Comment les plateformes sociales fragmentent notre société

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Carte blanche

En quelques années, des plateformes comme Facebook, Instagram, Snapchat et TikTok sont devenues incontournables dans notre quotidien. Des millions d’utilisateurs partagent chaque jour des contenus et des interactions, exprimant leurs états d’âme ou leurs avis d’un simple tapotement sur leur smartphone.

On ne peut le nier, ces plateformes nous ont grandement rendu service durant la pandémie, permettant de maintenir des relations sociales virtuelles, de s’informer et de se divertir durant les longues journées de confinement. Ces habitudes, adoptées par les jeunes et les moins jeunes, perdurent aujourd’hui. “T’as un LinkedIn ?” remplace “Vous avez une carte de visite ?” et l’échange de noms d’utilisateur Instagram a supplanté l’échange de numéros de téléphone.

Cependant, cette utilisation massive, censée nous connecter davantage, pourrait-elle en réalité nous éloigner ?

Les réseaux sociaux sont désormais caractérisés par leurs algorithmes, qui jouent un rôle central pour les utilisateurs. Ces algorithmes analysent notre utilisation quotidienne, nos interactions et notre temps d’attention pour nous proposer un fil d’actualité toujours plus adapté à nos goûts et centres d’intérêt. Cela semble positif au premier abord, mais en réalité, cela nous enferme dans des bulles de filtrage : des environnements où nous sommes exposés uniquement à des contenus correspondant parfaitement à nos préférences.

Ces bulles de filtrage sont à la base d’un problème majeur : la polarisation de la société.

Comment cela se produit-il ? C’est simple : en étant confinés dans notre bulle dictée par les algorithmes, nous avons l’impression que “tout le monde pense comme nous”. Nous ne voyons plus de points de vue opposés, ni d’utilisateurs provenant d’autres cultures ou classes sociales. Imaginez une multitude de bulles dans lesquelles des utilisateurs sont enfermés, interagissant très peu ou pas du tout avec ceux des autres bulles.

Un autre facteur accélérant cette polarisation est la désinformation. Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs sont aussi des producteurs de contenu. De nombreux médias “alternatifs”, “citoyens” ou “idéologiques” composés de pseudo-journalistes ont émergé, offrant chacun leur vision biaisée de l’actualité. Ces comptes, imitant les codes et méthodes de communication des médias traditionnels, sont relayés par des utilisateurs manquant de recul pour vérifier les informations. Ce phénomène a été particulièrement amplifié pendant la pandémie de Covid-19, où les anti-vaccins et autres complotistes relayaient des médias alternatifs décriant les mesures gouvernementales et promouvant des théories de complot.

Très vite, deux camps se sont formés : les citoyens consommant l’information traditionnelle et ceux se nourrissant d’informations alternatives et non vérifiées.

Aujourd’hui, bien que la crise du Covid-19 et les médias anti-vaccins soient moins d’actualité, ce sont les médias politisés et la communication massive des personnalités politiques en période de campagne qui contribuent à cette polarisation. Les militants et citoyens de gauche reçoivent un point de vue unique de la société, tandis que ceux de droite consomment des actualités correspondant à leur vision. Exit le débat et la nuance, bonjour l’interprétation frontale de deux visions opposées.

Cette polarisation, en grande partie engendrée par les réseaux sociaux, conduit à une montée des extrêmes dans plusieurs pays démocratiques. Les discours privilégiant certaines émotions comme la peur et la colère touchent plus facilement certains utilisateurs. Une fois ces contenus relayés, les utilisateurs en reçoivent de plus en plus du même acabit. Et lorsque les plateformes permettent de mettre en avant des contenus de manière payante avec un ciblage précis sur les centres d’intérêt ou la géolocalisation, il devient facile d’implanter une idée dans la tête d’une communauté ou d’une classe sociale.

En conclusion, nous vivons une époque déterminante pour notre société. Le rêve d’une mixité sociale et culturelle s’efface au profit de la polarisation engendrée par les plateformes sociales. Certes, il est plus facile pour une entreprise ou une personnalité politique de toucher un public toujours plus segmenté pour être le plus pertinent possible. Mais cette segmentation, engendrée par les plateformes, empêche-t-elle l’échange, le débat et surtout l’ouverture d’esprit ? Il est plus que jamais nécessaire d’en prendre conscience et d’apprendre, d’une part, à prendre du recul par rapport à ce que nous consultons sur ces plateformes, et d’autre part, à s’intéresser à ce que l’on peut trouver au-delà de notre bulle.

Nicolas Dieudonné
Expert en Nouveaux médias, réseaux sociaux & communication, Professeur en communication digitale – HEPH Condorcet

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