Les semi-conducteurs, l’or noir du 21e siècle

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Les perspectives du secteur des semi-conducteurs sont plus que jamais au beau fixe, notamment grâce à l’intelligence artificielle. Il convient toutefois de rester prudent dans le choix des titres.

Le géant pétrolier saoudien Saudi Aramco est entré en Bourse en décembre 2019, une opération alors placée sous le signe des records : plus importante levée de fonds lors d’une introduction en Bourse (25,6 milliards de dollars) et, surtout, première capitalisation boursière mondiale (1.700 milliards de dollars). L’engouement des investisseurs était notamment justifié par la position du groupe, qui fournissait alors 13% du pétrole de la planète, et par les plantureux bénéfices réalisés grâce à de faibles coûts de production : 111,1 milliards de dollars en 2018. Ce qui était quasiment autant que les bénéfices de ceux qu’on appelle aujourd’hui les Sept Fantastiques (Microsoft, Apple, Alphabet, Amazon, Meta, Nvidia et Tesla) réunis.

Depuis, le géant pétrolier a peu progressé. Son bénéfice net a certes bondi à 161 milliards de dollars en 2022 à la suite de l’envolée des prix de l’énergie mais il a déjà rechuté, en 2023, sur fond de recul des prix et de baisses de production (destinées à soutenir les prix).


Dans la hiérarchie des capitalisations boursières mondiales, Saudi Aramco a ainsi été surclassé par Apple, puis par Microsoft et enfin, par Nvidia, début mars. En décembre 2019, le spécialiste des processeurs graphiques (GPU) valait 13 fois moins que le géant saoudien. Il sortait alors d’un passage à vide, la rechute du bitcoin ayant plombé la demande de cartes graphiques destinées au minage de cryptomonnaies. Un marché autrefois lucratif que Nvidia a décidé de quitter au début de l’année dernière, comme le déclarait Michael Kagan, chief technology officer, au Guardian : ‘‘Je n’ai jamais cru que la crypto contribuerait au bien de l’humanité. Vous savez, les gens font des trucs dingues, mais ils achètent vos trucs, vous leur vendez vos trucs. Mais vous ne redirigez pas l’entreprise pour supporter une chose pareille.’’

Nvid-IA

Pour devenir ‘‘plus utile à l’humanité’’, Nvidia s’est réorienté sur l’intelligence artificielle (IA). Et de fait, le groupe américain n’a cessé de surprendre depuis les débuts tonitruants de ChatGPT-3.5, fin novembre 2022. Un succès imputable à un seul produit : l’accélérateur H100, qui offre une puissance de calcul incomparable pour l’IA générative. Malgré un prix unitaire de 30.000 dollars, les commandes se sont accumulées. Mi-janvier, Mark Zuckerberg a ainsi déclaré que Meta (ex-Facebook) devrait disposer de 350.000 H100 d’ici la fin de l’année afin de soutenir ses ambitions dans l’IA.


C’est d’ailleurs une des raisons de la réussite fulgurante de Nvidia. Amazon, Meta, Microsoft et Alphabet représentent 40% de son chiffre d’affaires ; il s’agit de précieux clients aux poches bien pleines, qui ne veulent absolument pas rater le boom de l’IA. Cela a permis à l’entreprise d’afficher une croissance inédite au cours de son dernier exercice (clos fin janvier) : chiffre d’affaires plus que doublé à 61 milliards de dollars et bénéfice quasiment quadruplé, à 32,3 milliards de dollars.


La hausse séquentielle (d’un trimestre à l’autre) a également été particulièrement forte. Nvidia générerait ainsi un bénéfice annuel de 51 milliards de dollars en rééditant simplement ses performances du quatrième trimestre. Et le groupe espère faire encore mieux grâce au lancement, ce printemps, du H200, plus puissant et plus cher que le H100.

+70% en un an

Au-delà du succès phénoménal de Nvidia, c’est l’ensemble du secteur des semi-conducteurs qui est en pleine phase ascendante. Il place aujourd’hui trois représentants dans le top 11 des capitalisations boursières mondiales. Le géant taiwanais TSMC fabrique 60% des semi-conducteurs utilisés partout sur la planète, dont les H100. Comme de nombreux autres intervenants, Nvidia est en effet un acteur dit fabless, qui sous-traite entièrement la fabrication.


Broadcom conçoit et fabrique (en partie) des semi-conducteurs et des solutions logicielles, essentiellement pour les réseaux numériques (et l’automobile). Il profite à ce titre également de l’engouement pour l’IA. Viennent ensuite notamment le géant néerlandais ASML, qui dispose quasiment d’un monopole mondial dans les systèmes de lithographie permettant de graver les semi-conducteurs, AMD, qui tente de concurrencer Nvidia, ou l’équipementier Applied Materials. Au total, le secteur pèse aujourd’hui 7.486 milliards de dollars en Bourse, davantage que l’ensemble de l’industrie des hydrocarbures (7.298 milliards de dollars), et l’indice sectoriel de référence, le PHLX Semiconductors, a bondi de 70% en un an.

Ventes de PC et de smartphones

Une performance évidemment liée à l’IA, mais pas seulement. Le secteur des semi-conducteurs est globalement devenu moins volatil qu’auparavant. Les ordinateurs et les smartphones demeurent des débouchés importants, mais ne sont plus prépondérants. Selon le bureau Gartner, les ventes mondiales de PC ont chuté de 15% en 2023 et de 29% en deux ans. Les ventes de smartphones ont elles aussi reculé en 2022 et en 2023, avec une baisse atteignant 14% depuis le pic de 2018.


Comparativement, le retournement des ventes de semi-conducteurs n’a duré que de septembre 2022 à octobre 2023, selon les données de la Semiconductor Industry Association (SIA). Et tous les observateurs s’attendent à ce que le secteur renoue avec la croissance et établisse une nouvelle année record en 2024. Deloitte table sur une progression de 13% des ventes, à 588 milliards de dollars. L’agence IDC mise même sur une croissance de 20%.


Ce qui reflète avant tout la diversification des débouchés. L’automobile représente ainsi 8% des ventes (42 milliards de dollars en 2023), avec une croissance soutenue estimée à 9% par an par le Boston Consulting group en raison notamment du développement des aides à la conduite et à l’électrification. Les voitures électriques utilisent davantage de semi-conducteurs pour vérifier la puissance qui alimente le moteur, pour gérer les batteries ou pour contrôler les accessoires électroniques.

Le marché 
des semi- conducteurs atteindra le cap des 1.000 milliards de dollars à l’horizon 2030, près du ­double de 2023. © Getty Images


Toutes les nouveautés, des cryptomonnaies à la réalité virtuelle en passant par l’Internet des objets, nécessitent des semi-conducteurs. Ceux-ci sont aussi de plus en plus utilisés dans le monde médical (médecine connectée, robots chirurgiens), l’agriculture (équipements autonomes, agriculture de précision) ou l’industrie (automatisation, robotique). Bref, les puces électroniques deviennent indispensables à l’ensemble de nos activités et innovations, comme le pétrole fut à l’origine de multiples révolutions au 20e siècle (transports, plastiques, pharmacie, etc.). Selon la SIA, il s’est ainsi vendu 1.150 milliards de semi-conducteurs en 2021, soit 148 par être humain que compte la planète.


En termes de perspectives, McKinsey prévoit que le marché des semi-conducteurs atteindra le cap des 1.000 milliards de dollars à l’horizon 2030, près du double de 2023.

Secteur évolutif

Il serait toutefois prématuré de conclure que Nvidia va continuer à s’envoler en Bourse. Le segment de l’IA pourrait connaître un retour de manivelle ou la concurrence, se durcir, AMD ayant lancé une alternative à l’accélérateur H100.


Ce ne serait pas une première. L’ancien leader du secteur, Intel, a dégringolé dans la hiérarchie et son titre piétine depuis 2017 en raison de sa dépendance au marché des PC. Le fondeur américain GlobalFoundries est aussi à la traîne, TSMC jouissant d’un quasi-monopole dans les semi-­conducteurs avancés (comme les puces destinées à l’IA) en raison notamment de l’importance des investissements et du savoir-faire nécessaires.


Les derniers systèmes de lithographie par rayonnement ultraviolet extrême (EUV) d’ASML coûtent 350 millions de dollars pour un poids de 150 tonnes ; ils nécessitent une expertise poussée pour graver des semi-conducteurs en moins de 8 nanomètres.


A titre de comparaison, l’épaisseur d’un cheveu est de 50.000 à 100.000 nanomètres. Global­Foudnries et les autres grands concurrents de TSMC ne restent toutefois évidemment pas les bras croisés et tentent de combler leur retard.

Diversifier les risques

Pour profiter des perspectives favorables de l’or noir du 21e siècle tout en limitant les risques de déconvenue, il est donc important de diversifier vos investissements. Pour ce faire, vous pouvez multiplier les positions ou opter pour un fonds indiciel.


Parmi les ETF disponibles pour les investisseurs belges, citons notamment VanEck Vectors Semiconductor UCITS ETF (Bourse de Milan, SMH, IE00BMC38736, frais annuels de 0,35%), qui duplique un indice rassemblant les 25 principaux acteurs de l’industrie des semi-conducteurs cotés aux Etats-Unis, parmi lesquels figurent les groupes américains mais aussi ASML ou TSMC. Le poids de chaque entreprise est régulièrement plafonné à 10%.


Avec 278 positions dans le monde entier, iShares MSCI Global Semiconductors (Euronext Amsterdam, SEMI, IE000I8KRLL9, frais annuels de 0,35%) est plus diversifié. Il est notamment davantage exposé aux groupes asiatiques, incontournables dans le secteur. A noter que le poids de chaque entreprise est limité à 8% lors des révisions de l’indice.


Si vous souhaitez investir de façon plus responsable, Amundi propose l’ETF MSCI Semiconductors ESG Screened (Euronext Paris, CHIP, LU1900066033, frais annuels de 0,35%). Les filtres ESG ramènent le nombre d’actions à 79 actuellement, sans pour autant exclure les principaux acteurs (Nvidia, TSMC, Broadcom, ASML). En l’absence de plafonnement, la pondération de Nvidia a décollé, pour atteindre aujourd’hui 33%. z

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