Le retour en grâce de la méthode Buffett

Warren Buffett, "l'oracle d'Omaha" : "la croissance coûte trop cher et les risques ne sont pas correctement estimés. Il y a fort à parier que les actions "value" réaliseront de meilleurs résultats dans les trois à cinq années qui viennent." © PG

Si les partisans de l’investisseur-star Warren Buffett ont connu des années de vaches maigres, la tendance semble s’être inversée ces derniers mois. C’est justement quand on prétend que Buffett n’est plus dans le coup que les choses deviennent intéressantes. Explications.

Wall Street a encore battu de nouveaux records, mais tous les investisseurs n’ont pas le sourire pour autant. Ceux qui ont systématiquement privilégié la valeur sortent d’années difficiles (voir graphiqueValeur vs croissance “). La ligne de démarcation entre valeurs de rendement (value) et valeurs de croissance (growth) n’est pas toujours facile à établir. Mais pour y voir plus clair, appuyons-nous sur une comparaison entre Walmart et Amazon. Première chaîne de supermarchés au monde, Walmart évolue sur un marché mature qui offre peu de perspectives de croissance. Il en découle une capacité bénéficiaire limitée, surtout au vu des mesures timides que la société a prises pour développer ses activités en ligne. C’est tout le contraire pour Amazon, poids lourd de l’e-commerce, qui incarne cette propension du consommateur à effectuer toujours plus d’achats en ligne.

La valorisation d’Amazon séduit les utilisateurs du site web. Néanmoins, si sa technologie venait à être dépassée et qu’Amazon peinait à transformer sa croissance en bénéfices, l’action pourrait rapidement s’effondrer. Ce qui n’est pas le cas de Walmart, car même en cas de faillite, il subsistera toujours la valeur intrinsèque des milliers de magasins physiques. Conclusion : le titre Walmart est considéré comme une action value, ou action de valeur, tandis qu’Amazon est une valeur growth, ou action de croissance.

Les véritables investisseurs value n’achèteront une action que si celle-ci est cotée au-dessous de cette valeur intrinsèque, et donc avec une décote. Celle-ci permet de constituer un filet de sécurité pour le cas où l’entreprise rencontrerait des difficultés.

Le retour en grâce de la méthode Buffett
© Bloomberg

Warren Buffett est l’un des plus fervents partisans du value investing. Il semblerait que ce soit la recette d’un succès garanti. Mais alors, pourquoi ces performances décevantes ?

La faute aux taux zéro ?

Le meilleur argument en faveur du “value investing”, c’est qu’il permet d’éviter les pertes. Beaucoup d’investisseurs sont obnubilés par leur rendement. Mais quid de leur capital ?

La politique des banques centrales est souvent pointée du doigt. Afin d’enrayer la crise, celles-ci s’emploient depuis des années à garder les taux d’intérêt autour de zéro, obligeant ainsi les épargnants et les investisseurs défensifs à partir en quête de rendement. ” En règle générale, les actions value réalisent de meilleures performances en période d’incertitude économique, sauf que les banques centrales poussent au risque “, explique Danny Reweghs, directeur stratégie de la newsletter L’Initié de la Bourse.

Une deuxième explication est à chercher du côté de la répartition inégale des bénéfices. Un petit groupe de sociétés issues principalement du secteur technologique, à l’instar de Facebook, Amazon et Google, a en effet connu une croissance spectaculaire de ses bénéfices depuis la crise, à contre-courant de la majorité des sociétés dont les résultats laissent à désirer. En moyenne, les bénéfices des entreprises du S&P 500 sont en recul depuis six trimestres consécutifs. Jamais depuis la crise, les bénéfices n’avaient été en déclin sur une aussi longue période. Or les investisseurs ont naturellement tendance à privilégier des sociétés dont les bénéfices sont en croissance.

Qu’est-ce que le “Value Investing” ?

Il s’agit d’une philosophie de gestion qui incite l’investisseur à valoriser lui-même une action par le biais d’une analyse fondamentale. Si le prix du marché est inférieur à cette valorisation, il peut alors profiter d’une décote.

Le père de cette doctrine n’est autre que Benjamin Graham (1894-1976), professeur à l’université de Columbia et maître de Warren Buffett. Lors du krach boursier de 1929, il a perdu presque tout son argent. Il a été confronté à la chute du cours des actions et à des niveaux de valorisation de plus en plus faibles. En 1934, il a publié Security Analysis.

La théorie de Benjamin Graham consistait principalement à acheter des actions cotées sous leur valeur intrinsèque. De nombreuses recherches indiquent que le style de gestion value génère de plus hauts rendements sur le long terme que le style growth, dont la stratégie consiste à s’intéresser principalement à la hausse possible du cours de l’action, en ne tenant pas compte de son cours actuel.

Avantages et inconvénients du “Value Investing”

POUR

• Rendement sur le long terme

• Résistance

CONTRE

• Attention au value trap

• Stratégie à contre-courant

• Volatilité (comme toutes les actions)

Ce comportement fait partie intégrante de l’équation. Steven De Klerck, maître de conférences à la KU Leuven, indique que les performances suivent une tendance cyclique : ” Les actions value réalisent toujours de mauvaises performances sur plusieurs années, avant de rebondir ensuite. ” Le rallye des valeurs technologiques de la fin des années 1990 jusqu’à l’éclatement de la bulle Internet à la charnière du siècle en est la parfaite illustration. Il s’en est suivi cinq années de bons résultats pour les actions value. Il n’existerait aucune explication définitive, selon Steven De Klerck, pour expliquer ces revirements : ” Les études ont bien montré cependant que les investisseurs manquaient systématiquement le bon timing. Déconfits après plusieurs années mornes, ils ont alors tendance à se retirer des fonds value, soit juste au moment où une reprise s’annonce. ”

Un portefeuille sain = 3/4 d’actions ” value ”

Steven De Klerck voit pourtant une bonne raison de ne pas changer sa stratégie. ” Le meilleur argument en faveur du value investing, c’est qu’il permet d’éviter les pertes. Beaucoup d’investisseurs sont obnubilés par leur rendement. Mais quid de leur capital ? Le chemin pour le reconstruire est tortueux. Un investisseur qui perd 50 % de son capital doit ensuite réaliser une croissance de 100 % pour annuler ses pertes. ”

Patrick Millecam, le stratège en chef de la société de gestion d’actifs Value Square, nuance de son côté ces performances décevantes. ” Il est vrai que les actions value ont sous-performé le marché ces dernières années, mais les pertes sont mesurées. Ce n’est pas toujours le cas des actions de croissance : des résultats en deçà des attentes entraînent généralement une forte correction. ”

Danny Reweghs estime qu’un portefeuille d’actions doit idéalement être investi aux trois quarts en actions value, en vue de conserver une certaine ” sérénité d’esprit “. ” Il faut parfois s’armer de patience, même si ce n’est pas toujours évident. Vous échafaudez toute une argumentation justifiant qu’une société est sous-évaluée, mais rien à faire, il faut attendre que le marché vienne confirmer votre théorie. Cela étant dit, la valeur finit toujours par émerger. ”

Cap sur les valorisations faibles

Si la sécurité (toute relative) des actions de valeur a retrouvé la faveur des investisseurs, c’est aussi en raison des doutes qui entourent la politique des banques centrales et la durabilité de la reprise économique

Un revirement semble s’opérer depuis le début de l’année. Ces derniers mois ont vu l’argent affluer davantage vers les fonds value que les fonds growth (voirUn vent de changement”). Rien d’étonnant à cela pour Danny Reweghs, étant donné que de forts écarts de valorisation se sont creusés ces dernières années. Les actions value américaines se paient par exemple 18 fois leurs bénéfices, contre environ 23 fois pour les valeurs de croissance. ” La croissance coûte trop cher et les risques ne sont pas correctement estimés, estime Danny Reweghs. Il y a fort à parier que les actions value réaliseront de meilleurs résultats dans les trois à cinq années qui arrivent. C’est justement quand on prétend que Warren Buffett n’est plus dans le coup que les choses deviennent intéressantes. ”

Mais il y a plus encore que les valorisations attrayantes. ” Il arrive souvent que des sociétés n’atteignent pas la croissance espérée, fait observer Danny Reweghs. Des résultats inférieurs de 5 % par rapport aux attentes débouchent immédiatement sur un recul de 20 % du cours de Bourse. Cette donnée invite les investisseurs à la prudence. ”

Par ailleurs, si la sécurité toute relative des actions value a retrouvé la faveur des investisseurs, c’est aussi en raison des doutes qui entourent la politique des banques centrales et la durabilité de la reprise économique. Le rebond des matières premières n’y est pas étranger non plus. Les actions des sociétés issues des secteurs minier, pétrolier, de l’industrie et des machines-outils figurent parmi les actions value typiques. Or ces sociétés ont subi des vents contraires en raison d’une surproduction et de la baisse d’appétit de la Chine pour les matières premières. Maintenant que le plus fort de la tempête est passé sur les marchés des matières premières, les investisseurs osent y revenir.

Le retour en grâce de la méthode Buffett
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Patrick Millecam pense qu’une grosse partie de l’argent des comptes d’épargne et des obligations devant arriver prochainement à échéance est susceptible de trouver le chemin de la Bourse. ” La question consiste à savoir quels produits comportent le plus de risques : les obligations à rendement négatif ou les actions avec un rendement de dividende de 3 % ? ”

Attention au ” value trap ”

Comment faire pour dénicher les actions sous-valorisées ? Il existe toute une série de variables susceptibles de guider l’investisseur, mais le conseil le plus répandu consiste à ne pas se fier à une seule méthode. Un autre bon conseil, d’après Steven De Klerck, serait d’analyser les résultats réels au lieu de se concentrer sur les prévisions. ” S’agissant de l’avenir, aucune certitude n’est possible “, explique-t-il. Danny Reweghs préconise quant à lui d’effectuer une comparaison entre le cours de l’action et sa valeur comptable, et de réaliser une moyenne sur les 10 dernières années. ” Un retour à la moyenne est souvent le signe d’un sérieux potentiel. ”

Warren Buffett et Charlie Munger, son bras droit, sans doute les meilleurs investisseurs value et très certainement les plus en vue, ont très vite renoncé à l’idée de n’acheter que les actions les moins chères. Comme le veut leur devise : ” Misez sur la bonne société, même si ce n’est pas la moins chère. ” Le plus gros danger pour un investisseur value, c’est le piège de valorisation (value trap) : investir dans une société qui semble bon marché, mais qui n’atteindra jamais sa valeur espérée.

Comment éviter ce piège ? Patrick Millecam souligne l’importance de la qualité du management. ” Nous cherchons des entreprises qui affichent un bon historique de performance et tentons d’estimer leurs perspectives d’avenir. ” Steven De Klerck insiste, lui, sur la force du bilan : ” Une dette maîtrisée, des fonds propres solides et d’importantes liquidités. Je tiens également compte de la stabilité. Des bénéfices trop en dents de scie sont source d’incertitude. ” La stabilité et la certitude sont justement les deux raisons qui poussent Danny Reweghs à privilégier les entreprises familiales : ” Elles s’entendent souvent dire qu’elles doivent procéder à des acquisitions et chercher à s’élargir. La prudence finit toutefois toujours par payer, surtout sur le long terme”.

Ensuite il y a aussi les dividendes. D’après Patrick Millecam, ceux-ci constituent ” une part essentielle de la marge de sécurité “. Danny Reweghs abonde en ce sens : ” Bon nombre d’investisseurs n’ont d’yeux que pour la plus-value qu’ils réalisent, alors que sur le long terme, les deux tiers du rendement proviennent des dividendes “.

Par Jasper Vekeman

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