Il y a une vie après le legs en duo

elderly senior woman with daughter signature legacy heritage testament document in a lawyer notary office © Getty Images/iStockphoto

Alors que le legs en duo existe toujours en Wallonie et à Bruxelles, cette disposition testamentaire a été supprimée en Flandre le 1er juillet 2021. “Nous constatons que les gens continuent à vouloir léguer de l’argent à des associations caritatives, mais il est trop tôt pour évaluer pleinement les conséquences de l’abolition de cette disposition”, estime Ann Maelfait du cabinet d’avocats Rivus.

Selon Ann Maelfait (cabinet du Rivus, partenaire juridique de Testament.be), le délai de traitement d’un testament est en moyenne de huit à dix ans. “C’est le temps moyen qui s’écoule entre la rédaction d’un testament et le décès du testateur ou de la personne qui a rédigé le testament. C’est pourquoi je pense que nous ne verrons l’impact réel de l’abolition en Flandre du legs en duo qu’à partir de 2030. Il est encore trop tôt pour dresser un état des lieux définitif”, pense la juriste.

Dans le sud du pays et dans la capitale, le legs en duo existe toujours et reste populaire pour ceux qui veulent éviter des droits de succession élevés à certains héritiers. Lorsque plus de la moitié de l’héritage menace de revenir à l’État, les citoyens commencent à chercher des échappatoires. Prenons un exemple: quiconque souhaite inclure un neveu ou une nièce dans son testament en Wallonie sait que l’héritier devra payer au moins 25 % d’impôts sur celui-ci. A partir de 12.500 euros, les droits de succession augmentent progressivement. Les oncles, tantes, cousins et nièces paient jusqu’à 55 % d’impôts sur la tranche d’héritage supérieure à 75.000 euros, et sur la tranche supérieure à 175.000 euros, ce taux passe à 70 %.

Un parent éloigné, un ami ou un voisin proche paie 60 % de droits de succession sur des montants qui dépassent 75.000 euros en Wallonie et 65 % dans la Région de Bruxelles-Capitale. Dans les deux Régions, le taux le plus élevé est pour les héritiers qui n’ont pas de lien de parenté ou un lien de parenté éloigné avec le testateur. Ce taux est de 80 % sur la tranche supérieure à 175.000 euros.

Grâce au legs en duo, les résidents wallons ou bruxellois peuvent – pour l’instant – faire un don à une association caritative, à condition que celle-ci paie les droits de succession des autres héritiers en plus de ses “propres” droits de succession. Les testateurs peuvent également utiliser le legs en duo pour qu’une œuvre caritative puisse bénéficier d’une partie stratégique de l’héritage. Cela peut permettre d’éviter que l’héritage ne tombe dans une tranche supérieure avec un taux d’imposition qui serait plus élevé pour les autres héritiers.

Dans de nombreux cas, la technique du legs en duo est une situation gagnant-gagnant, qui permet aux héritiers et aux organisations caritatives de bénéficier d’un gain net. À l’heure actuelle, l’abolition du legs en duo n’a jamais été envisagée à Bruxelles ou en Wallonie par les différents gouvernements. Néanmoins, dans le passé et avec un certain retard, ces Régions ont souvent suivi l’exemple de la Flandre en matière de réformes fiscales. Dans l’accord de coalition pour la formation du gouvernement wallon, par exemple, on trouve une réduction des droits d’enregistrement sur l’achat du seul logement occupé par le propriétaire et l’abolition du chèque habitat. Là aussi, le sud du pays suit l’exemple flamand.

A young mixed race woman with cancer laughs while spending time outdoors with her supportive and loving parents. Their arms are linked and they are walking in a forested area. All of the individuals are smiling and feeling positive about the future. © Getty Images

Il y a quelques années, le gouvernement flamand a décidé d’abolir le legs en duo, avec, pour contrepartie, une réduction du taux des droits de succession pour les associations caritatives. Il passait ainsi de 8,5 % à 0 %. En plus de cela, “l’héritage entre amis” a été créé, permettant aux testateurs de désigner dans leurs dernières volontés une ou plusieurs personnes bénéficiant d’une réduction des droits de succession. Ces amis ou parents éloignés ne paient alors que 3 % de droits de succession, taux qui s’applique également aux héritages jusqu’à 50.000 euros en ligne directe. Le taux réduit pour les amis ne peut s’appliquer qu’à 15.000 euros d’héritage, quel que soit le nombre d’amis désignés par le testateur. Pour Ann Maelfait, cet “héritage entre amis” n’est qu’une “mesure cosmétique”.

Tous les legs en duo n’ont pas été supprimés

La suppression en Flandre du mécanisme du legs en duo s’applique aussi aux testaments rédigés bien avant l’abolition intervenue le 1er juillet 2021. Qu’est-il advenu des legs en duo existants ? “Beaucoup de testaments dans lesquels la technique du legs en duo était prévue ont été adaptés par le testateur au cours des dernières années, explique Ann Maelfait. D’après mon expérience, la plupart des personnes concernées ont adapté leur testament de manière à ce qu’à leur décès, une partie de leur héritage puisse encore aller à une œuvre de bienfaisance.”

Selon l’avocate, certaines personnes se révoltent lorsqu’elles sont confrontées aux taux les plus élevés de l’impôt sur les successions. “Les couples sans enfants, en particulier, trouvent exaspérant que les droits de succession soient si élevés pour les enfants de leurs frères et sœurs, alors qu’ils ont déjà payé beaucoup d’impôts sur leur patrimoine au cours de leur vie. Parfois, ces règles jouent un rôle dans la décision de léguer de l’argent ou de faire un don à une œuvre caritative, mais le plus souvent, ces personnes veulent surtout contribuer à bâtir un avenir meilleur.”

Effets positifs et négatifs

Trends-Tendances a demandé à des organisations caritatives quel était l’impact de l’abolition du legs en duo. “L’impact total des changements en 2021 ne peut pas être purement calculé, car il y a des effets positifs et négatifs”, déclare Eric Van Cutsem, président néerlandophone de la Fondation contre le cancer. “D’une part, nous y avons gagné, car la taxe de 8,5 % a été supprimée, et d’autre part, les legs en duo ont également été refusés ou convertis en legs ordinaires. Dans l’ensemble, la nouvelle réglementation a un impact limité pour la Fondation contre le cancer. Les personnes qui nous lèguent de l’argent sont convaincues de notre utilité et veulent soutenir la recherche contre le cancer, même si cela n’implique plus d’avantages fiscaux pour les autres bénéficiaires. Soutenir la recherche contre le cancer est une bonne cause qui touche un public très large, étant donné que chaque année, on enregistre 75.000 nouveaux diagnostics de cancer.

“Dans l’ensemble, la nouvelle réglementation a un impact limité pour la Fondation contre le cancer.” – Eric Van Cutsem (Fondation contre le cancer)

La Fondation contre le cancer offre d’ailleurs, tant aux Wallons, aux Bruxellois qu’aux Flamands, un service complet afin qu’ils puissent rédiger leur testament en toute connaissance de cause. “Les calculs pour le legs en duo ne sont plus pris en compte en Flandre, mais ils font toujours partie de notre service pour les legs en Wallonie et à Bruxelles, vu que la mesure y est toujours d’actualité.”

Ann Maelfait note aussi que de nombreuses personnes ont encore la volonté de donner de l’argent à des organisations caritatives. “L’argent ne va pas seulement aux grandes organisations bien connues. De petites ASBL profitent également de cette tendance”, précise-t-elle. Cette dernière constate également ces dernières années que les gens sont beaucoup plus enclins à préparer leur fin de vie et toutes les démarches qui l’accompagnent. “Il ne s’agit pas seulement de planification financière, mais aussi de déclarations d’euthanasie, par exemple.”

“L’argent ne va pas seulement aux grandes organisations bien connues. De petites ASBL profitent également de cette tendance.” – Ann Maelfait (Rivus Lawyers et Testament.be)

Un crédit d’impôt fédéral

Les personnes qui souhaitent contribuer à la construction d’un monde meilleur avec leur argent préfèrent le faire de leur vivant. Ils peuvent ainsi se rendre compte de ce que ces associations caritatives font avec leurs deniers. Il existe également une raison fiscale importante de faire un don de son vivant, plutôt que d’inclure une œuvre de bienfaisance dans son testament. Au niveau fédéral, il existe une réduction d’impôt pour les dons à des associations ou institutions reconnues qui remplissent certaines conditions. “Juridiquement, la donation est un terme générique qui regroupe les donations et les legs”, affirme Ann Maelfait. Mais un legs ou une donation provenant d’une succession ne donne pas droit à une réduction d’impôt.

Lorsqu’on parle de donation, on ne pense pas non plus immédiatement à un acte notarié, mais plutôt à un don manuel ou à un don par virement bancaire. Pour ce type de donation, il n’est pas nécessaire de se rendre chez le notaire ou au bureau d’enregistrement et aucun droit de donation n’est dû. “La donation notariée est généralement utilisée pour des montants importants. Elle doit être enregistrée obligatoirement et déclenche donc les droits de donation”, poursuit l’avocate. De nombreuses personnes versent donc mensuellement ou annuellement de petits montants à des organisations bien connues telles que la Croix-Rouge, Médecins Sans Frontières ou Amnesty International. La liste des institutions agréées qui figurent sur le site du SPF Finances atteint 65 pages. Cette liste comprend également de nombreuses petites ASBL moins connues. Les dons de 40 euros ou plus peuvent faire l’objet d’une attestation fiscale, qui permet de récupérer jusqu’à 45 % de la somme versée sous la forme d’une réduction d’impôt via la déclaration à l’IPP. Il est possible d’inclure dans la déclaration d’impôt jusqu’à 10 % du revenu net ou un montant de dons de 408.130 euros.

“À partir de l’exercice d’imposition 2025, toutes les attestations fiscales devraient être automatiquement reprises dans Tax-on-web. Jusqu’à présent, ce n’était pas le cas pour toutes les associations caritatives. Depuis le 1er janvier, les associations agréées doivent donc demander le numéro de registre national de toutes les personnes physiques qui effectuent des dons”, explique Francis Adyns, porte-parole du SPF Finances.

Les Belges sont généreux
S’ils effectuent des dons à des associations caritatives de leur vivant, les Belges bénéficient cependant encore d’un avantage fiscal, à savoir la réduction d’impôt de 45%. Chaque année, un million de contribuables profitent de la possibilité de récupérer partiellement les versements d’au moins 40 euros à une institution ou association reconnue via leur déclaration à l’impôt des personnes physiques. On estime que plus de 362 millions d’euros ont ainsi été transférés à des organisations caritatives reconnues en 2022.
Le montant total des dons ouvrant droit à une réduction d’impôt augmente d’année en année. Le montant total des dons mentionnés sur les déclarations d’impôt est passé de 250,8 millions d’euros pour l’exercice fiscal 2019 à 362,3 millions d’euros pour celui de 2023, selon des chiffres récoltés par Trends-Tendances auprès du SPF Finances.

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