InvestSuite développe un robot basé sur l’IA: “Nous sommes sur le point de faire une percée”
InvestSuite, une société à la forte croissance basée à Louvain, aide les banques et les gestionnaires d’actifs à automatiser leurs offres pour les investisseurs. L’entreprise fonctionne sur base de l’intelligence artificielle (IA) depuis sa création en 2018. Trends a interviewé ses deux fondateurs.
Laurent Sorber a suivi de près les développements étonnants de l’intelligence artificielle, comme l’ascension fulgurante de ChatGPT, au cours de l’année écoulée. Cet ingénieur mathématicien est cofondateur de deux sociétés d’intelligence artificielle : Radix, fournisseur de services d’intelligence artificielle, et InvestSuite. Il a fondé cette dernière société avec Bart Vanhaeren, ancien directeur de KBC Securities et ex-CEO de Bolero.
InvestSuite opère à l’intersection de la banque, de l’informatique, de l’intelligence artificielle et de la conception centrée sur le client. L’entreprise conçoit des logiciels de marque blanche que les banques, les gestionnaires d’actifs et les fonds de pension intègrent alors à leur offre sous leur propre nom.
“Robo Advisor”
Le premier produit commercialisé a été le “Robo Advisor”, un logiciel qui permet aux banques d’offrir des conseils d’investissement automatisés à leurs clients. Le “Self Investor” est une plateforme destinée aux clients qui souhaitent investir de manière indépendante sur le marché boursier. L’un de ses produits phares – qui repose sur sept algorithmes – est le “StoryTeller”. Il s’agit d’un logiciel qui visualise le portefeuille d’investissement, afin de permettre aux investisseurs de découvrir l’histoire de leur portefeuille d’actions.
La montée en puissance de l’entreprise s’est traduite par l’attribution de récompenses. Les Europe Fintech Awards ont élu InvestSuite Investment Tech of the Year en 2023. L’entreprise technologique s’est également hissée dans le top 10 du Deloitte Fast 50 Belgium. La même année, elle a accueilli deux nouveaux investisseurs: la société informatique belge Cronos Group et le spécialiste estonien de la gestion de patrimoine OSOM Finance. En comptant ce dernier tour de table de 6 millions d’euros, auquel a également souscrit le fonds d’investissement PMV, InvestSuite a levé plus de 10 millions d’euros entre 2018 et 2022.
L’année dernière, lorsque le quotidien flamand Het Nieuwsblad a cherché un expert en bourse prêt à rivaliser avec un logiciel d’intelligence artificielle pendant un an, il n’a trouvé personne pour relever le défi. Seul notre collègue spécialisé en investissements Danny Reweghs a osé relever le défi. Les craintes de voir apparaître des robots-conseillers en IA comme ceux d’InvestSuite sont-elles en train de se concrétiser ?
BART VANHAEREN. “Je trouve cela surprenant. J’oserais m’attaquer à un logiciel d’investissement numérique automatisé. Bien sûr, cela dépend de la période dont il s’agit. Un robot-conseiller est utile pour les investissements à plus long terme. Notre “Robo advisor” surperforme les humains sur une période de trois ans. Les robots-conseillers investissent dans des trackers (fonds d’actions qui suivent autant que possible un indice, ndlr). Si je devais participer à une telle compétition, j’investirais dans deux ou trois actions qui ont le vent en poupe, comme Nvidia ou Microsoft l’année dernière. L’algorithme du robot-conseiller que Laurent et d’autres collègues ont mis au point est conçu pour l’investissement à long terme, ainsi que pour éliminer la volatilité d’un portefeuille.Passer constamment d’un niveau élevé à un niveau bas n’est pas une expérience agréable. Ce n’est pas seulement le résultat final qui compte, mais aussi le chemin parcouru pour y parvenir.”
“ChatGPT existe depuis un an. Il s’est produit des choses qui ne sont pas à 100 % comme elles devraient l’être, mais nous n’avons pas constaté de risques sérieux.”
Laurent Sorber, InvestSuite
Comment vos clients utilisent-ils le “robo-advisor” ?
VANHAEREN. “Nos clients sont des banques de détail qui veulent offrir des conseils à leurs clients d’une manière simple et digitale. Les clients n’ont donc pas nécessairement besoin de se rendre dans un bureau. Les banques veulent également offrir à leurs clients, en toute sécurité, un rendement supérieur à celui qu’ils obtiennent actuellement sur leurs comptes d’épargne, mais de manière virtuelle et sans que les clients n’aient à être eux-mêmes des investisseurs.”
Vous travaillez beaucoup à l’internationale depuis votre création en 2018. Où se trouvent vos clients ?
VANHAEREN. “Nos clients se trouvent principalement en Europe et au Moyen-Orient. Nous avons lancé le premier “robo-advisor” au Moyen-Orient, chez Commercial Bank of Dubai. Nous travaillons également avec l’une des plus grandes banques islamiques du monde (Al Rajhi Bank, ndlr), qui achète tous nos produits. Elle a intégré notre robo-advisor dans son application bancaire. Cela permet aux clients d’investir facilement une partie de leur épargne en toute sécurité. En Europe, peu d’applications bancaires intègrent encore cette fonctionnalité. En Belgique, nous connaissons la plupart des banques et des banques privées. Nous collaborons avec certaines d’entre elles. Nous travaillons également avec des banques en Suisse et au Danemark, et nous avons lancé un projet avec une grande caisse d’épargne en Norvège et au Royaume-Uni. Nous avons également d’excellents partenariats, comme celui avec le gestionnaire d’actifs Franklin Templeton.
Il y a un peu plus d’un an, le monde a découvert des modèles linguistiques d’IA tels que ChatGPT. Qu’est-ce qui a déclenché cette évolution chez InvestSuite ?
LAURENT SORBER. “Dès le départ, nous avons intégré l’intelligence artificielle dans notre gamme de produits destinés aux institutions financières, en utilisant l’IA pour automatiser les tâches cognitives. Il y a une distinction entre les types d’IA que nous intégrons dans nos produits. Le produit mentionné par Bart, le Robo Advisor, est un exemple d’IA déclarative, qui automatise la tâche du gestionnaire de patrimoine. C’est avec cette IA déclarative que nous avons commencé. À partir de là, nous avons évolué vers l’apprentissage automatique: l’IA apprend un certain comportement sur la base d’exemples. Chez StoryTeller, par exemple, nous utilisons l’apprentissage automatique pour sélectionner des articles d’actualité pertinents afin d’étayer le portefeuille d’une personne par une histoire, et chez Self Investor pour placer les bons logos avec les actions dans lesquelles une personne investit”.
Nos investisseurs nous ont longtemps reproché de ne pas nous concentrer sur un seul produit ou un seul pays, mais si nous l’avions fait, nous aurions déjà fait faillite.
Bart Vanhaeren, InvestSuite
Et puis l’IA générative est arrivée…
SORBER. “Oui, la technologie de ChatGPT est basée sur les grands modèles de Langage (Large Language Models). Il s’agit de grands modèles de langage qui ajoutent une grande valeur à nos produits. Nous utilisons de tels modèles de langage pour notre StoryTeller, par exemple, afin qu’il puisse générer son propre texte. Il est important de noter que nous ne le faisons pas en direct. Nous demandons d’abord à des personnes de vérifier le texte généré. Nous – et les banques – ne voulons pas qu’un texte non vérifié soit transmis sans filtrage et directement aux utilisateurs finaux.
VANHAEREN. “C’est important pour la conformité, pour être en règle avec les règles juridiques. La deuxième raison est que les modèles linguistiques ne sont pas encore en mesure de créer des textes de qualité. La qualité n’est pas aussi bonne que lorsque des humains créent ces textes. Les traductions ne sont pas encore satisfaisantes non plus. Nous ne croyons pas en la suprématie de la machine sur l’humain (machine beats human) mais plutôt en l’idée que l’homme associé à la machine peut surpasser la machine seule (man plus machine beats machine).
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“Nous l’utilisons également pour travailler plus efficacement dans notre entreprise. Par exemple, nos employés ne sont pas autorisés à s’envoyer des mails. Toute l’entreprise fonctionne sur Slack et Google. Par exemple, nous avons formé un modèle de langage avec les informations de notre équipe de vente.
Les avis sur l’IA divergent. Un camp pense que l’évolution est trop rapide et souhaite la ralentir afin de garantir que la technologie reste sans danger pour l’homme. L’autre pense que la technologie ne peut pas évoluer assez vite. Qu’en pensez-vous ?
SORBER. “Je me situe plutôt au milieu. Je ne pense pas qu’il faille ralentir. ChatGPT existe depuis un an. Il s’est produit des choses qui ne sont pas à 100 % comme elles devraient l’être, mais nous n’avons pas constaté de risques graves. Je ne pense pas non plus qu’il faille accélérer. Nous sommes sur la bonne voie.
Le cabinet de conseil Deloitte a inclus InvestSuite dans le Deloitte Fast50, son classement annuel des 50 entreprises technologiques belges à la croissance la plus rapide, en 2023.
VANHAEREN. “C’est très bien. J’ai été surpris que nous soyons neuvièmes (avec une croissance de 1. 187 %, l’entreprise ne divulgue pas son chiffre d’affaires, ndlr), car le Fast50 évalue une société sur une période de quatre ans. Beaucoup d’autres entreprises de cette liste ont tout misé sur un seul produit. Au départ, nous avons opté pour une série de produits. Nos investisseurs nous ont longtemps reproché de ne pas nous concentrer sur un seul produit ou un seul pays, mais si nous avions fait cela, nous aurions déjà fait faillite. Les entreprises de notre secteur qui n’avaient qu’un seul produit, comme les robo-advisors pour les entreprises, se sont arrêtées ou ont été rachetées.”
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Vous travaillez aujourd’hui avec une cinquantaine de personnes. Jusqu’où pouvez-vous aller ?
VANHAEREN. “Je pense que nous pouvons encore nous développer un peu, jusqu’à 75 ou 100 personnes, mais nous n’avons pas l’ambition de passer à 200 personnes. C’est tout à l’honneur de notre équipe de test que nos produits soient si développés que nous n’avons pas besoin de 200 personnes pour en assurer le service”.
Cette équipe est très internationale, notamment parce qu’elle est composée de personnes venant de différents pays. Outre une société belge, vous avez également une société danoise et vous faites partie de la scène fintech danoise.
VANHAEREN. “La plus grande équipe se trouve en Belgique, à Louvain, près de l’université. Nous en sommes très fiers. Nous avons également une solide équipe de développeurs de logiciels en Roumanie. Ce sont nos deux équipes principales. Nous avons une personne à Boston, Londres, Amsterdam et il y aura aussi quelqu’un à Singapour ou à Hong Kong. Nous avons également quelques développeurs de logiciels éparpillés dans le monde. Nous avons une entité juridique en Suisse, au Luxembourg et au Danemark. Nous sommes en train de créer une entité juridique aux États-Unis et, à terme, nous ferons de même à Singapour et à Dubaï. Si vous créez une telle entité juridique en Suisse, par exemple, vous bénéficiez de subsides importants. En Amérique, il y a aussi de nombreuses aides financières. En Belgique également, le gouvernement fait beaucoup, notamment par l’intermédiaire de Flanders Investment & Trade et de Vlaio.
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L’année vient de commencer, que peut-on vous souhaiter pour 2024 ?
SORBER. “J’attends avec impatience StoryTeller. On sent que nous sommes sur le point de faire une percée. Cela pourrait être magnifique.
VANHAEREN. “Cela pourrait en effet transformer l’entreprise. Nous avons les premiers clients pour StoryTeller en Europe et au Moyen-Orient, et nous sentons tout à coup que de très gros clients vont arriver. Nous progressons également en Amérique, en Asie du Sud-Est et en Afrique. Une percée sur le continent américain serait aussi fantastique.
Bio de Laurent Sorber
– 1987 : né à Wilrijk, vit à Tremelo
– 2014 : Doctorat summa cum laude en techniques d’ingénierie mathématique (KU Leuven), commence comme data scientist chez KBC Group
– 2016 : Consultant indépendant en IA
– 2018 : Cofondateur et directeur technique des start-up d’IA Radix et InvestSuite
Bio de Bart Vanhaeren
– 1968 : né à Louvain, vit à Heverlee
– 1991 : Maîtrise en génie civil et en chimie (KU Leuven)
– 1993 : débute comme consultant en gestion chez Arthur D. Little, puis travaille chez Levi Strauss et GE Capital
– 1999 : Entre à la KBC et accède rapidement à des postes de direction.
– 2001 : Master en économie financière (KU Leuven)
– 2012 : Directeur de KBC Securities et CEO de Bolero
– 2014 : Cofondateur de Bolero Crowdfunding
– 2017 : Auteur du livre Get Up Start Up (Die Keure)
– 2018 : Cofondateur d’InvestSuite
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