“Il y a encore de la marge pour la réforme des pensions des fonctionnaires”

Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Parmi les nombreuses réformes incluses dans l’accord de gouvernement, celle des pensions attire particulièrement l’attention. « La réforme avance très lentement », estime l’experte de la KULeuven Marjan Maes. Toutefois, elle va plus loin que ce que les gouvernements précédents avaient osé entreprendre.

Le mot « pension » apparaît pas moins de 146 fois dans l’accord gouvernemental. Les réformes du régime de pension légale (premier pilier) et de la pension complémentaire, généralement constituée via l’employeur (deuxième pilier), s’étalent sur sept pages.

« L’accord gouvernemental précédent ne comptait que deux pages sur les pensions. De plus, il contenait de nombreuses formules vagues comme ‘nous allons examiner’ ou ‘nous allons étudier’ », explique Marjan Maes, professeure à la KU Leuven. « Les négociations ont duré sept mois, mais au final, beaucoup plus de choses sont inscrites sur papier. Je trouve cela positif que les discussions soient derrière nous. »

Au début de la législature, le gouvernement De Croo avait relevé la pension minimum à 1 500 euros. Mais, les partenaires de la coalition ne se sont jamais accordés sur les réformes nécessaires pour rendre le coût des retraites soutenable. Bart De Wever (N-VA) ne voulait visiblement pas tomber dans le même piège. Marjan Maes commente : « Les réformes prennent du temps à être mises en place. La plupart des mesures n’entreront en vigueur qu’en 2027. Les effets bénéfiques sur le budget ne se feront ressentir que dans plusieurs années. »

Les pensions pour maladie

« Lorsque les fonctionnaires statutaires tombent malades sur une longue période, ils peuvent d’abord utiliser leurs jours de congé de maladie accumulés, tout en continuant à percevoir 100 % de leur salaire. Selon leur statut, ils peuvent accumuler jusqu’à 21 jours de congé maladie par an. Tant que ces personnes restent sur la masse salariale d’employeurs publics comme bpost, cela représente un coût. Mettre les fonctionnaires en retraite pour maladie est donc un moyen pour ces employeurs de se débarrasser de ces coûts. Cela transfère ainsi la charge financière au service fédéral des pensions. Toutefois, l’allocation de pension pour maladie est souvent insuffisante pour bien vivre, tout en étant une sorte de rente « Win for Life » que l’on perd en cas de reprise du travail », explique Marjan Maes.

Marjan Maes (KU Leuven)

La fin du cumul des jours de maladie

Le nouveau gouvernement prévoit de mettre fin à l’accumulation des jours de maladie. Il veut aussi interdire complètement l’entrée dans le régime de pension pour maladie à partir du 1er janvier 2026. « Chaque année, plusieurs milliers de fonctionnaires entrent encore dans ce régime », note Marjan Maes. Selon une étude de Medex (Service d’expertise médicale), 2 116 fonctionnaires ont été mis prématurément à la retraite en 2023 pour raisons médicales. 358 ont bénéficié d’une retraite temporaire. 191 ont été reconnus comme souffrant d’une maladie grave et prolongée. « Cette mesure contribuera rapidement à alléger les coûts du vieillissement. »

Bonus et malus pour les pensions

Le gouvernement veut introduire un système de bonus-malus afin d’ajuster le montant de la pension en fonction de l’âge de départ à la retraite. Les personnes qui arrêtent avant l’âge légal verront leur pension réduite. ceux qui travaillent au-delà de cet âge recevront un montant plus élevé. « Ce système existe déjà dans de nombreux pays. Il est logique qu’il soit réintroduit », estime la professeure. « La suppression du malus en 1991 a été la plus grande erreur de notre histoire des retraites. »

À partir de 2026, le système réintroduit progressivement le malus. Jusqu’en 2030, la pension sera réduite de 2 % par année de départ anticipé, sauf pour ceux ayant travaillé au moins 35 ans. Entre 2030 et 2040, la réduction passera à 4 %, et à partir de 2040, elle sera de 5 %.

« Mais c’est aussi une occasion manquée », ajoute Marjan Maes. « La Commission européenne conseille depuis des années à la Belgique d’indexer l’âge de la retraite sur l’espérance de vie. Selon ses calculs, cela permettrait de réduire de 1,6 point de pourcentage du PIB les dépenses de pension supplémentaires entre 2022 et 2070. Soit une quasi-division par deux. »

Modernisation et harmonisation

La plupart des mesures du plan de réforme des pensions entreront en vigueur progressivement et soient accompagnées de mesures transitoires. En voici les grandes lignes.

L’Arizona prévoit une modernisation du système, notamment avec la suppression progressive de la pension de ménage. « Cela suit l’évolution de la société. La part des pensions de ménage diminue depuis des années, atteignant aujourd’hui 10 %. De plus, cette pension n’existe que pour les couples mariés. Elle exclue les cohabitants légaux ou de fait. La pension de ménage revient à augmenter de 25 % la pension de l’un des conjoints si cela s’avère plus avantageux que les deux pensions séparées. La pension de divorce sera également supprimée progressivement. Elle n’existait déjà pas pour les fonctionnaires. Il s’agit donc d’une harmonisation logique. »

« La suppression du malus en 1991 a été la plus grande erreur de notre histoire des retraites. »

Carrière mixte

Les trois régimes de pension – fonctionnaires, salariés et indépendants – se rapprochent également sur d’autres aspects. « Aujourd’hui, certaines personnes ayant travaillé 45 ans ne peuvent pas prétendre à une pension minimum parce qu’elles ont eu une carrière mixte. Ce ne sera plus possible : à partir de maintenant, les années travaillées dans les trois systèmes seront prises en compte pour déterminer le droit à une pension minimum », explique Marjan Maes.

Dès le 1er janvier 2027, les trois régimes appliqueront une définition uniforme d’une année de carrière. Pour pouvoir partir en retraite anticipée, un nombre suffisant d’années de carrière sera requis. Désormais, une année comptera si la personne a travaillé au moins deux trimestres, six mois ou 156 jours en tant qu’indépendant, fonctionnaire ou salarié.

Le mode de calcul des pensions sera également harmonisé. Actuellement, la pension des salariés est calculée sur base des salaires perçus sur l’ensemble de leur carrière, tandis que pour les fonctionnaires, seuls les salaires des dix dernières années – souvent plus élevés – sont pris en compte. Cette différence sera supprimée.

Opportunités manquées

L’âge de la retraite pour les militaires et le personnel roulant de la SNCB sera progressivement relevé, à raison d’un an par an, à partir du 1er janvier 2027, pour atteindre l’âge légal de la retraite. Toutes les carrières préférentielles pour les fonctionnaires prendront fin pour les prestations futures à partir du 1er janvier 2027. Cependant, les droits acquis ne seront pas affectés. « Les fonctionnaires devront donc travailler 45 ans pour une pension complète à partir de 2062, comme c’est déjà le cas pour les salariés », précise Marjan Maes.

« Je comprends que les négociations ont été difficiles, mais il y avait encore des marges de réforme pour les pensions des fonctionnaires », estime-t-elle. « Par exemple, le coefficient de majoration est maintenu. Il sera réduit de 1,05 à 1,025 en 2032, permettant toujours aux enseignants de partir un an plus tôt en retraite que les salariés et les indépendants. Je ne comprends pas pourquoi ce coefficient n’a pas été fixé à 1. Ce maintien pourrait avoir un effet pervers : inciter les enseignants à ne pas prolonger leur carrière tout en subissant l’impact négatif de la réforme sur leur pension. Le corps enseignant est un groupe très important, et c’est peut-être la plus grande occasion manquée de cette réforme. »

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