Wall Street boostée à l’IA
Popularisée par ChatGPT auprès du grand public, l’intelligence artificielle fait également une percée fulgurante sur les marchés boursiers. Au point que le rebond de Wall Street depuis le début de l’année est entièrement imputable aux entreprises actives dans l’IA.
Longtemps cantonnée aux films de science-fiction, l’intelligence artificielle (IA) est soudainement devenue beaucoup plus concrète depuis l’émergence du phénomène ChatGPT. Microsoft, partenaire d’OpenAI qui a développé ce robot conversationnel, a lancé dans la foulée son moteur de recherche boosté à l’IA: BingGPT. Alphabet (Google), Meta Platforms (Facebook) et bien d’autres ont aussi affirmé renforcer leurs investissements dans ce domaine.
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Ces annonces ont fatalement attiré l’attention des investisseurs, d’autant que les perspectives semblent extrêmement prometteuses. Selon le bureau d’étude Precedence Research, le marché de l’IA devrait plus que décupler pour atteindre 1.591 milliards de dollars en 2030, soit une croissance annuelle moyenne de 38,1%. Des perspectives qui ont notamment profité aux fonds spécialisés dans l’IA et la robotique. Depuis le début de l’année, les 14 ETF de ce segment suivis par Bloomberg n’ont cessé d’attirer de nouveaux capitaux chaque mois.
Selon une enquête de la banque Brown Brothers Harriman, 56% des investisseurs professionnels prévoient de miser sur des stratégies IA et robotiques cette année, dépassant ainsi les thèmes de l’ESG (durabilité) et des actifs numériques.
Les investisseurs se sont également massivement rués sur les entreprises liées à l’IA au point de complètement changer la tendance sur Wall Street. Le S&P 500, l’indice phare américain, affiche certes un gain de 8% depuis le début de l’année, mais “sans les actions populaires liées à l’IA, il serait en baisse de 2% cette année”, explique Manish Kabra, stratégiste à Londres pour Société générale (SocGen).
Meilleur exemple de cette envolée: le concepteur de processeurs et cartes graphiques américain Nvidia. Le titre s’affiche en hausse de plus de 160% depuis le début de l’année et est bien parti pour devenir la neuvième entreprise à atteindre les 1.000 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Par ailleurs, depuis que Microsoft a annoncé le 23 janvier investir 10 milliards de dollars dans OpenAI, sa capitalisation boursière a gonflé de 600 milliards. Et ce malgré l’échec de plus en plus probable de sa tentative de rachat d’Activision Blizzard pour se développer dans le marché porteur du jeu vidéo.
Nouvelle mode fugace?
Les investisseurs ont-ils raison de se précipiter sur les entreprises liées à l’IA? Cela ne serait pas la première fois que les marchés s’emballent trop rapidement. Sans remonter jusqu’à la mythique bulle des dotcom à la fin du siècle dernier, différents thèmes ont flambé au cours des 10 dernières années, avant de furieusement s’essouffler. Rappelez-vous de l’impression 3D.
En 2012 et 2013, les cours de Stratasys ou 3D Systems s’échauffaient avec la promesse d’une nouvelle technologie bousculant la conception et la production. Deux ans plus tard, la bulle était entièrement dégonflée… Il y eut aussi le cannabis. Sa légalisation dans certains Etats avait boosté les valeurs liées à cette substance, à l’image du leader canadien Canopy Growth dont le cours fut multiplié par 25 entre mi-2016 et septembre 2018. Depuis, il a chuté de 98%.
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Enfin, nous avons le métavers, pointé en 2021 comme la prochaine étape de l’évolution des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Dans la foulée, Facebook se rebaptise Meta Platforms, Roblox devient une valeur à la mode, des terrains numériques se vendent pour des millions de dollars et les bureaux de consultance évoquent un potentiel de marché se comptant en milliers de milliards. Aujourd’hui, Meta Platforms rabote ses dépenses et Roblox a perdu 65% de sa valeur depuis son sommet…
La rentabilité en question
L’IA suivra-t-elle le même chemin? Pas sûr. Car même si elles ont été suivies de corrections plus ou même sévères, les promesses entrevues par les thèmes précités se sont largement concrétisées. L’impression 3D est employée dans nombre de secteurs, le cannabis est légalisé dans de plus en plus de pays et Etats. Et le métavers a poursuivi sa croissance, bien qu’à un rythme un peu moins soutenu.
Les perspectives de développement de l’IA ne font d’ailleurs pas réellement débat tant les applications sont nombreuses et déjà concrètes. On a déjà évoqué l’agent conversationnel ChatGPT. On peut aussi citer, entre autres, le traducteur DeepL, le générateur d’images Midjourney, les logiciels de diagnostics médicaux, les aides à la conduite, la cybersécurité ou évidemment le trading (lire ci-dessous).
Il y a quelques années, IBM était considéré comme un leader de l’IA. Pourtant, Big Blue peine à convaincre.
Selon le dernier rapport IBM Global AI Adoption Index, 35% des entreprises utilisaient déjà l’IA l’année dernière. Pour l’investisseur, la principale question est la rentabilité. John Authers, éditorialiste pour l’agence Bloomberg et écrivain, s’interrogeait ainsi sur le bond d’Alphabet après l’annonce du lancement du chatbot Bard et de l’intégration de l’IA dans Gmail, notamment. Quels revenus le groupe pourra-t-il en tirer? L’exemple le plus marquant est celui des opérateurs télécoms européens qui ont investi massivement dans une succession de nouveaux réseaux, mais sans en tirer profit. Une connexion plus performante étant simplement considérée comme une évolution normale…
Miser sur un acteur spécialisé apparaît assez aussi risqué à ce stade. Aujourd’hui, ChatGPT s’impose comme une référence, mais il fait face à une meute de concurrents et son modèle économique pose toujours question. Il y a quelques années, IBM était par exemple considéré comme un leader de l’IA grâce notamment à son superordinateur (devenu plateforme) Watson et est toujours un des principaux détenteurs de brevets dans le domaine. Pourtant, Big Blue peine à convaincre qu’il pourra redresser la tendance, après des résultats à nouveau en baisse au premier trimestre.
Cette incertitude explique sans doute l’engouement des marchés pour Nvidia. Le groupe américain est leader de la conception de processeurs graphiques (GPU), véritables cerveaux numériques fournissant la capacité de calcul accéléré nécessaire pour l’IA. Et il tire visiblement d’ores et déjà largement profit de cette position. Il a ainsi annoncé la semaine dernière prévoir des revenus records de 11 milliards de dollars pour le deuxième trimestre de son exercice, soit 53% de plus que le consensus des analystes (7,18 milliards de dollars). Un écart édifiant et extrêmement rare en Bourse.
“Nous recevons des commandes énormes pour rééquiper les centres de données du monde entier, explique Jen-Hsun Huang, cofondateur et CEO de Nvidia. Nous assistons au début d’une transition décennale… pour adapter les centres de données à l’informatique accélérée.”
“Nous voyons peu d’éléments susceptibles de diminuer l’optimisme des investisseurs à l’égard de Nvidia.”
Mais “vu le leadership unique de Nvidia sur le marché de l’IA et la rareté des alternatives, nous voyons peu d’éléments susceptibles de diminuer l’optimisme des investisseurs et nous recommandons de continuer à profiter de la tendance favorable”, précise Ross Seymore, analyste chez Deutsche Bank.
Les perspectives sont donc au beau fixe et les analystes restent largement positifs. Une rechute temporaire n’est évidemment pas à exclure pour une entreprise aux chiffres parfois volatils et cotant plus de 40 fois des estimations de bénéfices largement revues à la hausse.
Industrie des semi-conducteurs
Les pairs et partenaires de Nvidia sont aussi bien positionnés pour profiter du développement de l’IA. Dans la première catégorie, nous retrouvons son compatriote AMD, son seul réel concurrent dans les GPU pour centre de données – Intel est à la traîne. Le titre est très cher en termes de valorisation historique, mais le rachat de Xilinx l’année dernière doit lui permettre d’accélérer son développement dans la 5G et l’IA. Sur la base des prévisions 2024, le titre cote moins 30 fois les bénéfices avec la possibilité d’une révision à la hausse.
Du côté des partenaires de Nvidia, on retrouve le fondeur taiwanais TSMC, à peu près le seul fournisseur de GPU de Nvidia (qui s’occupe de la conception). Sa valorisation raisonnable (19,8 fois les bénéfices prévus pour 2023) est un atout même s’il ne faut pas attendre d’envolée des résultats.
Tout regain d’activité au niveau des semi-conducteurs est aussi favorable à ASML (sur Euronext Amsterdam), qui dispose d’un quasi-monopole sur les machines de photolithographie nécessaires à la fabrication de semi-conducteurs.
Fonds spécialisés
Autre option, les fonds de placement. Du côté de produits indiciels, l’ETF Amundi Stoxx Global Artificial Intelligence (LU1861132840 sur Euronext) mise notamment sur Nvidia, ASML et les géants technologiques. Du côté des fonds gérés activement, Oddo BHF Artificial intelligence est le mieux noté par Morningstar. Ses deux principales positions sont Microsoft (5,6% du portefeuille) et Nvidia (4,9%).
Confieriez-vous votre portefeuille à l’IA?
Si Wall Street est aussi enthousiaste par rapport à l’IA, ce n’est pas seulement pour les opportunités d’investissement. Mais aussi directement pour investir. ChatGPT est ainsi notamment utilisé pour déchiffrer les messages de la Réserve fédérale et même sélectionner des actions. Dans une première étude menée par la plateforme comparative finder.com entre début mars et fin avril, ChatGPT avait réalisé un rendement de 4,9% contre 0,5% pour l’indice européen Stoxx 600.
Une autre plateforme, baptisée The GPT Portfolio, a été lancée en mai aux Etats-Unis. Vous pouvez suivre ses conseils sur Twitter (@chatgpttrader). Après 10 jours, ChatGPT affiche un rendement de 1,4% contre 1,1% pour l’indice S&P 500.
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