Un été pourri pour les télécoms

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Alors que les Bourses mondiales lorgnent de nouveaux records, le secteur des télécoms plonge sous l’effet de la concurrence (d’Amazon) et des “cord cutters”, littéralement ceux qui se désabonnent du câble. Les perspectives restent incertaines, tout comme les généreux dividendes offerts.

Les opérateurs télécoms européens ne sont certainement plus les seuls à décevoir. Le géant AT&T, leader sur le marché américain, a en effet récemment atteint un plus bas depuis 1993. A l’époque, internet et la téléphonie mobile n’étaient encore que de lointaines promesses dont le potentiel allait alimenter la bulle technologique de la fin du 20e siècle. En 2000, le secteur des télécommunications plaçait ainsi quatre de ses membres dans le top 10 des capitalisations boursières mondiales.

Aujourd’hui, les télécoms ont radicalement changé nos modes de vie, les réseaux fixes et mobiles sont comme les systèmes circulatoires de nos sociétés numériques. Pourtant, le leader du secteur en termes de capitalisation, le câblo-opérateur américain Comcast, ne figure même plus dans le top 50 des capitalisations mondiales. La principale raison de cette déroute est que les lourds investissements dans les nouveaux réseaux n’ont pu être (pleinement) rentabilisés. Cela permettait juste aux opérateurs d’éviter de perdre des parts de marché mais sans engendrer de croissance des revenus.

Destins croisés

En Belgique, Proximus a atteint de nouveaux planchers historiques la semaine dernière. L’investisseur qui aurait misé sur l’opérateur lors de son introduction en Bourse en 2004 au prix de 24,50 euros par action (Belgacom à l’époque) afficherait une perte de 73% hors dividendes.

Jusqu’en 2019, l’opérateur belge avait pourtant plutôt bien résisté, mais il ne s’est jamais redressé après la pandémie. Comme le leader américain AT&T de l’autre côté de l’Atlantique. Les raisons sont les mêmes. Pendant de longues années, les deux opérateurs ont profité d’un pouvoir de fixation des prix assez important en raison d’une concurrence limitée dans le mobile et d’une position inégalée dans le fixe grâce à leur monopole historique, ce qui leur permettait d’afficher de solides résultats et de verser de généreux dividendes.

Mais la situation s’est dégradée depuis 2020, essentiellement sous l’effet de l’évolution du marché. Tant Proximus qu’AT&T souffrent notamment des cord cutters. Aux Etats-Unis, chaque année depuis 2019, environ 5 millions d’Américains ont ainsi résilié leur abonnement à la télévision, préférant le streaming en ligne. Proximus perd chaque mois plusieurs milliers de clients TV.

Leurs revenus sont ainsi sous pression alors que les investissements nécessaires dans la fibre ou la 5G continuent de gonfler les coûts et les besoins de financement. Les perspectives de résultats et de cash-flow se dégradent, ce qui s’est traduit in fine par une nette réduction de la rémunération des actionnaires. Proximus a réduit son dividende de 20% en 2020 pour le ramener à 1,20 euro par action et a prévenu que son coupon ne sera plus que de 0,60 euro à partir de 2024. AT&T a pour sa part réduit son dividende de moitié en 2022 à 1,11 dollar par action (par an).

Pas d’embellie en vue

Les leaders belge et américain des télécoms n’ont probablement pas encore mangé tout leur pain noir. Proximus va voir la concurrence se durcir avec l’intégration du câblo-opérateur Voo au sein d’Orange Belgium et l’arrivée annoncée d’un quatrième opérateur mobile avec la coentreprise entre Citymesh et DIGI.

AT&T souffre de la concurrence, qui s’intensifie avec l’arrivée d’Amazon qui va proposer des abonnements mobiles illimités au prix de 25 dollars par mois, et de l’amplification du phénomène des cord cutters. Pas moins de 2,3 millions d’Américains ont résilié leur abonnement TV au premier trimestre, un nouveau record selon Craig Moffett de SVB MoffettNathanson.

En outre, AT&T et son concurrent Verizon ont récemment été malmenés en Bourse à la suite d’une enquête du Wall Street Journal publiée début juillet les accusant d’avoir abandonné un réseau tentaculaire de câbles souterrains en plomb qui auraient contaminé les sols avoisinants et les sources d’eau potable. Les analystes peinent à évaluer le risque mais estiment que l’impact pourrait être important si les opérateurs sont forcés de démanteler ces anciens réseaux.

Excès de pessimisme?

Les marchés sont d’ailleurs clairement pessimistes. Tant Proximus qu’AT&T cotent cinq fois leurs bénéfices prévus pour cette année, soit une décote de 65% par rapport à la moyenne boursière mondiale.

A ce niveau de valorisation, on peut toutefois se demander si l’ensemble des mauvaises nouvelles ne sont pas déjà intégrées dans les cours. Par exemple, Proximus prévoit de verser 1,20 euro de dividende pour l’exercice 2023 et 0,60 euro pour 2024 et 2025, soit un total cumulé de 2,40 euros. Même en déduisant le précompte mobilier, cela correspond à un rendement net de 25,5% en trois ans. AT&T affiche de son côté un rendement de dividende brut de près de 8%, même après réduction de moitié de son coupon trimestriel l’année dernière.

En d’autres termes, les attentes pour les deux groupes, et plus largement l’ensemble des opérateurs télécoms occidentaux, sont extrêmement basses. Les marchés anticipent un recul des résultats pour trois raisons. Il y a d’abord l’effet du cord cutting qui prend une nouvelle tournure avec l’internet sans fil (accès fixe via le réseau mobile), mais aussi la concurrence accrue avec le rapprochement des offres des différents réseaux. Et, enfin, le renchérissement du crédit, indispensable au financement des nouveaux réseaux.

Nouveaux réseaux

Dans ce contexte pessimiste, la moindre surprise positive pourrait engendrer un net rebond. Parmi ces éléments susceptibles de soutenir le secteur, nous pouvons surtout en retenir deux. Le premier serait sans aucun doute un assouplissement de la concurrence. En Europe, cela fait des années que les opérateurs font du lobbying en ce sens afin, notamment, d’éviter les marchés où quatre opérateurs (mobiles) sont en concurrence directe. L’autre opportunité est une hausse des revenus en faisant contribuer les grands utilisateurs de bande passante comme Netflix ou Alphabet (Google).

L’Union européenne planche sur une telle réglementation depuis quelque temps mais le projet ne fait pas l’unanimité et a été repoussé à la prochaine législature (à partir de 2025). Dans un cas comme dans l’autre, le résultat est donc très aléatoire et relève davantage du pari que de l’investissement.

Investissements freinés

Le secteur des télécommunications offre ainsi de meilleures opportunités. Si vous recherchez des entreprises capables de profiter des importants investissements dans les nouveaux réseaux, vous pouvez penser aux équipementiers comme Ericsson et Nokia, qui s’est, pour rappel, profilé comme équipementier après la vente de ses téléphones à Microsoft et le rachat d’Alcatel-Lucent en 2014-2015. L’interdiction des acteurs chinois Huawei et ZTE aux Etats-Unis et dans l’Union européenne a apaisé la concurrence.

Les coupons de sociétés actives dans les infrastructures télécoms, telle que Cellnex, apparaissent bien plus sûrs. © Reuters

Malgré tout, les titres des deux groupes nordiques ont récemment chuté en raison de résultats décevants, les opérateurs télécoms freinant leurs investissements dans la 5G. Pekka Lundmark, CEO de Nokia, a récemment indiqué que ce n’était que partie remise. Les opérateurs doivent continuer à investir massivement dans la 5G “car le trafic de données continue d’augmenter de 20% à 30% par an dans le monde et si un opérateur réduit (ses investissements) pendant une période prolongée, il perdra en compétitivité”.

Les analystes semblent plutôt du même avis. Pour Nokia, coté à Helsinki, ils ont en effet un conseil moyen d’achat avec un objectif de cours de 4,80 euros, soit un potentiel de hausse de 37%. Le consensus est un peu plus mitigé sur Ericsson: avis moyen de conserver et objectif de 62,77 couronnes suédoises (potentiel de hausse de 19%).

Rendement de dividende

Si vous êtes davantage intéressé par une rémunération récurrente, les opérateurs télécoms sont certes généreux mais leurs coupons sont loin d’être garantis dans l’environnement actuel. Les coupons des sociétés actives dans les infrastructures apparaissent ainsi bien plus sûrs. Cette activité s’est fortement développée ces dernières années alors que de plus en plus d’opérateurs télécoms ont vendu tout ou partie de leur parc de pylônes pour les relouer aussitôt (sale and leaseback).

Parmi les principaux acteurs, citons notamment American Tower (226.000 pylônes dans le monde ; rendement de dividende brut de 3,4% ; Bourse de New York), Cellnex Telecom (135.000 pylônes en Europe ; dividende de 0,15% mais promesse de le relever sensiblement chaque année ; Bourse de Madrid) ou Crown Castle (plus de 40.000 pylônes et plus de 135.00 km de fibre optique ; rendement de dividende 6,0% ; Bourse de New York). S’agissant de sociétés étrangères, les coupons sont soumis à un double précompte (étranger et belge).

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