Votre compte d’épargne dort-il vraiment?

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Sebastien Buron
Sebastien Buron Journaliste Trends-Tendances

Une grande part de l’épargne des ménages est logée sur le livret réglementé, dont l’encours est d’environ 300 milliards d’euros. Une montagne d’argent qui ne dort pas, contrairement à une croyance fort répandue.

Les Belges épargnent encore plus

Selon les derniers chiffres de la Banque nationale (BNB), les Belges devraient épargner encore davantage cette année. Le taux d’épargne, c’est-à-dire la part du revenu qui n’est pas consacrée à la consommation, a en effet atteint 14% au cours du premier semestre, principalement en raison de l’indexation automatique des salaires qui soutient les dépenses des ménages. Pour l’ensemble de l’année 2023, la BNB prévoit ainsi un taux d’épargne de 13,5%, ce qui veut dire que les ménages épargneront cette année près de 5 milliards de plus qu’antérieurement. Les livrets d’épargne sont et restent donc très populaires. En 2000, il y avait 100 milliards d’euros sur tous les comptes d’épargne des banques belges, 10 ans plus tard près de 200 milliards et à la fin de l’année dernière plus de 300 milliards. Une montagne d’argent à laquelle il faudra aussi ajouter en 2024 pas moins de 22,6 milliards d’euros (intérêts compris), que l’Etat devra rembourser aux épargnants qui ont souscrit au bon à un an de Vincent Van Peteghem.

12% des déposants détiennent la moitié

Selon la BNB, 27% des épargnants possèdent entre 1.000 et 5.000 euros sur leur livret et captent seulement 2% de ces 300 milliards, soit 6 milliards d’euros. A l’inverse, 12% des épargnants possèdent plus de 75.000 euros sur leurs comptes d’épargne et détiennent ensemble la moitié de ces 300 milliards déposés sur tous les livrets, soit 150 milliards d’euros. Cette répartition inégale des dépôts d’épargne au sein de la population belge n’a toutefois aucune incidence sur la manière dont ces différents dépôts sont utilisés ou pas. Tous les dépôts d’une banque sont gérés de manière globale et indistinctement. “Ce n’est pas un dépôt en particulier qui conduit à un crédit bancaire en particulier”, souligne Mikael Petitjean, chef économiste chez Waterloo Asset Management et professeur de finance à l’UCLouvain.

Un énorme stock

Aen croire les banques, il est difficile d’augmenter beaucoup le rendement sur les dépôts d’épargne, malgré des taux qui ont beaucoup augmenté depuis l’année passée sur leurs nouveaux prêts. Une augmentation de la rémunération du livret porte sur la totalité du “stock” de dépôts (300 milliards d’euros, soit 22% des ressources totales de financement des banques du pays) alors que l’augmentation des taux d’intérêt reçus porte sur les nouveaux prêts bancaires et pas sur ceux consentis lorsque les taux étaient encore bas. Les revenus d’intérêt générés par ceux-ci sont trop faibles pour pouvoir faire remonter les taux des livrets. Ceci n’a toutefois pas empêché nos quatre grandes banques (BNP Paribas Fortis, KBC, Belfius et ING) d’engranger plus de 4 milliards d’euros de profits au premier semestre. Merci la BCE qui rémunère généreusement les liquidités excédentaires qu’elles déposent chez elle. Selon les calculs du professeur Eric Dor (IESEG), les banques belges recevront désormais 837 millions d’euros d’intérêts par mois, grâce à cette rémunération des dépôts par la banque centrale se montant désormais à 4%.

La fabrique de crédits

Le métier d’une banque classique est d’attirer des dépôts et du financement (emprunts émis par la banque, prêts d’autres banques qui ont trop d’argent, entreprises qui placent leurs avoirs) pour octroyer des crédits. Elle gagne de l’argent parce que le taux qu’elle applique aux clients à qui elle octroie un crédit est plus élevé que les intérêts qu’elle paie aux clients qui déposent de l’argent chez elle. Une bonne partie des 300 milliards d’euros qui sont déposés aujourd’hui en banque ne dort donc pas. “Il est absurde d’affirmer que des dépôts d’épargne, au passif des banques, puissent dormir”, dixit Eric Dor dont les calculs montrent que le rapport entre les prêts et les dépôts pour les banques belges s’élève à 83%. Une partie seulement de vos économies est donc bloquée, même si ce rapport entre les dépôts et les prêts varie fortement d’une banque à l’autre et dépend de sa politique d’octroi de crédit, observe Mikael Petitjean. “Dans le cas de Belfius, les prêts représentent actuellement environ 107% des dépôts. Depuis 2010, il est en moyenne égal à 121%. Dans le cas de la KBC, ce ratio tombe à 76%, pour une moyenne depuis 2010 qui est de 95%. Il ne faudrait pas pour autant nécessairement féliciter Belfius et condamner KBC. Tout dépend du risque que vous prenez et de la soutenabilité de vos activités.”

Moins de dépôts, moins de prêts…

Pour faire face aux retraits de dépôts de leurs clients qui ont utilisé cet argent pour acheter des bons d’Etat pour un montant de 22 milliards d’euros, les banques ont dû puiser dans leurs réserves. Pourraient-elles dès lors prêter moins facilement et à des conditions moins favorables, comme l’a laissé entendre le patron de Belfius Marc Raisière? “Oui, les crédits pourraient, au conditionnel, coûter plus cher, selon Mikael Petitjean. Si les dépôts des clients chutent, la quantité disponible est réduite et cela peut obliger la banque à financer son activité d’octroi de crédit à un coût plus élevé, via l’emprunt dans le marché par exemple. Cela étant, si l’histoire ne se répète pas et que les conditions macroéconomiques restent similaires, le coût du crédit devrait être très marginalement affecté par l’émission de ce bon d’Etat, qui est avant tout une opération de communication à l’égard des petits déposants et épargnants qui, en réalité, n’en bénéficieront que très marginalement par rapport aux gros.”

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