Dans la soirée du 4 novembre, l’aéroport de Bruxelles-Zaventem a été perturbé par plusieurs signalements de drones, entraînant des déroutements, des retards et des annulations. À Liège, des opérations comparables ont également été temporairement suspendues. Et nous avons vécu à nouveau la même chose deux jours plus tard.
Ce n’est donc plus un épisode isolé, mais une séquence qui s’inscrit dans une série de survols répétés de sites militaires et d’infrastructures stratégiques, notamment autour de Kleine-Brogel, de Florennes et de zones logistiques majeures la semaine passée. Peut-on se contenter d’attendre le pire un jour ou l’autre?
La répétition, la synchronisation et le choix des cibles suggèrent qu’il s’agit de tests visant à évaluer la robustesse des défenses belges et la vitesse de réaction des autorités. Aucun doute sur le fait que le pays semble désemparé vu la faiblesse de la réponse publique. Aucune attribution publique formelle n’a encore été confirmée, mais la logique d’une opération d’intimidation hybride, utilisant des moyens discrets et à faible coût, correspond à des méthodes déjà observées dans l’environnement stratégique européen.
Nos ennemis connaissent la topographie de nos lieux de pouvoir. La Belgique, siège de l’Union européenne et de l’OTAN, représente une cible symbolique de choix. Perturber ses infrastructures aériennes, même brièvement, revient à montrer que le cœur institutionnel de l’Europe n’est pas intouchable.
Un décalage entre la menace contemporaine et les outils de défense
Ces incidents révèlent un décalage net entre la nature des conflits actuels et les structures de défense qui demeurent orientées vers des scénarios conventionnels. Ils révèlent aussi l’état de notre classe politique qui ne comprend rien aux nouveaux enjeux stratégiques et militaires des nouvelles guerres hybrides. Les armées européennes restent conçues pour maîtriser l’espace aérien à partir de moyens lourds : avions de chasse, radars longue portée, commandement verticalisé. Or, la conflictualité contemporaine exploite les zones floues, de basse altitude, la décentralisation et la rapidité. Un simple drone civil modifié, piloté via une liaison 4G, peut franchir les maillages de détection classiques.
La difficulté ne réside pas seulement dans l’identification, mais dans la décision. L’interception ou la neutralisation en zone urbaine implique des responsabilités multiples : Défense, Intérieur, aviation civile, autorités aéroportuaires. Chaque minute perdue accroît l’avantage de l’assaillant. La technologie anti-drone existe, mais elle n’est efficace que si elle s’appuie sur une doctrine d’emploi claire, une chaîne de commandement courte et une coordination réellement opérationnelle entre institutions. Aujourd’hui, cette articulation est encore insuffisante, voire inexistante. Il y a de quoi avoir peur.
Une réponse politique encore inadaptée à la hauteur du risque
Face à cette menace, les réactions politiques récentes sont demeurées largement rhétoriques. Souligner qu’il faudrait « interdire » des drones dont l’usage est déjà réglementé ne répond en rien à la réalité du problème. Il ne s’agit pas d’une lacune légale, mais d’une vulnérabilité stratégique exploitée par des acteurs capables de perturber des infrastructures critiques avec des moyens légers et anonymes.
Bruxelles est la capitale de l’Union européenne. La capacité d’un agent hostile, étatique ou non, à perturber le fonctionnement de ses aéroports par des interventions simples doit être considérée comme un signal d’alerte majeur.
La réponse doit être structurée et rapide : déploiement de réseaux de détection adaptés aux basses altitudes, clarification des règles d’engagement et de décision, mise en place de moyens anti-drones adaptés au milieu civil dense, et coopération européenne renforcée pour mutualiser compétences et capacités. On en est rendu pour le moment à faire appel à l’armée allemande qui est en route vers la Belgique.
Ce qui se joue ici dépasse la gestion d’un incident technique. C’est un test. Et la question qui reste ouverte est de savoir si l’Europe entend y répondre à la hauteur de l’enjeu. Si non, il faudra enfin sérieusement se poser la question cruciale de laisser ou pas les sièges de l’OTAN et de l’UE dans un pays trop petit et trop faible pour en assurer la sécurité.
Sébastien Boussois,
Docteur en sciences politiques, consultant et chercheur en géopolitique, collaborateur scientifique CNAM Paris, directeur de l’IGE (Institut Géopolitique Européen).
Consultant médias.