Carte blanche
Décret Paysage: quand le parlement délibère nos étudiants
Le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’apprête aujourd’hui, à six semaines des élections et à 4 semaines des examens, de modifier les critères de réussite des étudiants de l’enseignement supérieur. C’est lamentable. C’est irresponsable.
Par Pieter Lagrou est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles
Le parlement plonge les étudiants, les enseignants et le personnel administratif dans la plus grande incertitude. Elle désavoue tous ceux qui ont tout fait pour permettre la réussite dans les conditions soigneusement expliquées depuis deux ans. Il provoque un degré de désarroi et d’exaspération sur nos campus comme je n’en ai jamais vécu en plus de vingt ans de carrière. C’est comme si, à la 85e minute de jeu, on changeait les règles d’un match de foot : en fait, pour gagner, ce n’est pas les buts marqués qui comptent, c’est les tirs cadrés.
La proposition de modification du décret a été adoptée en commission au petit matin dans l’improvisation la plus totale. Pour les uns, elle permettrait d’assurer la finançabilité de 70.000 étudiants, pour d’autres il s’agirait plutôt de 3.000. Spéculations hasardeuses, de toute façon, car les sessions d’examen de juin et d’août n’ont pas encore eu lieu. La proposition Écolo-PS demande aussi à l’Agence de Recherche et d’Enseignement Supérieur (ARES) de produire enfin des chiffres. On décide donc d’abord d’amputer, et on verra ensuite si le membre amputé est en mauvaise forme. L’absence de chiffres officiels rend une évaluation objective de la situation de nos étudiants impossible. Des chiffres, il y en a, pourtant, d’origines diverses : pour la durée des études, la FWB est championne d’Europe avec seulement 19% des étudiants qui obtiennent leur diplôme dans le temps imparti. Pour la réussite en première année, seulement 10% des étudiants valident tous leurs crédits lors de leur première année. Ceci expliquant cela. Mais nos parlementaires demandent donc à l’ARES, à l’occasion de son dixième anniversaire, ce pour quoi l’agence a été créée et ce qu’elle a, avec une grande constance, été incapable de produire : des chiffres et des analyses précises sur l’état de notre enseignement supérieur. Dix ans d’ARES, c’est aussi 100 millions d’euros de budget de non-fonctionnement. Pas une bagatelle quand on connaît l’état de sous-financement de notre enseignement supérieur. Face à des écarts de chiffres aussi fous, nos parlementaires auraient pu accéder à la demande de la délégation d’enseignants qui assistaient à leurs débats d’être entendus. Ce qu’ils n’ont pas souhaité faire. A six semaines des élections il s’agit envoyer des messages forts à son électorat et surtout pas d’analyser un problème complexe avant d’agir.
Parlant de « finançabilité », de quoi s’agit-il exactement ? Le décret Marcourt a remplacé un système de réussite par année d’étude par un système de crédits. Depuis 2014, il ne faut plus valider un programme, mais des cours individuels. Ce qui revient donc à un système qui invite à l’étalement. Ça, tous les étudiants l’ont vite compris. Il y avait pourtant aussi une autre clause, bien moins assimilée par les étudiants : l’étalement n’est pas sans limites. Dès qu’on dépassait, en gros, 4 années de retard sur son programme, le gouvernement de la FWB ne vous finançait plus. Est-ce qu’on était pour autant exclu de l’enseignement supérieur ? Bien sûr que non. La où nos autorités politiques poussaient les étudiants à l’étalement tout en refusant de prendre les responsabilités pour ses effets les plus délétères, les universités et les hautes écoles compensaient. Elles examinaient les dossiers individuels et admettaient, sans financement public, les étudiants « non-finançables » qui étaient sur une trajectoire de réussite. Le décret Marcourt, c’est entre 10 et 15% d’étudiants non finançables chaque année. Parmi eux un bon nombre d’étudiants qui avaient de toute façon abandonné leurs études, mais qui appréciaient les avantage du statut d’étudiant. Les autres, les universités les repêchaient en grande partie. Tout était mis en place pour qu’elles en fassent de même en septembre 2024. Les consignes pour les jurys étaient prêtes, les universités et les hautes écoles une fois de plus décidées à prendre leurs responsabilités là où nos autorités politiques ne le font pas.
Au moins, avec la petite modification du décret par la ministre Glatigny, dont la règle de devoir valider les 60 crédits de la première année en deux ans, on a pu voir une amélioration dans le taux des étudiants de première année qui passent et qui réussissent les examens. Il n’y avait donc aucune raison de mesures improvisées dans l’urgence pour changer les règles de la réussite pour l’année en cours. Les universités et les hautes écoles sont-elles donc généreuses ? N’exagérons rien. L’enjeu de la finançabilité reste assez marginal dans un système d’enveloppe fermée. Le parlement ne s’engage pas à augmenter de façon proportionnelle le budget de l’enseignement supérieur en augmentant le nombre d’étudiants finançables. Ce chiffre sera tout au plus pris en compte dans le calcul de la clef de répartition entre universités et hautes écoles. En somme, on appauvrirait un peu moins les universités qui admettent le plus grand nombre d’étudiants autrement non finançables. L’enjeu n’en vaut très certainement pas la pagaille d’une réforme votée à la veille de la session d’examens..
La FEF, tous les partis politiques et tous les enseignants partagent un même objectif : faire réussir le plus grand nombre d’étudiants. Tous sont prêts à admettre pourtant que dans un système sans sélection à l’entrée, certains étudiants entament des études pour lesquelles ils découvrent qu’ils n’ont pas les aptitudes ou une motivation suffisante. Il est de notre responsabilité de leur permettre d’arriver à ce constat le plus tôt possible. Rien n’est plus pervers que de maintenir des étudiants dans l’illusion d’une possible réussite à force d’étalement pour qu’ils finissent, au bout de nombreuses années, par quitter l’université ou la haute école sans diplôme. C’était là la responsabilité des jurys d’examen qui devaient jusqu’en 2013 décider de la réussite d’une année : est-ce que le jury estime, en âme et conscience, que l’étudiant dispose des qualités pour réussir dans la poursuite de son cursus ? Ce qui inquiète un jury dans cette évaluation, ce ne sont pas les étudiants qui ont de mauvaises notes. C’est ceux qui n’en ont pas de bonnes. C’est bien pour cela que la réussite d’une année était basée sur une moyenne de 12/20. Les bonnes notes compensaient alors les mauvaises. Avec le décret Marcourt, nos autorités politiques ont supprimé cette marge d’appréciation. Dorénavant, l’étudiant était livré à lui-même à essayer d’obtenir des 10/20 au terme d’un nombre de tentatives presque illimité. Les jurys d’examen le savent : le profil type de l’étudiant qui n’obtient jamais son diplôme, même au bout de 8 ou 9 ans, c’est celui qui n’a jamais atteint une moyenne de 12/20.
Les grandes déclarations d’intention sur l’état de l’enseignement sont un registre gratifiant pour le monde politique : tout le monde se sent concerné et les modifications qu’on propose ne coûtent en général pas grand-chose. Pacte d’Excellence, Formation initiale des Enseignants, Décret Paysage. Seulement, nos parlementaires ne disposent pas de l’expertise pour mesurer l’impact de leurs décisions précipitées. La FWB a tenté de se doter d’une agence qui pourrait fournir des analyses pour guider le parlement et le gouvernement dans ses délibérations, mais la cohue en cours sur la modification du décret Glatigny confirme une fois de plus que l’ARES est un organisme totalement dysfonctionnel. Mais le parlement est-il vraiment le lieu le plus approprié pour délibérer sur les critères de réussite de nos étudiants ? Et si on renvoyait cette question aux instances compétentes, les jurys d’examens au sein de nos universités et hautes écoles ? Si on peut retenir une chose de la déplorable pagaille crée par le parlement de la FWB ces dernières semaines et dégager un nouvel horizon politique pour le monde de l’enseignement au-delà des échéances électorales, c’est qu’il est grand temps de restaurer l’autonomie des universités et hautes écoles et de démanteler les outils d’ingérence, décrets et ARES compris, pour que chaque problème puisse trouver sa solution au plus près du terrain, en connaissance de cause.
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