Carte blanche
Entreprises wallonnes: cap sur la durabilité ou le statu quo?
De manière générale, tout le monde pense savoir ce que couvre le développement durable même si en expliquer clairement les contours reste compliqué. Le flou qui entoure cette notion expliquerait-il à lui seul la relative inaction en la matière ? Qui doit ou devrait agir en faveur du développement durable ? Et surtout, qu’en pensent les entrepreneurs ?
En matière de durabilité, la théorie du triangle de l’inaction, opposant les gouvernements, les citoyens et les entreprises, donne sans doute de ‘bonnes raisons’ pour ne pas agir, les uns rejetant la responsabilité sur les autres. Les gouvernements se justifient en affirmant qu’ils représentent ceux qui les ont élus. Ce serait donc aux citoyens de se mobiliser ainsi qu’aux entreprises disposant de plus d’impact et de moyens. De leur côté, les citoyens affirment que les démarches individuelles n’offrent que peu de résultats. Pour ces derniers, ce serait donc aux entreprises et aux gouvernements d’intervenir. Quant aux entreprises, elles expliquent agir en fonction de la demande de leurs clients et des contraintes réglementaires qui leur sont imposées par les gouvernements.
Les entreprises wallonnes face aux défis énergétiques, réglementaires et sociales
Depuis le dernier Baromètre de Circular Wallonia[1], nous n’avions plus de vue claire sur l’évolution de la maturité des entreprises en matière de durabilité. C’est la raison pour laquelle UCM et CBC Banque, partenaire depuis plus de 10 ans, ont décidé de sonder les entreprises, principalement wallonnes, sur cette thématique. Les résultats de cette enquête menée auprès de 632 entrepreneurs ont été publiés en juillet dernier. Trois préoccupations majeures en ressortent. Il s’agit du coût de l’énergie, de la complexité réglementaire et des nouvelles attentes des clients et collaborateurs.
Concernant le coût de l’énergie, nous pouvons nous réjouir qu’il s’agisse encore d’un sujet important pour les entreprises. La crise énergétique appartenant désormais au passé, nous aurions pu craindre que cette problématique retombe dans l’oubli. Or, il faut tenir compte des enjeux de l’augmentation des frais de distributions générée par la mise à niveau des réseaux pour faire face aux nouvelles installations photovoltaïques et à la demande croissante de recharge des véhicules électriques. L’instabilité géopolitique mondiale pouvant avoir des impacts sur les marchés est également un élément à prendre en considération, tout comme le Green Deal européen visant la neutralité carbone en 2050 et nécessitant le remplacement de l’ordre de 70% d’énergies fossiles et les potentiels risques de pénuries liées.
La deuxième préoccupation mise en évidence par les entrepreneurs est la complexité réglementaire. Si le permis d’environnement et sa révision sont relativement bien connus des entreprises en Wallonie, ce n’est pas le cas de la multitude de directives et réglementations que prépare l’Europe. À partir de 2025, la Corporate Sustainable Reporting Directive (CSRD) imposera aux plus grandes entreprises de publier un rapport fouillé sur leurs démarches et impacts en matières environnementales, sociétales et de bonne gouvernance. Ces entreprises devront alors interroger leurs fournisseurs pour récolter des données sur les produits et services. Ces fournisseurs pourraient être des PME qui ne sont donc pas directement concernées par cette directive, mais qui devront, malgré tout, s’y préparer. Une partie significative de l’économie sera donc impactée par cette directive alors que beaucoup d’entreprises n’en ont pas encore entendu parler. Ce manque d’informations pourrait être préjudiciable aux entreprises wallonnes ou bruxelloises lorsque l’on sait que les sociétés françaises semblent plus avancées dans le domaine et que les PME du nord du pays ont certainement plus de moyens pour s’adapter. Mais la CSRD n’est qu’une partie de ce qui attend les entreprises avec, par exemple, le Mécanisme d’ajustement du Carbone aux Frontières (CBAM), la Réglementation sur la Déforestation (EUDR) ou la Directive sur les Allégations Environnementales (Green claims). L’enjeu pour certaines entreprises est donc important, notamment en termes de charge de travail et de compétences des collaborateurs.
Enfin, les entreprises s’interrogent également sur les attentes de leurs collaborateurs et de leurs clients en matière de durabilité. A ce propos, une récente étude[2] mettait en évidence que 70% des jeunes Belges tiennent compte de l’impact climatique d’un potentiel employeur lors de leur recherche d’emploi. Et les clients ne sont pas en reste. Si certaines entreprises devront parfois mieux choisir leurs fournisseurs afin de rencontrer les standards requis en matière de durabilité, les clients (particuliers) semblent également avoir de nouvelles attentes vis-à-vis des marques et des entreprises. Dans une étude de 2023[3], EY avançait que les consommateurs sont de plus en plus disposés à choisir des produits durables et à payer plus cher pour ceux-ci, même si ce point de vue reste minoritaire. De même, les consommateurs s’inquiètent de la santé de la planète et attendent des entreprises qu’elles fassent preuve de davantage de leadership pour réduire leur impact négatif et augmenter leur impact positif. Cette tendance, bien qu’actuellement minoritaire, mérite sans doute une réflexion de la part des entreprises.
Pour les entrepreneurs, toutes ces considérations peuvent être légitimement vues comme des contraintes. Mais à y regarder de plus près, il pourrait aussi s’agir d’opportunités. Reste à y travailler, à les anticiper afin de se différencier et de développer un avantage concurrentiel pour pérenniser son activité.
Randy Francart, Expert en Responsabilité Sociétale des Entreprises, CBC Banque
[1] Baromètre relatif à l’engagement des entreprises wallonnes dans l’économie circulaire, mené auprès de 2500 répondants : developpementdurable.wallonie.be/sites/default/files/resources/Circular Wallonia_Baromètre entreprise 2021.pdf
[2] Etude de la Banque Européenne d’Investissement[2] en mars 2023 : 70 % des jeunes Belges tiennent compte de l’impact climatique d’un potentiel futur employeur lors de leur recherche d’emploi (eib.org)
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