La Big Tech en panne de croissance?
Alors que les marchés s’interrogent sur leurs perspectives, les géants technologiques continuent de dominer la tendance boursière. Cette mainmise est toutefois inévitablement temporaire comme en témoigne déjà la métamorphose des Gafa en “Sept Fantastiques”.
Véritables moteurs de Wall Street, les Magnificent Seven (Sept Fantastiques) ont généré l’entièreté des gains du S&P 500 depuis le début de l’année. Entre janvier et octobre, Apple, Amazon, Google, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla ont en effet bondi de 52% en moyenne alors que le reste de l’indice, surnommé S&P 493, a perdu 2%. Si cette tendance est aujourd’hui particulièrement prononcée, elle n’est pas récente.
Les actions technologiques sont en effet plébiscitées de longue date en raison de leur profil de croissance supérieur. Les Sept Fantastiques affichent ainsi un ratio cours/bénéfices prévu (pour les 12 prochains mois) de 31, près du double de la moyenne du S&P 493.
Une prime que l’on pourrait appeler le prix de la rareté dans un monde où la croissance ralentit. Selon un rapport de la Banque mondiale, la “vitesse limite” de l’économie, c’est-à-dire la croissance annuelle maximale sans risque de surchauffe, ne cesse de baisser. Pour la période 2022-2030, elle est estimée à 2,2% contre 2,6% au cours de la décennie précédente (2011-2021) et 3,5% au cours des 10 premières années de ce siècle.
Même si la Banque mondiale pointe différentes mesures qui permettraient d’améliorer le potentiel de croissance de l’économie mondiale, le ralentissement apparaît largement structurel. Notamment en raison de l’évolution de la Chine, confrontée à des déséquilibres après des décennies d’une croissance folle, ou de la démographie. Les actions de croissance devraient ainsi continuer d’être rares et plus chères que la moyenne. Une bonne nouvelle pour les Sept Fantastiques… s’ils parviennent à poursuivre leur croissance. Au niveau des bénéfices, la tendance est au beau fixe. Les profits de ces sept géants ont progressé de 50% au troisième trimestre, selon Bloomberg Intelligence – sur la base des résultats publiés et du dernier consensus pour Nvidia (chiffres attendus le 21 novembre).
Faible évolution des revenus
Mais ce vernis étincelant peine à masquer les nombreuses fissures plus structurelles. Tout d’abord, cette forte croissance des bénéfices est largement insufflée par une amélioration des marges après les programmes de réduction de coûts annoncés l’année dernière ainsi que par Nvidia. Ce dernier connaît une année record avec une croissance exponentielle grâce à la forte demande pour ses puces de pointe destinées aux applications d’intelligence artificielle (IA). Au deuxième trimestre, son bénéfice net avait quasiment décuplé.
Si l’on regarde du côté des revenus, dont la progression est essentielle à une hausse pérenne des profits, l’évolution est bien plus faible (voir tableau ci-dessous). Et surtout, les chiffres de croissance sont sensiblement moindres qu’au cours des cinq dernières années – hormis pour Nvidia – malgré un environnement inflationniste soutenant les prix. Et en matière de perspectives, la prudence est clairement de mise. Tesla a prévenu que la demande de véhicules électriques faiblissait. Apple prévoit que ses revenus vont rester stables au cours de l’important trimestre des fêtes de fin d’année malgré le lancement cde l’iPhone 15. Alphabet voit ses activités cloud ralentir alors qu’il s’agit d’un important moteur de croissance pour le groupe ainsi que pour Amazon et Microsoft. Meta Platforms (Facebook) a évoqué des perspectives incertaines pour les trimestres à venir.
Prime de valorisation et ralentissement des résultats ne font jamais bon ménage en Bourse. Pourtant, les Sept Fantastiques continuent de tirer Wall Street vers le haut, une tendance qui pourrait se maintenir encore quelques mois selon Keith Lerner, coresponsable des investissements chez Trust Advisory Services. “Nous sommes dans une période saisonnière traditionnellement plus favorable pour les marchés (voir graphique “La saisonnalité des marchés”), les taux se stabilisent, les données économiques sont mitigées et les nouvelles concernant l’intelligence artificielle sont favorables. De nombreux investisseurs ayant raté le coche en début d’année, nous pensons que certains pourraient se ruer sur les valeurs technologiques en fin de l’année” afin de présenter un portefeuille plus séduisant à la clôture annuelle. Toutefois, ce phénomène sera temporaire et en janvier, les fondamentaux (et les résultats du quatrième trimestre) reprendront le dessus. Faut-il dès lors s’attendre à une annus horribilis pour les Sept Magnifiques en 2024? Cela serait aller vite en besogne, même si des revalorisations semblent inévitables sans reprise de la croissance.
Il est également fort probable que le club des Sept Fantastiques continue d’évoluer. Au départ, ils n’étaient que quatre Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), ensuite rejoints par Microsoft (Gafam) ou Netflix (Faang) selon les commentateurs. Avec le boom de l’IA, les analystes de Bank of America ont popularisé le groupe des Magnificent Seven au printemps – en référence au film (Les Sept Mercenaires, en français). Ce qui a permis d’intégrer Tesla et Nvidia qui ont quasiment octuplé depuis début 2020. Sur la même période, les cinq autres géants affichent des gains bien moins tonitruants allant de 50% (Amazon) à 144% (Apple).
Nouveaux mercenaires
Aujourd’hui, d’autres noms poussent au portillon comme le groupe pharmaceutique Eli Lilly, dixième entreprise mondiale avec une capitalisation de 561 milliards de dollars. Son développement dans les traitements du diabète et plus récemment les médicaments contre l’obésité ont dopé le titre qui affiche un gain de 370%. Pendant européen d’Eli Lilly, Novo Nordisk n’est pas en reste et s’est déjà hissé au rang de première entreprise européenne.
L’assureur santé UnitedHealth (capitalisation de 500 milliards de dollars) suit de près grâce à une croissance dopée aux services. Au travers d’Optum, le groupe américain a développé des activités comme la gestion administrative, la santé à domicile, les solutions informatiques… Les revenus d’Optum ont crû de 24% au cours des neuf premiers mois de l’année à 167 milliards de dollars. Plus loin dans la hiérarchie des grandes capitalisations, épinglons également:
– AMD (+440% en cinq ans, +77% en 2023) qui a réussi à plus que doubler son chiffre d’affaires entre 2020 et 2022 et veut aujourd’hui concurrencer Nvidia dans les puces pour l’IA ;
– ServiceNow, une plateforme d’automatisation de flux de travail basée sur le cloud à forte croissance (chiffre d’affaires doublé entre 2020 et 2023) et rentabilité élevée ;
– Netflix qui connaît un retour en grâce après la débandade de début 2022 ;
– LAM Research et Broadcom dans les semi-conducteurs, Salesforce (concurrent de ServiceNow), la fintech…
Le temps est compté
Parallèlement, certains “fantastiques” pourraient se voir déclasser. Ce qui serait tout sauf une surprise d’un point de vue historique. Selon une étude des analystes d’Advisor Perspectives, en moyenne “seules deux actions des 10 premières capitalisations boursières mondiales se maintiennent dans le top 10 une décennie plus tard. Les deux survivantes incluent presque toujours la première classée qui occupe toutefois une place moins favorable 10 ans plus tard. La deuxième action survivante a une chance sur deux de battre le marché en moyenne”. D’un point de vue purement arithmétique, les Sept Fantastiques ont ainsi 95% de chance faire moins bien que la moyenne des marchés au cours des 10 prochaines années. Talonné par Eli Lilly, Visa ou UnitedHealth, Tesla voit déjà sa position dans le top 10 menacée alors que le titre a perdu près de la moitié de sa valeur en deux ans. Sa croissance ralentit, ses marges se normalisent dans l’automobile et ses autres débouchés (stockage d’énergie, IA) tardent à se concrétiser dans les chiffres. Pour une action cotant plus de 60 fois les bénéfices, contre environ 10 fois pour les constructeurs historiques, toute déception peut engendrer une importante correction.
Si la direction semble claire sur le (très) long terme, le timing est bien plus obscur. Et en Bourse plus qu’ailleurs, “c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt” (Marguerite Yourcenar). Apple déjoue d’ailleurs déjà les pronostics en dominant le classement des plus grandes entreprises mondiales depuis 11 ans. Un fonds indiciel ne vous aidera pas à préfigurer ces tendances, mais à vous y adapter. Le poids des actions en perte de vitesse est mécaniquement réduit. Un ETF sur le S&P 500 ou l’indice mondial MSCI World vous permet ainsi de profiter du présent attractif des Sept Fantastiques (poids de 29% dans le S&P 500 et 19% dans le MSCI World), sans vous y lier durablement.
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