Carte blanche

Idées pour “défataliser” la minorisation des femmes dans l’entrepreneuriat 

On a déjà quelques pistes de solution partiellement efficaces pour accélérer la mixité. Comme les actions de sensibilisation des décisionnaires à l’existence de clichés sexistes, les réseaux d’affaires dédiés aux femmes (Femmes Business Angels, Willa, Women Inspiring Future (WIF), ConnectHers…), les  journées d’éveil  à  l’entreprenariat féminin et à sa valorisation, et les fonds d’investissement spécifiques (à l’instar de Women Leadership Capital, Winequity, Leia Capital, Female Founder Fund et consorts). On trouve aussi des « machines à héroïser les femmes dirigeantes fondatrices » telles les associations  supranationales comme Women Business Angels for Europe’s Entrepreneurs ou WomenWinWin.

Mais, ne faudrait-il pas également « changer le système » (beaucoup trop « macho ») ET « changer les femmes » ?

Certes, il convient de mettre en œuvre des solutions à même de créer les conditions d’accession des femmes aux plus hautes responsabilités pour « changer le système » : c’est-à-dire la « demande », dans le paysage entrepreneurial.

Notamment, en incitant les experts des comités d’investissement (des sociétés et fonds de capital-risque) à s’attacher à l’examen d’un nouveau type d’arguments, plus profonds et non genrés, ce qui se révèlerait probablement une stratégie plus efficace permettant d’orienter les financements vers les projets entrepreneuriaux les plus prometteurs, quel que soit le genre des porteurs.

Mais cela ne doit pas empêcher de s’efforcer de « changer les femmes ». Leurs barrières psychologiques pour entreprendre sont surmontables avec plus ou moins de facilité.

Il peut s’avérer tentant de « changer le système »  au lieu de « changer les femmes, étudiantes, entrepreneuses, investisseuses ». Mais ce sera insuffisant et en tous cas trop lent. En outre, pour un résultat presque toujours éphémère : quelles que soient l’intensité et la durée de la formation (par exemple, « Nouvelles Interactions » : une formation pour décortiquer les mécanismes sexistes en revenant à leurs racines pour mieux leur tordre le cou) les réflexes inconscients reprennent assez vite le dessus…

Pour ébranler les fondations d’une masculinité hégémonique dans l’écosystème entrepreneurial Mieux vaut, également  demander aux femmes d’approfondir leurs techniques de persuasion, de se montrer plus tacticiennes…

Dans la bouche des femmes, l’argumentation « sensée » est la mieux à même de démanteler les barrières culturelles, organisationnelles et interpersonnelles. Se prendre en main c’est commencer à comprendre, à maîtriser et à utiliser cette dialectique. L’argumentation « magnétique » est bien plus rapide que les réglementations, lois, quotas, et amendes pour changer les mentalités. Car elle va droit au but : le cœur des investisseurs et investisseuses.

La maîtrise de cette arme de persuasion qu’est l’argumentation ne s’obtient que par l’effort personnel des principales intéressées (les entrepreneuses, actuelles ou en devenir), non par des chartes (telles celles rédigées par le Collectif Sista ou par l’association The Gallion Project), des lois, ou des quotas imposés.

Ainsi donc, pour changer les mentalités et « défataliser » la minorisation des femmes dans l’entrepreneuriat et dans le financement par capital-risque, l’essentiel de l’effort doit logiquement porter sur les femmes et/ou provenir d’elles-mêmes.

L’argumentation est efficace, simplement parce que les investisseurs préfèrent être convaincus que contraints. Le raisonnement « magnétique » est assez facilement accessible et maîtrisable en raison de la prééminence naturelle des biais affectifs (ceux qui donnent envie de faire affaire avec vous) par rapport aux biais cognitifs (ceux concernant votre capacité à faire le job).  

Les mesures institutionnelles de discrimination positiveprises jusqu’ici pour limiter la disparité (par exemple, les quotas de participations des femmes, les fonds et formations dédiés exclusivement aux aspirantes entrepreneuses…) sont bien sûr utiles mais n’améliorent qu’à la marge l’accablante pénalisation des femmes entrepreneures.

Souvent de grands groupes communiquent sur cette petite formation qu’ils ont dispensée à tous leurs collaborateurs. Sauf qu’elle s’est déroulée entièrement en visioconférence, derrière un PowerPoint et sans interaction. Ces initiatives ne changent rien, ou pas grand-chose…

La discrimination positive désigne des femmes qui seront éternellement affaiblies par un doute, peut-être injustifié, sur leur idonéité, puisqu’elles n’auront pu se mesurer à d’autres aspirantes entrepreneuses-fondatrices que celles issues de leur minorité. C’est pour cela que le bien intentionné collectif SISTA se trompe en voulant mettre la pression sur les investisseurs et non sur les femmes concernées.

Par ailleurs, on a déjà constaté que plus de femmes dans les comités d’investissement des fonds de capital-risque n’augmente pas significativement le taux d’acceptation des projets portés par des femmes. En effet, il faut tenir compte de l’effet d’association et de l’effet (inconscient ou non) de mimétisme : les femmes analystes et les investisseuses veulent ressembler à leurs pairs masculins, pour être mieux acceptées par eux et être considérées comme des professionnelles équivalentes…

En outre, toute discrimination positive risque à un moment ou à un autre d’être perçue comme une forme d’odieux paternalisme.

Enfin, les mesures de discrimination positive n’aideront pas vraiment les femmes à se débarrasser du syndrome de l’imposture (il faut être une femme accomplie et expérimentée pour entreprendre ou commencer à investir) dont elles plus enclines que les hommes. 

Le premier élément d’une libération est de se débarrasser au plus tôt de ce syndrome handicapant. Cette libération ne peut commencer que par un travail d’introspection personnelle. C’est pourquoi, le début (et peut-être même la partie la plus importante) de la solution est à chercher du côté des femmes, qu’elles soient entrepreneuses ou investisseuses.

Carl-Alexandre Robyn

Auteur des guides pratiques « Minorisation des femmes dans l’entrepreneuriat : une fatalité ? » (Edi.pro, 2022) et « Vade-mecum pour porteuses de projets entrepreneuriaux: adoptez les attitudes qui feront de vous une splendide leveuse de fonds » (Amazon, Kindle Edition, 2023)

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