L’impôt sur la ­fortune n’a pas dit son dernier mot

"LES ENGAGES défendent le principe de la taxation des revenus du patrimoine", dit-on au siège du parti. © Getty Images
Baptiste Lambert

Les résultats des élections ont montré un glissement vers ­le centre-droit. Mais l’idée d’augmenter les impôts sur le ­patrimoine n’a pas disparu pour autant. Vous pouvez oublier la taxe des millionnaires, mais les Engagés, le cd&v et ­Vooruit n’ont pas abandonné l’idée d’une plus grande ­solidarité ­fiscale.

Avec la défaite des Verts et du PS, et l’isolement du PTB, qui n’a pas progressé, la taxe sur les millionnaires, qui a marqué la campagne électorale, a disparu de l’agenda politique. Il ne sera plus question de viser la fortune de manière globalisée, en touchant aux patrimoines de plus de 1, 2 ou 5 millions d’euros. Mais la gauche aura néanmoins marqué la campagne et mis dans la tête d’une partie de ses opposants l’idée suivante : les épaules les plus larges doivent faire davantage d’efforts.

Finances publiques

Au-delà de cette plus grande solidarité, il est aussi question de finances publiques. Comme tout le monde le sait, elles sont gravement dans le rouge. Et comme tout le monde s’y attendait, elles ont valu à la Belgique une réprimande de l’Europe. Ce ne sont pas que des mots : la Belgique est officiellement placée sous le joug d’une procédure pour déficit excessif. L’effort de guerre est évalué à 25 milliards d’euros, selon la Commission européenne. Pour rentrer dans les clous budgétaires d’un déficit de 3%, un effort de 0,72% du PIB par an attend les gouvernements sur les quatre prochaines années, soit environ 6 milliards d’euros par an. Si le prochain gouvernement fédéral parvient à mettre en place des réformes structurelles, ce qui est l’intention, il pourrait lisser son effort en 7 ans. Il serait alors compris entre 0,42% et 0,59% du PIB par an.

Il faut donc bien trouver de l’argent quelque part. La N-VA et le MR, dont les violons sont accordés sur les thématiques économiques, tirent sur deux ficelles : la baisse des dépenses publiques et l’augmentation du taux d’emploi. La première ne pourra se faire par la seule recherche d’efficacité. La N-VA était d’ailleurs la plus honnête à cet égard, dans les priorités qu’elle a soumises au Bureau du Plan : de sérieuses coupes budgétaires seront inévitables. La deuxième est un pari sur l’avenir, et la limitation des allocations de chômage à deux ans, on peut déjà l’écrire, ne sera pas la formule magique vers les 80% de taux d’emploi.

Mais cette volonté de couper dans les dépenses publiques est sérieusement remise en cause par les probables partenaires du MR et de la N-VA, au niveau fédéral. Tant les Engagés que le cd&v ont prévenu que les économies dans les soins de santé et la réduction de la fameuse norme de croissance sont une ligne rouge. Vooruit, seul parti de centre-gauche de cette éventuelle coalition Arizona, vendra, lui aussi, chèrement sa peau. Les socialistes flamands posent leur condition : “Une juste contribution des gros patrimoines”.

Globalisation des revenus

Du côté des Engagés, un chapitre entier de leur programme est dédié à la justice fiscale. De quoi donner quelques boutons à la N-VA, mais aussi aux libéraux francophones. MR et Engagés sont peut-être un couple compatible, mais on ne les mariera pas au premier regard.

“Les Engagés défendent le principe de la taxation des revenus du patrimoine”, nous explique-t-on, au siège du parti. Et pas question de faire marche arrière : “C’est un point qui sera avancé et maintenu lors des négociations fédérales”. Le parti de Maxime Prévot soutient dans son programme qu’il n’est pas normal qu’un euro gagné par le capital soit moins taxé qu’un euro gagné par le travail. Mais de quoi parle-t-on exactement ? “Il s’agit de la globalisation des revenus du travail et du patrimoine”, qui seraient taxés au même taux, via l’IPP, “pour aboutir à une diminution de la fiscalité sur le travail et donc à une diminution de la pression fiscale pour le citoyen”. Un exemple ? “Les plus-values nettes sur les produits financiers.” Une exception ? “Les loyers, dont le régime de taxation sur base du revenu cadastral serait maintenu.”

“Un euro est un euro, abonde ­Vooruit. Mais les socialistes flamands ne font pas d’exception pour les revenus locatifs. Seuls les fonds de pension sont épargnés par leur proposition. Au total, le Bureau du Plan a estimé que la globalisation des revenus telle que proposée par Vooruit, à un taux moyen de 49%, rapporterait aux caisses de l’Etat pas moins de 10 milliards d’euros par an.

Plus-values

Une telle globalisation des revenus ne séduit pas les libéraux francophones. “Pour nous, c’est un problème, glisse Matthieu Possoz, avocat et conseiller fiscal du MR. Car concrètement, un travailleur qui investit et qui prend des risques sera pénalisé et atteindra à chaque fois la tranche d’impôt de 50%. On ne parle pas du PDG d’une grande société, mais d’un enseignant qui gagne 4.000 euros bruts par mois ou d’un agriculteur qui investit dans la PME de son voisin ou en Bourse. On taxerait à plus de 50% de l’argent qui par ailleurs a déjà été taxé.” Et quid des pertes, s’interroge-t-on chez les libéraux ? “Vous n’obtiendrez aucun crédit d’impôt ou aucune déductibilité ? C’est de la folie.”

Que l’on regarde d’abord déjà ce qui existe. On a déjà plein de taxes sur le patrimoine en Belgique.” (MR)

Se limiter à une taxe sur les plus-values financières a-t-il plus de chances de passer ? Une telle taxe n’existe pas en Belgique, contrairement à la France, où la plus-value sur action est taxée à 30%. Les propositions des Engagés et de Vooruit sont ici les mêmes : leur taxe sur les plus-values nettes rapporterait 2,9 milliards d’euros par an, selon le Bureau du Plan. Mais dans le cas des Engagés, elle n’entrerait en vigueur qu’en 2027. La taxe porterait sur la plus-value nette par rapport au montant du dépôt de tous les actifs financiers. Le taux d’imposition serait là aussi de 30% (comme pour le précompte mobilier) et ponctionné au moment de la revente.

Y a-t-il un risque de voir de nombreux investisseurs vendre leurs actions juste avant l’entrée en vigueur d’une telle taxe ? Le Bureau du Plan a pris en compte la≈réponse comportementale des investisseurs, qui est estimée à 10 milliards d’euros, mais il indique “qu’elle pourrait être sous-estimée”, car elle prend en compte uniquement la réaction à l’imposition des plus-values sur action, alors que la mesure des Engagés et de Vooruit vise tous les actifs.

Une question se pose aussi sur les moins-values. En France, par exemple, on peut reporter la moins-value sur les plus-values des 10 années suivantes. Une autre piste viserait à déduire fiscalement les moins-values comme on taxe les plus-values. Mais ce serait très problématique pour les finances de l’Etat, en cas d’année difficile sur les marchés, comme en 2022.

Le patrimoine est déjà taxé

“Que l’on regarde d’abord déjà ce qui existe, tempère-t-on chez les libéraux. On a déjà plein de taxes sur le patrimoine en Belgique. On a les droits d’enregistrement qui sont les plus élevés du monde. On a des droits de succession qui sont prohibitifs, le précompte immobilier qui est clairement une taxe sur le patrimoine, et on a rajouté la taxe sur les comptes-titres.”

On peut aussi mentionner le précompte mobilier sur les intérêts et sur les dividendes, à 30%, ainsi qu’une taxe boursière comprise entre 0,12% et 1,32% sur le montant de chaque transaction (action, obligation ou un ETF). Et effectivement, le précédent gouvernement a introduit une taxe sur les comptes-titres de 0,15% pour les comptes d’investissement de plus de 1 million d’euros. Il a déjà été question de la doubler.

Tout ceci conduit à ce que la Belgique se classe, avec 3,2% du PIB, à la troisième place des pays de l’UE dont la pression fiscale sur le patrimoine est la plus importante derrière le Luxembourg et la France (OCDE, 2022).

Droits de succession

En Wallonie et à Bruxelles, ça discute, toutefois. On parle de faire baisser les droits de succession. C’est même “une priorité”, a déjà avancé le président du MR, Georges-Louis Bouchez.

Dans son programme, le parti de Maxime Prévot se montre particulièrement ambitieux sur cette question. Il entend ni plus ni moins supprimer ces droits de succession, pour les remplacer par une taxe de transmission de 4 à 5%. Il y ajoute un abattement sur les premiers 100.000 euros, de telle sorte que 40% de la population serait exemptée de toute taxe de transmission.

FAIRE BAISSER les droits de ­succession est ­”une priorité” pour le MR. © Getty Images

Du côté du MR, on est plus prudent. Après tout, les droits de succession touchent un point cher à Georges-Louis Bouchez : la méritocratie. Mais dans le programme des libéraux, on veut plafonner les tranches d’imposition à 50%, quelle que soit la lignée, en lieu et place des 80% d’aujourd’hui.

Dans la même veine, le duo planche sur une baisse des droits d’enregistrement en Wallonie et dans la capitale, situés à 12,5%, avec un abattement plus important dans la capitale. Les Engagés seraient enclins à réduire le taux, voire à le supprimer pour les primo-accédants, pour le remplacer par une taxe annuelle. Pour les autres, le parti propose de les annualiser sur une période de 20 ans. Au MR, on veut réduire les droits d’enregistrement à 3%, comme en Flandre.

Il faudra s’entendre, mais les deux partis s’accordent déjà sur la portabilité des droits d’enregistrement. C’est-à-dire ? Les droits d’enregistrement payés lors de l’achat d’une première maison seraient déduits de ceux payés pour un nouveau bien, en cas de vente du premier.

Attention toutefois aux finances publiques. Les droits de succession, par exemple, rapportent chaque année 800 millions d’euros à la Wallonie. Mais Les Engagés estiment que moins de personnes tenteront d’échapper à cette taxe de transmission, via de l’ingénierie fiscale, et donc, que la suppression des droits de succession serait budgétairement neutre. Ce que n’est pas parvenu à confirmer le Bureau du Plan.

Réforme fiscale

Si les Régions se mettent à baisser à leur sauce certaines taxes existantes sur le patrimoine, il faudra bien compenser. Or, les principaux leviers fiscaux se trouvent à l’échelon fédéral. C’est à ce niveau-là que se discutera la grande réforme fiscale qui doit permettre de baisser l’impôt sur le revenu. La Belgique est de loin le pays qui taxe le plus le travail, à 52% pour un salarié isolé. La France est à 46,8%, le Luxembourg à 41,3% et les Pays-Bas à 35,1%. Le ministre des Finances sortant, Vincent Van Peteghem (cd&v), a bien tenté de relever la quotité exemptée d’impôt et de baisser certaines tranches de 5%, dans sa réforme avortée, mais cela supposait de supprimer plusieurs niches fiscales. Or derrière chaque niche fiscale, il y a un chien de garde, et il portait à chaque fois le même nom : le MR. Les libéraux francophones ne veulent pas entendre parler d’un tax shift, mais souhaitent mettre sur pied un tax cut.

A l’aune des priorités remises au Bureau du Plan, on ne sait toujours pas comment le MR compte s’y prendre sans détériorer les finances publiques. De nouveaux impôts sur le patrimoine seront-ils nécessaires ? “On n’a pas de tabou au MR, ajoute Matthieu Possoz. La priorité est de baisser la taxation sur les bas et les moyens salaires. On est prêt à discuter de tout, mais il ne faut pas venir avec de grands slogans sur la taxation du patrimoine. Réfléchissons d’abord à comment mieux gouverner la Belgique, comment baisser le taux de 55% de PIB de dépenses publiques. Ce n’est pas en rajoutant éternellement de l’argent dans la machine qu’on améliore les choses.”

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