L’avenir radieux des actions pétrolières
Le changement de stratégie de l’Opep+ permet au secteur pétrolier d’envisager l’avenir plus sereinement. Les géants ne manquent ainsi pas d’atouts pour les investisseurs en quête de rendement récurrent.
En annonçant le 2 avril une baisse surprise de ses quotas de production, l’Opep+ (soit les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole et leurs 10 pays associés) a choqué les marchés. Alors que les pressions inflationnistes persistent, le rebond du prix du pétrole risque de contrer la politique des banques pour renouer avec la stabilité des prix. Les indices boursiers ont piqué du nez les jours suivants alors que le cours du baril de Brent flirtait avec les 90 dollars. Soit son plus haut depuis novembre.
Sans surprise, cette annonce n’a réellement profité en Bourse qu’aux compagnies pétrolières. D’autant plus que cette réduction des quotas semble corroborer plusieurs évolutions favorables pour le secteur.
Au niveau géopolitique, elle confirme la perte d’influence des pays occidentaux sur l’Opep+, emmenée par l’Arabie saoudite. Il s’agit en effet de la deuxième baisse volontaire de production depuis la visite de Joe Biden à Riyad l’été dernier. Mohammed ben Salmane, prince héritier et Premier ministre, est visiblement resté sourd aux demandes du président américain de faire baisser les prix. La production saoudienne devrait même passer sous 10 millions de barils par jour (mb/j) alors que sa capacité de production est de 12,2 mb/j, selon l’Agence internationale de l’énergie.
L’Arabie saoudite s’est dans le même temps rapprochée de la Russie. Autrefois rivaux, les deux principaux exportateurs de pétrole mondiaux ont rangé leurs désaccords au nom du réalisme économique. La trêve signée en 2016, dans le sillage du plongeon des prix du brut en 2014, s’est progressivement muée en alliance. L’objectif est assez clair, selon Gary Ross, ancien consultant de l’industrie pétrolière et actuel gérant du hedge fund Black Gold Investors,: “L’Opep+ veut des prix plus élevés”.
Pour ce faire, l’organisation ne cherche plus à maintenir à tout prix sa part de marché. Notamment parce que les producteurs de pétrole de schiste américains sont moins menaçants. Pendant la décennie précédant la pandémie, ceux-ci avaient donné la priorité à la croissance de la production. Une stratégie qui avait certes porté ses fruits en termes de volume, mais les résultats financiers s’étaient révélés désastreux, selon un rapport de Deloitte: 190 faillites dans le secteur, 300 milliards de dollars de trésorerie partis en fumée et 450 milliards dollars de dépréciations.
“Voilà plusieurs années que les entreprises comme la nôtre privilégient le rendement, et cela ne va pas changer à court ou long terme.”
Depuis trois ans, ces producteurs de pétrole de schiste ont adopté une approche beaucoup plus disciplinée pour enfin rémunérer leurs actionnaires. La croissance des volumes est nettement moins vigoureuse et aucune évolution ne semble à prévoir, malgré la récente hausse des prix du brut.
“Voilà plusieurs années que les entreprises comme la nôtre privilégient le rendement et le flux de trésorerie disponible, et cela ne va pas changer à court ou long terme”, a récemment déclaré Brendan McCracken, CEO d’Ovintiv Inc., producteur de pétrole de schiste dans l’important Bassin permien, au Texas.
Marché équilibré
Dans un tel environnement, la surprise est peut-être de ne pas encore avoir vu le baril de pétrole dépasser le cap des 100 dollars, comme ce fut le cas en 2008, de 2011 à 2014 et durant les mois qui suivirent le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Contrairement à l’automne dernier, Joe Biden a tempéré les craintes après l’annonce de l’Opep+ début avril, déclarant: “ce ne sera pas aussi grave que vous le pensez”. Les Etats-Unis ont même arrêté de puiser dans leurs réserves stratégiques depuis janvier. En 2022, ils en avaient prélevé 221 millions de barils, soit une baisse de 37%.
La situation du marché pétrolier pourrait en effet être moins tendue qu’il n’y paraît. Tout d’abord, l’économie mondiale est en phase de ralentissement, et ce malgré la réouverture récente de la Chine suite à la fin de sa politique zéro covid. Le Fonds monétaire international (FMI) vient ainsi d’abaisser sa prévision de croissance mondiale à 2,8% pour 2023, contre 3,4% en 2022.
La baisse continue de la dépendance de l’économie au pétrole et l’accélération de l’électrification sont aussi de nature à freiner la demande. De même que la chute des cours du gaz dont les prix très élevés avait induit, dans l’industrie, un glissement de la consommation vers le pétrole. Du côté de l’offre, la région semi-autonome du Kurdistan a trouvé un accord avec l’Irak pour reprendre ses exportations de pétrole à partir de ce mois. Le volume est estimé à 0,45 mb/j. Par ailleurs, les stocks mondiaux de pétrole augmentent depuis le plancher de mars 2022.
Pour Gary Ross, l’Opep+ cherche avant tout “à immuniser les prix du pétrole de l’emprise de l’environnement macroéconomique”. Bref à conserver des prix à un niveau qui permette à l’ensemble de ses membres de financer leurs importants besoins: maintenir le pays à flot pour la Russie, le projet pharaonique The Line pour l’Arabie saoudite, etc.
“L’organisation veut des prix d’environ 90 dollars.”
La plupart des analystes prévoient que le cours du pétrole restera supérieur à 80 dollars le baril au cours des prochaines années. L’Opep+ est en effet intervenue pour baisser ses quotas en octobre et début avril à chaque fois après que le cours du baril de brut américain (WTI) fut passé sous les 80 dollars. En octobre dernier, le ministre du pétrole du Nigéria (membre de l’Opep+) avait d’ailleurs clairement précisé que “l’organisation veut des prix d’environ 90 dollars” par baril. Un montant qui ne représente certes pas une envolée, mais reste bien supérieur à la moyenne de 58 dollars enregistrée entre 2015 et 2021.
Dividende garanti
Pour les grands producteurs privés de pétrole, la perspective d’un pétrole à 80, voire 90 dollars, est également extrêmement favorable. C’est certes moins qu’en 2022 (prix moyen de 101 dollars pour le Brent) mais plus qu’en 2021 (71 dollars) et bien supérieur aux prévisions des majors. Le groupe BP compte, par exemple, pouvoir racheter pour 4 milliards de dollars d’actions propres et augmenter son dividende de 4% par an si le prix du pétrole est de 60 dollars. TotalEnergies table sur une amélioration de ses flux de trésorerie (déterminants pour la capacité à verser un dividende) de 4 milliards de dollars sur cinq ans en se basant sur un baril à 50 dollars. Des perspectives favorables qui s’expliquent notamment par les programmes d’économies mis en place depuis 2014, permettant de limiter les coûts.
Les géants pétroliers ne devraient ainsi éprouver aucune difficulté à maintenir, voire à améliorer, leur dividende avec un pétrole à plus de 80 dollars. Notamment parce que leur coupon actuel représente un taux de distribution (part des bénéfices versée sous forme de dividende) relativement limité sur la base des résultats de 2021.
Si le dividende semble garanti pour les prochaines années, sauf événement imprévisible, qu’en est-il à plus long terme dans un contexte de transition énergétique? Les investissements “verts” des groupes américains sont surtout orientés vers les agrocarburants. Chevron a par exemple racheté Renewable Energy pour 3,15 milliards de dollars l’année dernière afin de devenir le deuxième producteur de biodiesel aux Etats-Unis. Exxon Mobil a annoncé investir 560 millions de dollars dans une importante unité de production de “diesel renouvelable” au Canada. Le groupe développe aussi un important projet d’hydrogène bleu (donc produit à partir de gaz mais avec capture et séquestration des émissions de CO2).
Mais en matière de transition, les géants pétroliers européens apparaissent davantage préparés que leurs homologues américains, offrant une exposition plus équilibrée entre pétrole et gaz ainsi qu’une stratégie bien plus avancée en matière d’’électrification. TotalEnergies se développe ainsi dans l’électricité (notamment via le rachat de Lampiris en Belgique) et est déjà très actif dans les renouvelables. Il est entre autres l’actionnaire majoritaire du spécialiste américain du photovoltaïque SunPower. Royal Dutch Shell investit dans les centrales éoliennes et solaires ainsi que dans la recharge de voitures électriques (139.000 bornes dans le monde fin 2022). Quant à BP, il consacre déjà 30% de ses investissements à la transition, allant des biocarburants aux renouvelables en passant par les bornes de recharge.
Comment investir?
Pour profiter des perspectives de dividendes solides des majors, vous pouvez évidemment directement acheter les actions correspondantes. Le principal obstacle est toutefois le double précompte sur les dividendes. Renseignez-vous auprès de votre intermédiaire si vous pouvez bénéficier du tarif réduit de maximum 15% pour la retenue dans le pays d’origine.
Si vous souhaitez contourner le problème, vous pouvez vous tourner vers des fonds indiciels (ETF) de façon à ne subir que le précompte belge de 30%. Le Lyxor Stoxx Europe 600 Oil & Gas UCITS (Bourse de Francfort ; OIGS ; ISIN: LU2082998167 ; frais annuels de 0,30%) est essentiellement exposé à, dans l’ordre, Royal Dutch Shell, TotalEnergies, BP et ENI (66% du portefeuille au total). Il a généré un rendement de dividende de 3,72% sur les 12 derniers mois.
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