Paul Vacca
Apple et la stratégie du tapis rouge
Comme pour “Killers of the Flower Moon”, avec Robert De Niro et Leonardo Di Caprio, la marque à la pomme a compris que le meilleur moyen de vendre un film au public reste encore et malgré tout le grand écran.
Nous voilà repartis pour une nouvelle saison de la série “Silicon Valley vs. Hollywood”. Dans les épisodes précédents, on avait vu les géants d’Hollywood partir à la poursuite du streaming, chacun créant sa plateforme de SVoD dans l’espoir de toucher, comme le pionnier Netflix, le graal: une valorisation boursière qui explose et la manne récurrente des abonnements. Une assurance dans un monde où les spectateurs de multiplexes se montrent toujours plus versatiles, allant jusqu’à bouder les franchises boostées aux effets spéciaux concoctés pour eux.
Or, chemin faisant, les studios ont découvert que cette sécurité était un mirage: seul Netflix, pour l’heure, semble tirer parti du modèle qu’il a initié. Pour les studios, la quête du streaming s’est transformée en tonneau des Danaïdes: les abonnements fondent et les investissements siphonnent leurs bénéfices menaçant même tout leur édifice.
Ainsi Disney, avec le retour aux manettes de Bob Iger, a-t-il aussitôt tourné le dos aux sirènes du streaming ne faisant plus de Disney+ sa priorité. Tout comme le soldat Tom Cruise avait résisté au “streaming first” face à Paramount qui voulait que Top Gun: Maverick ne soit visible que des seuls abonnés à Paramount+.
Cette nouvelle saison du duel Silicon Valley/Hollywood débute avec un rebondissement: l’entrée en scène d’Apple. Si Apple TV+ existe depuis quatre ans (avec des productions exclusives comme Tetris, le Morning Show ou Halo), elle s’essaie aujourd’hui à une nouvelle formule avec Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese: une sortie en salles pour une fenêtre de 45 jours avant d’atterrir en exclusivité sur Apple TV+.
Apple, avec la profondeur de ses poches, est capable de miser sur des films de prestige.
Certes, Netflix avait déjà sorti des films en salles dans certains pays (comme la Belgique) mais uniquement pour des “sorties techniques”, à savoir sur des combinaisons réduites dans le seul but de pouvoir concourir en sélection officielle dans certains festivals qui ne récompensent que des films ayant bénéficié d’une projection sur grand écran. La différence avec Killers of the Flower Moon, c’est que Apple propose une véritable sortie, soit plus de 3.600 écrans rien qu’aux Etats-Unis, et va réitérer prochainement la même stratégie à double détente (salle + plateforme) pour Napoléon de Ridley Scott et Argylle de Matthew Vaughn.
Apple signe donc une sorte d’armistice avec Hollywood puisque ces sorties ne se font pas contre les studios mais avec eux: Killers of the Flower Moon avec Paramount, Napoléon avec Sony et Argylle avec Universal. A l’ethos disruptif de la Silicon Valley friande de l’opposition frontale, Apple opte pour une culture de la coproduction plus en phase avec celle qui a cours à Hollywood. Une complémentarité bien sentie car Apple, avec la profondeur de ses poches, est capable de miser sur des films de prestige avec des budgets de 200 millions de dollars que les studios n’allouent désormais qu’à des films de franchises.
C’est un véritable “twist paradigmatique” que propose la marque à la pomme en signant la fin de la ruée généralisée vers les plateformes pour un retour vers la salle de cinéma. Certains observateurs n’y voient, pour Apple, qu’une stratégie d’image: figurer en compagnie d’artistes de renom. Un caprice que peut s’offrir une marque multimilliardaire qui a toujours aimé s’acheter la faveur des créateurs.
Mais cette stratégie du tapis rouge est aussi et surtout de la realpolitik. Car Apple a compris que le meilleur moyen de vendre un film au public reste encore et malgré tout le grand écran. Et qu’une exposition dans les salles et a fortiori un succès, loin de vampiriser ou d’éclipser sa diffusion sur la plateforme, lui donne au contraire un surcroît de valeur.
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