La retraite à 67, un “concept théorique”, comme l’affirme De Croo ?

Karine Lalieux et Alexander De Croo
Karine Lalieux et Alexander De Croo © getty

Dimanche le Premier ministre De Croo a déclaré lors du JT de VTM que la retraite à 67 ans était un concept un peu théorique. Qu’aujourd’hui la grande majorité des travailleurs prend déjà sa pension avant l’âge légal, vers 62 ou 63 ans. Mais est-ce vrai ?

A l’heure actuelle, l’âge de la retraite est encore officiellement à 65 ans. Mais il passera à 66 ans à partir de 2025 (le 01.02.2025) et à 67 ans en 2030 (le 01.02.2030). Pour De Croo cet allongement de deux ans ne devrait pas inquiéter outre mesure puisqu’il « s’agit en fait d’un concept un peu théorique, destiné aux personnes qui ont fait de longues études et qui ont commencé à travailler tard”.  Selon lui, pour la plupart des travailleurs, la pension ne sera pas aussi tard. Il explique ainsi, toujours à VTM qu’«aujourd’hui déjà, il existe une différence entre l’âge légal de la retraite et l’âge auquel la plupart des gens prennent leur retraite. Soit entre 62 et 63 ans. Toujours selon De Croo, seuls environ 10 % des personnes seraient effectivement pensionnés à l’âge légal et il s’agirait principalement de personne ayant commencé à travailler sur le tard.

Est-ce vrai ?

L’âge réel de retrait du marché du travail est effectivement, pour la plupart des travailleurs, en deçà des 65 ans. Les partenaires sociaux ont sorti un large rapport de 171 pages le 8 mars 2023 sur les pensions. On y constate que l’âge de la retraite tourne aux alentours de 62 ans. Mais aussi que cet âge moyen varie beaucoup plus si on regarde les chiffres d’un peu plus près. Ainsi pour 2021 (derniers chiffres disponibles), l’âge de prise de cours de la pension est de 65 ans pour la majorité des salariés (52,6 %)  et des indépendants (65,8 %). Mais ce pourcentage baisse sérieusement chez les fonctionnaires où ils sont seulement 21,3 % à prendre leur pension à 65 ans.

On notera aussi qu’un peu plus de 28% des salariés prennent leur pension entre 61 et 63 ans, pour presque 17% des indépendants.  

Enfin, 13,6 des indépendants ont travaillé après leurs 65 ans et 4.79% on fait de même chez les salariés. C’est le cas pour seulement 2% chez les fonctionnaires. 

Un âge qui recule et une différence entre les sexes

Selon ce même rapport, en moyenne, la génération qui a eu 65 ans en 2021 prend sa retraite une petite année plus tard que la génération qui a eu 65 ans en 2013. Cela est dû en partie au durcissement des conditions d’accès aux systèmes de prépension. Le nombre de “chômeurs avec complément d’entreprise” (les prépensionnés) a ainsi diminué de façon spectaculaire en une décennie. Il est passé de 120 322 en 2010 à 23 232 en 2022. Pour rappel, il faut avoir 63 ans et 42 années de carrière, ou 60 ans avec 44 années de carrière ou encore  61 ou 62 ans avec 43 ans de carrière pour accéder à la pension anticipée.

Sur mypension.be il est possible d’avoir une estimation du montant de votre pension légale. Il affiche un montant brut exprimé en euros actuels et qui avec l’indexation pourrait être plus élevé le moment venu.  Le même site indique aussi quand commence votre pension légale et la date la plus proche à laquelle vous pouvez prendre votre pension anticipée.

Le rapport révèle aussi que l’âge de sortie est également légèrement plus élevé chez les hommes que chez les femmes. Ainsi en Belgique, le Bureau du Plan l’estime à 62,6 ans pour les hommes et 62,1 ans pour les femmes. L’OCDE, qui utilise d’autres méthodes, l’estime à 60,9 ans pour les hommes et 60,1 ans pour les femmes. Une moyenne belge qui est bien plus basse que la moyenne des pays de l’OCDE située à 63,8 ans pour les hommes et 62,4 ans pour les femmes. Seul dans quatre autres pays de l’OCDE on part plus tôt à la retraite qu’en Belgique.

Pas que l’âge

On l’oublie souvent, mais il n’y a pas que l’âge qui détermine le début de la retraite dite anticipée. Il y a aussi le nombre d’années que l’on a travaillé. Si l’on veut pouvoir partir avant 65 ans aujourd’hui il faut aussi avoir travaillé 42 ans. Hors 40% des femmes ne remplissent pas cette catégorie, car elles ont travaillé à temps partiel ou pris des pauses carrières, notamment pour s’occuper des enfants. Elles représentent ainsi 80% des travailleurs à temps partiel, ce qui les pénalise pour leur pension. On estime ainsi que les femmes ont encore, en moyenne, une pension inférieure de 30% à celle des hommes. Ces femmes n’ont dès lors pas d’autre choix que de travailler jusqu’à 65 ans, voire plus si elles veulent s’en sortir financièrement.

Les personnes qui affichent une carrière complète sont très rares

Un autre point trop souvent ignoré est que pour avoir une pension complète, il faut avoir travaillé 45 années. Or rares sont les travailleurs qui affichent une carrière complète même à l’âge légal de la retraite. Et ce n’est pas sans répercussion sur le montant de la pension. Ainsi si l’on a travaillé 43 ans on aura droit à 43/45e de la pension légale. Et puis le travailleur qui affiche une carrière complète n’a en moyenne presté effectivement que les 2/3 de sa carrière. Le tiers restant est souvent constitué de “périodes assimilées” comme des congés maladie, invalidité, chômage ou encore crédit-temps. S’ils comptent pour le calcul de la pension, ils sont moins avantageux qu’une période de travail normal. Autant bien calculer son coup avant.

Invalidité et marché du travail compliqué pour les plus de 50 ans

Ce que De Croo ne dit pas c’est que de nombreux employeurs continuent d’écarter les travailleurs les plus âgés, dans le cadre de procédures Renault par exemple, pour soulager leur masse salariale et engager des jeunes plus productifs. Ce souhait rejoint bien souvent le désir de salariés en quête d’une fin de carrière permettant de prendre le temps de profiter de la vie. Et quand tout cela n’est pas possible, les “seniors” viennent souvent gonfler le rang des malades de longue durée, dont le nombre explose. C’est l’un des autres aspects du problème qui veut que si on augmente l’âge de la retraite on augmente aussi le nombre de personnes en invalidité. Le Bureau Plan estime ainsi que 22,1 % de la population active des personnes âgées de 50 à 64 ans est en invalidité. Soit une augmentation de près de 10 % par rapport à 2005. On constate donc des retraites anticipées masquées sous forme de certificats pour maladie ou invalidité. 

Pour ceux qui voudraient racheter leurs années d’études pour obtenir ainsi une plus longue carrière et augmenter ainsi le montant de leur pension, il est sage de calculer le rapport coût/bénéfice de l’opération sur mypension.be. Cette option est en effet loin d’être avantageux pour tous. S’il faut compter en moyenne 6 ans pour récupérer l’investissement, cela va dépendre de l’âge, du salaire ou encore du nombre d’années rachetées.

Possible de prendre sa pension en continuant à travailler

Il est aussi possible de prendre sa pension tout en continuant à travailler, et ce, en tant qu’indépendant ou salarié. Même si 30 à 50% des montants ainsi gagnés seront “perdus” en cotisations sociales ou en impôts, cela reste intéressant financièrement. Si vous avez 65 ans et/ou une carrière de 45 années, il n’y a aucune limite à respecter. Si ce n’est pas le cas, le montant est par contre plafonné.

Enfin, on rappellera aussi qu’une pension minimale atteindra 1.630 euros net en 2025. Elle concerne aujourd’hui 837.000 personnes, soit un tiers des retraités, dont 60% de femmes. Mais attention ce montant est calculé en fonction d’une carrière complète (pour rappel 45 ans). Si vous n’avez travaillé que 32 ans, vous n’aurez ainsi que 32/45 de 1.630 euros.

Pas qu’un symbole

Selon Vincent Vandenberghe (UCLouvain), spécialiste de l’économie du travail, le relèvement mécanique de l’âge de départ à la pension n’aurait qu’un effet partiel puisque seule la moitié des travailleurs concernés environ reste au travail. Cependant l’âge légal sert aussi de standard sociétal, y compris au sein des entreprises. Il n’est donc pas qu’un détail.

Enfin, si en principe chacun est libre de cesser de travailler n’importe quand, il faut cependant en assumer seul les conséquences. Plus la carrière est courte, moins la pension sera élevée. Et si aujourd’hui il faut attendre 65 ans pour toucher sa pension légale, ce sera 67 ans d’ici 2030. Pour beaucoup la question n’aura donc rien de théorique. Puisque plus que de le pouvoir légalement, il faudra aussi se le permettre financièrement.

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