Mieux gérer son argent, ça commence aussi au bureau

De nombreux travailleurs doivent surveiller attentivement leurs dépenses pour éviter d’être à découvert à la fin du mois. En renforçant l’éducation financière sur le lieu de travail, les employeurs peuvent atténuer le stress financier de leurs salariés et, par conséquent, améliorer leur productivité.
D’après une enquête menée auprès de 1 000 jeunes Belges à la demande de l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA), les 18-25 ans souhaitent en apprendre davantage sur la gestion de l’argent à l’école. Or les jeunes ne sont véritablement confrontés aux questions fiscales qu’après avoir quitté l’école. De plus, en Belgique, l’investissement en actions n’est autorisé qu’à partir de 18 ans.
Une fois entrés sur le marché du travail, les jeunes adultes perdent le lien avec l’enseignement formel, et les connaissances financières qu’ils y avaient acquises s’estompent progressivement si elles ne sont ni pratiquées ni actualisées. « L’école pose des bases, mais cela reste très insuffisant », estime Els Lagrou, ancienne collaboratrice de la FSMA et de l’OCDE, aujourd’hui cofondatrice de Dagelijks Geld.
Un mal caché chez les salariés les mieux payés
Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas uniquement les travailleurs à faibles revenus qui rencontrent des difficultés financières. « La majorité des salariés ayant du mal à joindre les deux bouts se situent plutôt dans la tranche supérieure des revenus », affirme Els Lagrou. Cette observation s’appuie sur une étude menée par les économistes de l’Université de Louvain, Laurens Cherchye, Bram De Rock et Frederic Vermeulen. Ils constatent que 80 % des ménages belges vivant d’un salaire à l’autre appartiennent aux catégories de revenus élevés. Ces foyers, malgré des actifs importants – 75 % d’entre eux possèdent des biens immobiliers – se retrouvent souvent sans liquidités à la fin du mois.

Selon Els Lagrou, ce manque de maîtrise financière trouve son origine dans l’ignorance de certains mécanismes fondamentaux. « Cela commence dès la fiche de paie : peu de salariés comprennent les informations qui y figurent, encore moins sont capables de vérifier leur exactitude. Et pour ceux qui sont diplômés, il est parfois difficile d’admettre qu’ils ne comprennent pas tout et d’oser poser des questions au service des ressources humaines », explique-t-elle.
Les entreprises sous-estiment l’ampleur du problème
Une enquête menée par SD Worx auprès de 731 dirigeants de PME révèle qu’environ un salarié sur cinq rencontre des problèmes financiers. Ces difficultés deviennent visibles lorsque les employés demandent des avances sur salaire, des augmentations ou s’inquiètent de la date de versement de leur rémunération. Certains multiplient les heures supplémentaires, tandis que d’autres commettent davantage d’erreurs au travail.
Un dirigeant de PME sur dix estime que le stress financier détériore l’ambiance de travail et réduit la productivité. Pourtant, la majorité des employeurs considèrent qu’ils disposent de peu de leviers pour intervenir. Pour Els Lagrou, il existe cependant une marge d’action : « Les employeurs investissent déjà beaucoup dans le bien-être de leurs salariés, car ils savent qu’un employé heureux est plus performant. Il serait simple d’ajouter un volet consacré au bien-être financier. »
Des erreurs coûteuses
Des erreurs sur les fiches de paie peuvent aussi passer inaperçues, avec des conséquences financières directes pour les salariés. Par exemple, un lecteur du magazine Trends a récemment découvert que son employeur lui imputait à tort une contribution personnelle pour un téléphone professionnel. Bien qu’il ait choisi d’utiliser son propre appareil lors de son embauche, l’erreur n’a jamais été corrigée, et il a injustement payé une retenue sur son salaire ainsi qu’un précompte professionnel sur cet avantage en nature.
L’éducation financière : un investissement stratégique pour les entreprises
Pour Els Lagrou, l’éducation financière en entreprise est une mesure préventive essentielle. Il ne s’agit pas seulement d’aider les employés déjà en difficulté, mais d’éviter qu’ils ne se retrouvent dans cette situation.
Des études montrent que le stress financier a des répercussions concrètes sur la santé et la performance des salariés. Une enquête révèle ainsi que les travailleurs soumis à une forte pression financière dorment moins bien (29 %), adoptent des habitudes alimentaires moins saines (25 %), constatent une dégradation de leur santé générale (21 %) et voient leurs performances professionnelles diminuer (14 %). Au Royaume-Uni, le coût de la perte de productivité liée au stress financier est estimé à plusieurs milliards de livres sterling par an.
Des populations particulièrement vulnérables
En Belgique, environ 5 % des travailleurs vivent sous le seuil de pauvreté, selon les indicateurs du Bureau fédéral du Plan. Les jeunes de 18 à 24 ans sont particulièrement exposés : 10 % des travailleurs de cette tranche d’âge sont considérés comme pauvres. Ce taux varie également en fonction des régions : il atteint 9,6 % dans la Région de Bruxelles-Capitale, contre 5 % en Wallonie et 3,7 % en Flandre.
Un emploi n’est pas toujours une garantie contre la pauvreté
Deux groupes particulièrement vulnérables pourraient bénéficier significativement d’une éducation financière sur le lieu de travail. Tout d’abord, les familles monoparentales : 12,1 % d’entre elles restent en situation de pauvreté malgré un emploi. Ensuite, les retraités : près de 20 % d’entre eux sont exposés au risque de précarité financière.
Els Lagrou souligne l’importance d’un accompagnement ciblé : « Nous savons que les parents célibataires constituent un groupe à risque. Il serait judicieux de les accompagner sur des thématiques comme l’usage des cartes de crédit, les crédits à la consommation, la gestion budgétaire et la planification financière. Leur offrir des outils concrets pourrait leur redonner espoir et améliorer leur situation financière sur le long terme. »
Intégrer l’éducation financière dans le temps de travail
Selon Els Lagrou, permettre aux employés de consacrer du temps aux questions financières durant les heures de travail pourrait avoir un impact positif tangible :
« Si vous accordez aux parents célibataires un peu de temps pendant leurs heures de travail pour gérer leurs finances, cela peut vraiment les aider. Ces personnes manquent souvent de temps pour s’occuper de ces aspects essentiels. Certaines entreprises permettent à leurs salariés de s’entraîner pour un marathon pendant les heures de bureau, parce qu’elles reconnaissent les bienfaits du sport sur la santé. De la même manière, l’éducation financière peut soulager les employés confrontés au stress financier. »
Trois moments-clés pour soutenir les salariés
Els Lagrou identifie trois étapes majeures où les employeurs peuvent apporter un soutien financier accru à leurs employés :
- Le début de carrière : Lorsque les salariés intègrent une entreprise, ils reçoivent rapidement un aperçu de leur package salarial. Cependant, cette période d’adaptation est souvent intense et de nombreuses informations essentielles peuvent être oubliées.
« Récemment, une entreprise m’a sollicitée pour examiner sa politique salariale avec un regard neutre aux côtés de ses employés. Par exemple, les jeunes travailleurs savent-ils qu’ils peuvent inclure leur partenaire et leurs enfants dans l’assurance hospitalisation ? Connaissent-ils les possibilités de remboursement des cotisations de leur épargne-pension via un plan cafeteria ? Un régime de rémunération flexible est-il réellement avantageux pour eux ou seulement pour l’employeur ? »
- La création d’une famille : À ce stade, les besoins financiers évoluent considérablement. Un accompagnement spécifique peut inclure des conseils sur les crédits immobiliers, les dépenses liées aux enfants, ou encore l’optimisation fiscale pour les familles.
- La préparation à la retraite : Les travailleurs plus âgés recherchent des informations précises sur l’épargne-retraite et la planification patrimoniale.
« Ces employés ont des questions concrètes : quel montant doivent-ils épargner pour maintenir leur niveau de vie après la retraite ? Leur fournir des informations adaptées au bon moment peut grandement les aider à préparer leur avenir financier. »
Chaque étape de la vie professionnelle présente des besoins financiers spécifiques. Offrir une éducation financière adaptée à ces moments-clés, directement sur le lieu de travail, permettrait non seulement d’améliorer le bien-être des salariés mais aussi d’optimiser leur stabilité financière à long terme.
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