Ventes à découvert, “short squeeze”: quel impact sur la Bourse?
Les montagnes russes empruntées ces dernières semaines par diverses actions ont une nouvelle fois placé à l’avant-plan le principe des ventes à découvert. Quel impact sur les marchés? Est-ce intéressant de miser sur les actions “shortées”?
Ventes à découvert? Actions “shortées”? Avant d’aller plus loin, un rappel de définitions s’impose. La vente à découvert consiste à écouler des titres que l’on ne détient pas (encore) avec l’espoir de les racheter ultérieurement à un prix plus bas. On distingue deux types de ventes à découvert. Celles dites “couvertes”, où l’investisseur emprunte les titres, par exemple auprès d’un fonds d’investissement, moyennant intérêts, avant de les vendre à découvert. Et celles dites “nues”, qui ne passent même pas par cette procédure d’emprunt. Depuis la crise de 2008, cette dernière pratique est interdite, comme en Europe, ou strictement réglementée, comme aux Etats-Unis.
La perspective de gains plantureux et rapides comme avec GameStop est évidemment alléchante, mais ces “short squeezes” restent l’exception.
Notifications, publications et interdictions
Les ventes à découvert ont en effet été accusées d’accentuer cette crise en faisant pression sur les actions bancaires en Bourse. Ensuite, elles ont été suspectées de contribuer à la crise des dettes souveraines par les ventes à découvert d’obligations de pays européens en difficulté. Outre l’interdiction des ventes à découvert nues, l’Europe a ainsi durci progressivement sa réglementation, imposant notamment des seuils de notification et de publication. Tout investisseur avec une position à découvert représentant plus de 0,2% du capital doit ainsi la notifier au régulateur compétent, comme la FSMA en Belgique. Si la position représente plus de 0,5% du capital, elle est alors publiée afin que les autres intervenants de marché en soient informés.
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Les régulateurs ont aussi la faculté d’interdire temporairement toute prise de position à découvert sur un marché ou pour certaines actions. Mi-mars, au pic du krach du coronavirus, la FSMA avait par exemple interdit temporairement les ventes à découvert sur une série d’actions allant d’AB InBev à Sequana Medical.
En règle générale, la vente à découvert reste donc autorisée, y compris pour les investisseurs particuliers. Certains courtiers comme Lynx vous le permettent. N’oubliez toutefois pas que la perte potentielle d’une position à découvert est illimitée. Imaginons que vous ayez vendu à découvert 1.000 actions GameStop à 10 dollars en octobre dernier puis ayez dû les racheter en catastrophe fin janvier à 300 dollars, vous auriez perdu 290.000 dollars (300.000 dollars payés pour fermer la position, moins les 10.000 reçus lors de son ouverture). Contrairement à un achat d’actions, votre perte n’est donc pas limitée à la valeur de départ.
Dans les faits, ce sont essentiellement des hedge funds qui vendent à découvert, notamment dans le cadre de stratégies dites long/short. Par exemple, ils achètent des actions AB InBev et vendent des Heineken, car ils pensent que le groupe belgo- brésilien est mieux positionné ou que le néerlandais affiche une prime injustifiée.
Pénurie de titres
On le constate, malgré les risques, ce principe de vente à découvert apparaît raisonnable. Et il ne justifie pas à lui seul qu’un titre comme GameStop voie tout à coup sa valeur multipliée par 20 en 15 jours au point de nécessiter la recapitalisation d’un important hedge fund comme Melvin Capital, et de déstabiliser les marchés boursiers mondiaux comme cela fut le cas ces derniers jours.
Comme l’explique Xavier Timmermans, stratégiste chez BNP Paribas Fortis, ce dernier épisode est avant tout lié à l’ampleur des ventes à découvert. “Dans l’opération GameStop, le nombre total de titres vendus à découvert atteignait 139% du nombre de titres cotés en Bourse. Plus de 100% est possible, car un titre vendu à découvert peut être reprêté par l’acheteur permettant ainsi une nouvelle vente.” En d’autres termes, des titres ont fait l’objet de plusieurs ventes à découvert.
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Quand des petits porteurs, réunis sur le forum Reddit WallStreetBets, ont commencé à accumuler des positions, cela a donc créé des tensions sur le titre. Ensuite, les hedge funds comme Citron Research ou Melvin Capital ont dû commencer à racheter leurs positions, d’autant plus rapidement qu’ils recourent souvent à l’endettement pour démultiplier leur capacité d’investissement. La tendance s’est ensuite emballée et auto-alimentée. C’est ce que dans le jargon boursier, on appelle un short squeeze (liquidation forcée des positions courtes). Dans le cas de GameStop, les spécialistes évoquent de plus un gamma squeeze, les membres de WallStreetBets ayant acheté massivement des options call (à la hausse) sur GameStop, ce qui a forcé les teneurs de marché ayant émis ces options à se couvrir en acquérant à leur tour des actions GameStop sur le marché boursier.
L’ensemble de ces achats concomitants a dès lors transformé l’action GameStop en un bien rare, ce qui a coûté très cher aux vendeurs à découvert. Melvin Capital a ainsi clôturé le mois de janvier sur une perte de 4,5 milliards de dollars ou 53%, nécessitant une recapitalisation à hauteur de 2,75 milliards de dollars.
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Impact sur les Bourses
Les hedge funds ont également servi de courroie de transmission vers les marchés boursiers dans leur ensemble. En effet, GameStop n’était pas un cas isolé. D’autres valeurs très fortement vendues à découvert comme AMC, BlackBerry, Bed Bath & Beyond, iRobot, etc., ont également été ciblées par les traders de WallStreetBets qui n’hésitent pas à étaler leur antipathie vis-à-vis de ces grands fonds. Ayant dû boucler dans la précipitation ces nombreuses positions à découvert, les hedge funds ont vendu des positions haussières pour dégager des liquidités, ce qui a fini par peser sur l’ensemble des marchés.
Les Bourses ont toutefois rapidement repris leurs esprits même si certains stratégistes estiment que l’épisode GameStop est le symbole de l’exubérance qui règne sur les marchés. Le baromètre “panique/euphorie” de Citi se situe par exemple actuellement en “zone d’euphorie marquée”. Les analystes de Bank of America épinglent pour leur part que les gestionnaires de fonds ont substantiellement réduit leur trésorerie, signe qu’ils sont pleinement investis.
Mais si les récents short squeezes sur GameStop & Co sont des marqueurs de cette exubérance, ils n’en sont pas la cause. Celle-ci est évidemment d’abord à chercher du côté de la politique monétaire actuelle extrêmement accommodante, avec des taux maintenus à un niveau ultra-bas et des injections massives de liquidités.
Contexte inédit
Suivant les critères classiques, il est évident que les acteurs de marché se montrent extrêmement complaisants. Le ratio CAPE, un rapport cours/bénéfice sur 10 ans développé par le Nobel d’économie Robert Shiller, pointe ainsi à 34 pour l’indice élargi américain S&P 500. Un niveau supérieur à 1929 et qui n’a été dépassé que lors de la bulle internet à la fin du siècle dernier.
Cependant, le contexte conjoncturel est également inédit avec des taux qui demeurent proches de leurs plus bas historiques. Nadège Dufossé, responsable allocation d’actifs et stratégie cross-asset chez Candriam, souligne ainsi combien “la prime de risque élevée rend les actions attractives pour les investisseurs”. En d’autres termes, le sur-rendement offert par les actions par rapport aux obligations d’Etat de référence est supérieur à la moyenne historique. Comme les banques centrales sont engagées dans un processus de maintien des taux bas pendant encore quelques années, il est donc probable que le phénomène Tina ( There is no alternative, il n’y a pas d’alternative) continue à profiter aux actions.
Rappelons-nous aussi que l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, avait déjà averti d’une “exubérance irrationnelle” sur les marchés en 1996 et que la bulle technologique n’avait finalement éclaté qu’en 2000 après une très forte hausse. Même au plancher en 2002, sur fond de récession et après les attentats du 11-Septembre, l’indice américain S&P 500 était resté supérieur à son niveau de 1996.
Miser sur les actions “shortées”?
Parallèlement, l’autre interrogation des investisseurs est évidemment de savoir s’il faut continuer à miser sur les actions ciblées par les vendeurs à découvert. La perspective de gains plantureux et rapides comme avec GameStop est évidemment alléchante, mais ces short squeezes restent l’exception. A raison, les hedge funds ont même régulièrement tiré la sonnette d’alarme. Depuis sa création en 2001, Citron Research a épinglé des dizaines d’entreprises qui ont été ensuite poursuivies pour fraude, retirées de la cote ou déclarées en faillite. Dont surtout le géant pharmaceutique américain Valeant coupable de manipulations comptables.
Plus récemment, Ennismore Fund Management avait aussi averti de problèmes chez Wirecard pendant des années avant que la fintech allemande passe en quelques mois de star de la Bourse à société en faillite début 2020.
Enfin, souvenons-nous, sur le marché belge, de l’affaire Lernout & Hauspie. Marc Cohodes, de Rocker Partners, avait longtemps argué que le chiffre d’affaires de la société n’était pas crédible, ce qui s’était avéré exact.
Pour miser sur des titres fortement vendus à découvert, il faut donc avoir les nerfs solides, analyser correctement l’entreprise en question, et surtout bien identifier les motivations des vendeurs.
Quand Volkswagen était la première entreprise mondiale
Le short squeeze de GameStop est tout sauf une première. Le plus important du genre demeure d’ailleurs Volkswagen. Un dimanche d’octobre 2008, Porsche annonce avoir gonflé sa participation dans le groupe à 74% via des options. En tenant compte d’autres participations fixes, cela ne laisse plus que 6% du capital disponible sur le marché alors que les ventes à découvert en représentent plus du double. Le lundi, Volkswagen bondit de près de 150% et affiche à nouveau un gain de 90% en matinée mardi, permettant au constructeur allemand de devenir brièvement la première entreprise mondiale. Selon les estimations, les hedge funds ont perdu pas moins de 30 milliards de dollars dans l’aventure.
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