“Les investisseurs ne doivent pas s’attendre à des taux plus élevés”
Pascal Blanqué, chief investment officer d’Amundi, le plus gros investisseur européen, nous ôte toute illusion quant à de meilleurs rendements en 2017. “Nous partons du principe, pour tous nos placements, que les taux resteront extrêmement bas. L’investisseur ne doit pas espérer une normalisation de ceux-ci.”
En qualité de chief investment officer d’Amundi, l’économiste et historien financier Pascal Blanqué supervise 1.054 milliards d’euros d’investissement pour la société de gestion d’actifs née de la fusion de la branche patrimoine du Crédit Agricole et de la Société Générale. Le patrimoine géré par le Français est comparable en importance à l’économie espagnole, ce qui fait de lui un des investisseurs les plus influents sur les marchés financiers.
TRENDS-TENDANCES. Investir dans l’infrastructure sera-t-il le leitmotiv de 2017 ?
PASCAL BLANQUÉ. Absolument. Si comme nous, vous croyez que les taux resteront extrêmement bas dans un avenir proche – telle est en tout cas notre conviction -, vous agirez en conséquence dans votre sélection de placements. Si les taux restent durablement bas, cela signifie qu’il y a lieu d’investir davantage dans des actifs plus risqués dont le rapport risque/rendement est plus attrayant. Cela peut être des placements assez classiques comme des actions ou des obligations à haut rendement, mais aussi des placements plus illiquides comme l’immobilier, la dette privée, le private equity et l’infrastructure.
Pas facile pour un petit investisseur. Il y a tellement peu de possibilités d’investir dans l’infrastructure…
Les opportunités sont assez limitées pour le petit investisseur, c’est vrai. Mais je constate un certain changement. Il existe de la part des investisseurs ayant un horizon à long terme une demande croissante d’investissement dans ce genre d’actifs du fait de leur rendement supérieur. Et plus on prend conscience de la nécessité d’investir dans l’infrastructure pour relancer l’économie, plus l’offre augmente.
Les pouvoirs publics comptent eux aussi investir davantage…
Le phénomène est mondial. Les pouvoirs publics sont plus attentifs au thème du soutien budgétaire de la croissance et l’investissement en infrastructures est un bon moyen de soutenir la croissance de long terme. Ou en soutenant les PME de différentes manières pour faciliter, par exemple, leur financement au travers de fonds de loans (dette privée). Autant de signes révélateurs d’une même tendance fondamentale de l’économie mondiale. La croissance se stabilise autour des 3 % mais la teneur même de la croissance a changé. Le commerce mondial est en perte de vitesse et la croissance est de plus en plus alimentée par des facteurs internes tels que les services, la consommation ou les investissements dans l’infrastructure. C’est un énorme changement. La mondialisation se poursuit mais la globalisation ne se restreint plus aux seuls échanges, les composants endogènes se développent.
Les pays ont aussi tendance à se replier davantage sur eux-mêmes. Cela donne lieu, en politique, à un réflexe nationaliste qui jouera un rôle important l’an prochain lors des élections aux Pays-Bas, en France et en Allemagne…
L’incertitude politique est une composante habituelle dans les pays émergents mais en Europe, le phénomène est nouveau. L’investisseur doit s’y habituer et les conséquences immédiates sont souvent difficiles à anticiper. L’horizon temporel est souvent long et il n’y a pas forcément de référence historique pour former une anticipation (par exemple, le Brexit). Dans ces conditions, les marchés peinent à identifier les primes de risque.
Mais comme les conséquences de tels événements politiques ne se font sentir qu’à long terme, les marchés ont pris, d’une certaine façon, le parti de considérer que rien n’a vraiment changé. Ainsi, les marchés n’ont retenu à ce stade que la seule livre sterling pour le Brexit ou le peso mexicain pour l’élection américaine.
De fait, les marchés réagissent généralement comme s’il ne s’était rien passé. On l’a remarqué encore récemment, après le référendum en Italie. Cela signifie-t-il que les investisseurs n’ont pas à se soucier des élections de l’an prochain ?
J’anticipe pour les actions un rendement de 7 % par an pour les prochaines années. Pour ce qui est des obligations, il ne faut pas s’attendre à plus de 2 %”.
Une certaine attitude complaisante semble régner sur le marché. Il n’empêche, la volatilité et l’incertitude persisteront jusqu’aux élections en Allemagne. Les actifs européens sont globalement attrayants en termes absolus et relatifs. Mais il faudra probablement attendre l’issue des élections pour que ce potentiel se matérialise.
L’incertitude est le risque majeur de ces événements politiques. Prenez l’exemple du Brexit. Comment un investisseur peut-il anticiper le rendement escompté sur ses placements au Royaume-Uni ? Les négociations prendront encore deux ans au moins et les conséquences économiques ne se feront sentir que bien plus tard et il n’existe aucun cas comparable. Il lui est donc impossible d’évaluer avec précision les risques encourus. Le choc ne sera peut-être pas aussi retentissant que redouté. Le marché peut aussi ajuster raisonnablement la prime de risque au fur et à mesure que sont données les informations relatives aux négociations. Mais une surprise n’est jamais exclue.
Donald Trump à la Maison-Blanche, est-ce un gros risque d’après vous ?
(Sûr de lui) L’élection de Trump ne change pas radicalement le monde et ses tendances lourdes. Par exemple, le fait que persistent des pressions déflationnistes au niveau mondial ou divers aspects de la secular stagnation, notamment le vieillissement. L’élection de Trump ne modifiera pas la démographie. Les marchés ont toujours tendance à exagérer, à vouloir croire au début d’une nouvelle ère. Les marchés anticipent un renforcement de la croissance comme suite aux promesses faites par Donald Trump de réduire la pression fiscale et d’accroître les investissements d’infrastructures. Ils n’ont pas tout à fait tort, on peut s’attendre à un effet positif modeste sur la croissance. Le marché mise aussi sur un fort dérapage budgétaire mais je pense que les républicains du Congrès chercheront un compromis pour limiter les dépenses. Les investisseurs anticipent également une poussée inflationniste durable, ce qui n’est pas mon cas. Ils misent aussi sur une hausse forte et durable des taux d’intérêt, ce qui pourrait entraîner une forte baisse des cours obligataires. Je n’y crois pas du tout. Beaucoup de facteurs domestiques et globaux plaident pour des taux d’intérêt durablement bas.
Les taux américains sont pourtant remontés en flèche ces dernières semaines…
Si les taux ont augmenté, c’est essentiellement parce que l’augmentation des prix pétroliers a provoqué un ajustement des anticipations d’inflation depuis de très bas niveaux. Mais je ne vois pas de dynamique inflationniste plus large. Certains facteurs continueront à peser sur les taux. L’élection de Trump ne change rien au fait que nous sommes toujours confrontés à des excédents d’épargne, à des politiques monétaires globales très accommodantes (avec notamment les programmes de quantitative easing en Europe et au Japon) et un potentiel de croissance affaibli dans la plupart des pays occidentaux.
Qu’est-ce qui pourrait provoquer une réelle augmentation des taux ?
De nombreux événements qui, selon moi, ne vont pas se produire à court terme. Une croissance nettement plus marquée par exemple. Une plus forte hausse du prix du pétrole qui renforcerait les anticipations inflationnistes. Ou encore une interaction à la hausse entre les prix et les salaires (avec le retour de la fameuse boucle prix-salaires). Mais rien de tout cela ne devrait se produire dans l’immédiat. Pas même aux Etats-Unis.
Si hausse des taux il y a, elle ne sera que de courte durée, d’après moi. Un relèvement des taux aurait en effet un impact négatif sur la croissance économique dans le contexte actuel de redressement encore très fragile et d’endettement toujours élevé.
La Réserve fédérale américaine projette pourtant de redresser progressivement ses taux directeurs en 2017. Les taux pourraient-ils encore grimper au second semestre par exemple ?
(Avec assurance) Non, je n’anticipe pas de cycle de hausse et l’idée de normalisation est un traquenard. Il faut se faire à l’idée que le niveau d’équilibre des taux d’intérêt est durablement plus bas. Nous sommes dans un tout autre contexte avec de nombreux facteurs sous-jacents justifiant de faibles taux d’intérêt. Ces facteurs structurels (ralentissement de la productivité, démographie vieillissante, niveaux d’endettement élevés…) ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Cela ne signifie évidemment pas que les taux ne bougeront pas. La volatilité devrait même se renforcer.
Vous accréditez donc la thèse selon laquelle nous vivons une ” secular stagnation “, autrement dit une longue période de faible croissance et d’inflation limitée ?
Le monde actuel présente en tout cas de nombreuses caractéristiques de secular stagnation. L’élection de Trump ne change rien aux tendances démographiques dans les pays occidentaux. Le vieillissement de la population va de pair avec une baisse des gains de productivité. Les investissements sont encore insuffisants dans de nombreuses économies, et la réduction de la dette globale – publique et privée – reste encore largement à faire. Le risque de la déflation continuera de l’emporter sur le risque d’inflation.
Les investisseurs doivent-ils revoir leurs objectifs de rendement à la baisse ?
Le profil de risque et de rendement des obligations d’Etat a structurellement changé. Leur fonction d’utilité dans un portefeuille doit être revue.”
Oui. Il faut se résigner à de moins bons rendements. Nous devons nous adapter, nous n’avons pas le choix. Les rendements de ces cinq dernières années ne risquent pas de se reproduire dans les cinq années à venir. Prenez un portefeuille mondial constitué pour moitié d’obligations et pour l’autre moitié d’actions. Le rendement futur des actions dépend des dividendes, de l’évolution des bénéfices et de la valorisation des titres (du PER ou ” price earning ratio “, c’est-à-dire du rapport entre le prix des actions et les résultats des entreprises, Ndlr). Comptez sur un rendement de dividende de 2 %, une augmentation de bénéfice de 5 % et des ratios de valorisation. Sur cette base, j’anticipe donc pour les actions un rendement de 7 % par an pour les prochaines années. Pour ce qui est des obligations, il ne faut pas s’attendre à plus de 2 %. Autrement dit, le rendement moyen de votre portefeuille sera de 4,5 %, contre 9 % en moyenne ces trois dernières décennies. Et de ces 4,5 % il faudra encore déduire l’inflation, les frais et les taxes.
Tel est le défi que les investisseurs doivent relever. En d’autres termes, toute la difficulté consiste à optimiser la répartition des actions et des obligations. On peut aussi remplacer une partie des obligations ou des actions par des placements illiquides et des investissements non cotés en Bourse comme des prêts privés ou du private equity. Il faut jongler avec les options susceptibles de générer un meilleur couple risque/rendement.
Les obligations d’Etat ont-elles encore leur place dans un portefeuille vu les taux actuels ?
Le profil de risque et de rendement des obligations d’Etat a structurellement changé. Leur fonction d’utilité dans un portefeuille doit être revue. Il peut s’avérer utile de prendre en portefeuille des obligations d’Etat des pays fondateurs de l’Union européenne (comme l’Allemagne) ou des titres américains pour leur liquidité. Certains investisseurs comme les compagnies d’assurances ou les fonds de pension n’ont pas le choix, ils doivent détenir des obligations d’Etat notamment pour des raisons réglementaires, même si le rendement n’y est plus.
Autrefois, les obligations d’Etat étaient un matelas, une façon de se protéger contre les risques encourus par la partie plus risquée du portefeuille. Elles offrent aujourd’hui moins de sécurité car la probabilité de faire fructifier sa mise est de plus en plus mince et celle de ne pas préserver le capital est, elle-même, plus élevée. Leur rôle dans un portefeuille diversifié n’a pas disparu, il est redéfini. Elles ne sont que partiellement remplacées, généralement par des obligations d’entreprises très solvables.
Le déclic ne s’est pas encore fait chez les investisseurs, si l’on vous comprend bien ?
Les investisseurs devraient se tourner davantage vers les pays émergents, selon Pascal Blanqué. “Dans un contexte de taux d’intérêt durablement bas, l’univers des économies émergentes constitue une oasis de rendement sur fond d’amélioration sensible des fondamentaux et après une baisse des devises émergentes qui renforce l’attrait de l’investissement, estime-t-il. Cela n’est pas vrai partout mais globalement de vraies opportunités existent. Les investisseurs ayant opté pour les pays émergents ont été déçus ces quatre dernières années. Les leçons ont été retenues, en particulier, la nécessité de ne pas avoir une approche monolithique d’un bloc émergent unique qui n’existe pas ou de porter attention aux effets devises. C’est vrai aussi bien pour les actions que pour les obligations. Les rendements compensent largement les risques de change.”
La Chine a suscité bien des craintes début 2016. Le scénario pourrait-il se répéter ?
Ces craintes étaient exagérées. Ce qui ne veut pas dire que l’économie chinoise ne comporte pas de vulnérabilités. En particulier, l’endettement privé est excessif. Mais l’important est la crédibilité de la transition du modèle de croissance vers la consommation ou les services et plus d’autonomie. Pensez-vous que la Chine maîtrise la réforme de son économie ? Pour le moment, nous constatons que oui. C’est visiblement pour elle une priorité et donc une raison pour garder confiance.
Quid si le président Trump prend des mesures protectionnistes ?
La crainte des investisseurs de voir les pays émergents souffrir de la politique trumpienne est exagérée. Nous n’anticipons pas un envol incontrôlé du dollar ou la mise en place de barrières commerciales sans précédent. Par ailleurs, je l’ai dit, les craintes liées aux taux d’intérêt sont exagérées. Les investisseurs doivent avoir enfin conscience qu’il n’existe pas un seul grand marché émergent. Il faut se montrer très sélectif et ne pas considérer les pays émergents comme un bloc monolithique. Certains pays émergents connaissent encore bien des difficultés mais la plupart ont su mettre de l’ordre dans leurs affaires. Les émergents, c’est maintenant.
Il y a toujours des investisseurs qui pensent, espèrent, prient pour une normalisation des taux, comme le montre le sursaut enthousiaste au lendemain de l’élection de Donald Trump. Mais je crains de les décevoir : les taux d’intérêt ne grimperont pas davantage et durablement. Il faut donc modifier l’allocation stratégique d’actifs.
Investir 2017
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