour ne rien dire de l’implication des parlements du pays. Les enjeux, ainsi qu’on le sait, sont non seulement intersectoriels, mais aussi intersectionnels.

La transition n’ira pas de soi, elle sera évidemment conflictuelle

Les débats ne peuvent dès lors se cantonner à des catégories de la société – le fameux triptyque économie-société civile-politique – censés représenter l’ensemble d’une population et encore moins être délégués à une série d’acteurs invités pour leur capacité à dégager des consensus, voire des compromis, quand c’est de conflits et de dissensions que nous avons besoin.

Car oui, ce que les gouvernements devraient entendre et laisser dire, c’est le taux d’antinomie qui existe entre des acteurs qu’on appelle pourtant à l’harmonie et à la construction collective. La transition n’ira pas de soi, elle sera évidemment conflictuelle et ce ne sera ni affaire de verdurisation de l’économie ni question de technologie ou de géoingéniérie. D’autant que la population n’est ni prête ni préparée à affronter des basculements qui impacteront inévitablement les modes et les manières de vivre.

C’est pourquoi nous avons besoin d’instances – par exemple, au hasard, un gouvernement – qui disent le vrai. Le vrai, c’est que demain ne répétera pas l’aujourd’hui et que l’aujourd’hui n’est déjà plus l’hier. Il n’y a plus de saisons ? Cette phrase banale ne l’est désormais plus et voilà en effet ce qu’il s’agit de dire haut et fort. Le monde tel que nous l’avons connu a vécu.

Une défaite de la politique devant le réel

C’est bien la raison pour laquelle décréter une pause comme l’a fait dernièrement le Premier ministre n’est pas seulement une faute politique, mais, plus gravement, une défaite de la politique devant le réel. Car on ne peut pas faire pause.

Non, on ne peut pas. 60% des oiseaux des champs ont disparu et 95% des enfants wallons ont du cadmium dans les urines et on voudrait mettre sur pause ? Quelle est cette ambition absurde de penser dominer encore ce qui nous domine ? Ne peut-on pas, plutôt que d’exprimer des propos qui ne servent à personne, s’en tenir à de vrais sujets comme ceux des inégalités sociales, des reconversions nécessaires du monde du travail, de la révision même de la conception du travail et par-dessus tout, de la construction de solidarités à tous les niveaux et à tous les étages d’une société que l’on sait malheureusement tentée par l’arrivée de pouvoirs forts et non démocratiques.

Nous pourrions le payer très cher”

Si l’on veut pouvoir effectivement et lucidement transiter, il faudra que durant la campagne électorale qui s’annonce les choses soient claires. Non seulement sur le fond – il faudra pouvoir dire que l’horizon social est de partager et de renoncer – mais aussi sur la forme. Si cette campagne devait se dérouler comme toutes les autres avant elle et si elle était son propre objectif – si donc cette campagne était une campagne électorale as usualce serait le signe que le monde politique lui-même n’est pas prêt à la transition.

Nous pourrions le payer très cher. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que des citoyens et citoyennes s’organisent collectivement, dans des actions concrètes qui visent à préserver la planète et lutter contre les inégalités.

Une carte blanche de la Fédération des services sociaux

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