“Il faut se réjouir, les frais baissent pour l’investisseur”
Le 1er janvier dernier, le fondateur du bureau de recherche Morningstar Joe Mansueto a passé le relais à son protégé Kunal Kapoor. Nous nous sommes entretenus avec le nouveau directeur en marge de l’Investment Summit organisé par ” Trends-Tendances ” en collaboration avec Morningstar.
A 41 ans – et malgré quelques mèches grisonnantes -, Kunal Kapoor a toujours les traits d’un grand adolescent. Lorsque nous lâchons qu’il est encore assez jeune pour diriger une entreprise de 4.220 personnes active sur 27 marchés, il réplique qu’on peut trouver des CEO bien plus jeunes qui portent beaucoup plus de responsabilités. ” La première fois que Joe Mansueto m’a confié une fonction dirigeante, j’étais plus jeune que les gens que je devais diriger. Je lui ai demandé si je n’étais pas trop jeune pour ce job, sur quoi il m’a simplement répondu que j’en étais capable, et c’était le cas. Pour trouver votre voie, il suffit d’un mentor qui croit en vous. ”
Selon la légende, Joe Mansueta n’avait pas 28 ans lorsque lorsqu’il quitte son emploi d’analyste pour créer Morningstar dans son petit appartement à une chambre de Chicago. C’était en 1988. Au départ, Morningstar collectait des informations sur 400 fonds d’investissement. Aujourd’hui, on recense 540.000 produits d’investissement dans ses bases de données et Morningstar est considéré comme une des voix les plus influentes du monde des fonds. Une mauvaise note ou un rapport d’analyste dévastateur sur un fonds peut provoquer un véritable exode de capitaux.
TRENDS-TENDANCES. Aujourd’hui, les gestionnaires de portefeuille peuvent également sous-traiter leurs décisions d’investissement et la gestion d’un fonds à Morningstar. Vous gérez pour 28 milliards de dollars d’investissements aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud. Quelle est l’importance de ces activités ?
KUNAL KAPOOR. La gestion de portefeuille représente toujours moins d’un tiers de notre chiffre d’affaires. Et ce pôle n’enregistre pas une croissance particulièrement élevée. Toutes nos divisions enregistrent une croissance régulière. La majeure partie de notre chiffre d’affaires provient de la vente de données et de nos recherches et de la vente d’abonnements à nos plateformes pour investisseurs institutionnels, Morningstar Advisor Workstation et Morningstar Direct. Nous investissons beaucoup dans nos données et dans nos recherches.
En fait, nous sommes entrés dans la gestion de portefeuille à la fin des années 1990, début des années 2000, à un moment où les fonds faîtiers étaient très en vogue. Ce sont des fonds qui investissent dans d’autres fonds. Nos clients voulaient que nous les aidions à composer ces fonds faîtiers. A présent, il ne s’agit plus tellement de composer des fonds faîtiers, mais plutôt des portefeuilles pour la gestion de fortune automatisée, le robo-advice. Auparavant, les conseillers financiers voulaient que nous leur fournissions des outils permettant de composer un portefeuille. De plus en plus de conseillers s’occupent avant tout de planification financière et sous-traitent la gestion de portefeuille. Nous utilisons notre connaissance des fonds et essayons de la mettre au service des besoins en évolution constante du secteur de la gestion de portefeuille.
En Belgique, seule une banque en ligne, Medirect, fait appel à vos connaissances pour composer des portefeuilles modèles de fonds de placement. Comment expliquez-vous votre présence nettement plus réduite ici et chez nos voisins qu’au Royaume-Uni ?
L’avenir est au conseil plus indépendant, comme au Royaume-Uni.”
Le Royaume-Uni a été un des premiers pays au monde à interdire la vente de produits financiers sur commission. Dans la plupart des pays, les intermédiaires financiers récupèrent une partie des frais de gestion annuels des gestionnaires de fonds. Au Royaume-Uni, ces kickbacks sont interdits depuis 2013. Désormais, les conseillers doivent envoyer une facture pour leurs conseils. De ce fait, le secteur est organisé très différemment au Royaume-Uni. Mais je suis convaincu qu’un conseil indépendant, comme au Royaume-Uni, est l’avenir. La réglementation européenne évolue vers un conseil plus indépendant et une plus grande transparence sur les frais. Cette indépendance a toujours été intégrée dans notre modèle économique. Notre mission a toujours été de fournir à l’investisseur individuel les moyens de mieux investir.
Depuis l’arrivée des ETF ou fonds indiciels, une foule de ratios ont vu le jour afin de prouver que les gestionnaires de fonds de placement travaillent pour votre argent. Je pense par exemple à l'” active share ” ou la mesure dans laquelle les fonds de placement divergent de l’indice. Ces calculs sont-ils utiles pour l’investisseur ?
Tout le monde recherche le Saint Graal qui permettrait de déterminer si un fonds est bon ou mauvais, mais ce Saint Graal n’existe pas. Vous devez analyser plusieurs facteurs et l’active share n’est que l’un d’entre eux. Si vous payez pour un fonds à gestion active, j’estime que vous devez avoir un fonds à gestion active. Le débat ne porte pas sur l’intérêt de la gestion passive par rapport à la gestion active, mais sur la hauteur des frais. Les gestionnaires qui restent collés à l’indice, les fonds dont les performances sont très proches de l’indice auquel ils se mesurent tout en facturant des frais élevés, perdent des parts de marché. Les fonds chers se trouvent du côté des perdants. Ce n’est pas une mauvaise chose. Le climat s’améliore pour les investisseurs, car les frais baissent. Les investisseurs y gagnent. Il faut s’en réjouir.
Il y a environ un an, vous avez commencé à analyser les fonds sur des critères de durabilité. Vous vous basez pour cela sur les scores de Sustainalytics. Votre analyse suscite de nombreuses critiques, parce qu’elle se focaliserait surtout sur le score moyen des investissements sous-jacents. Trouvez-vous ces critiques justifiées ?
Si l’on disposait de plus d’informations, nous pourrions réfléchir à un affinage du screening. Mais ce que nous faisons aujourd’hui est tout simplement phénoménal. Vous ne trouverez nulle part au monde un tel classement de fonds selon des scores de durabilité. Pour la première fois, nous offrons aux investisseurs une base qui leur permet d’investir durablement dans des fonds. Nous allons également ajouter de la cohérence. Mais qu’est-ce que la cohérence en matière de scores de durabilité ? Et si des fonds obtiennent un bon score, apportent-ils aussi des rendements financiers intéressants ? De nombreuses recherches suggèrent qu’un investissement durable n’est pas nécessairement moins performant, mais tout cela doit encore être analysé plus avant.
Voyez-vous un avenir dans l’investissement durable ?
C’est une nouvelle voie que nous avons empruntée et sur laquelle nous allons poursuivre. Les femmes et les millennials s’intéressent beaucoup aux principes ESG (environnemental, social et gouvernance, Ndlr). Or ce sont des groupes qui investissent de plus en plus d’argent et ils ne veulent le faire que s’ils sont certains que l’on ne fait rien de ” mal ” avec leur argent. Il y a différentes manières d’observer la réalité. Les investisseurs peuvent décider eux-mêmes des informations qu’ils estiment pertinentes.
Y a-t-il encore des marchés que vous souhaitez pénétrer ? Où se situent les opportunités ?
Le plus grand marché et les plus grandes opportunités se trouvent aux Etats-Unis, mais nous sommes présents à peu près partout dans le monde. J’attends également beaucoup de la gestion des pensions. Nous observons une pression croissante sur les individus à qui on demande d’épargner eux-mêmes pour leur pension. Les Etats se désengagent en partie du soin des citoyens après leur retraite. Nous pouvons être des partenaires dans ce domaine. Il faut également s’intéresser davantage à la réalisation des objectifs d’épargne et moins au rendement des fonds ou à la question de savoir s’ils battent le marché ou non. En 2014, nous avons acquis HelloWallet, une start-up qui offre à ses utilisateurs une vue globale sur tous leurs comptes et les accompagne dans la réalisation de leurs objectifs, via une simple application mobile. Récemment, nous avons également racheté PitchBook, une petite entreprise qui fournit des données et des recherches sur les marchés au des capitaux privés, le private equity et le venture capital – en bref sur les entreprises qui ne sont pas cotées en Bourse. Nous sommes récemment entrés dans le domaine de l’analyse crédit. Comme vous le savez, les trois grands – S&P, Standard & Poor’s et Fitch – ont failli lors de la crise financière et ont perdu la confiance des gens. Ce sont autant de domaines porteurs d’opportunités pour nous.
Investir 2017
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