Gagner de l’argent à la morose bourse de Bruxelles? Possible, mais il faut être sélectif et patient

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Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Les actions belges sont à la traîne, en partie à cause du manque d’intérêt des investisseurs étrangers. Les experts sont toutefois convaincus qu’il est encore possible de gagner de l’argent à la Bourse de Bruxelles, mais “il faut être sélectif et patient”.

Un investisseur attentif sait depuis longtemps que quelque chose ne va pas avec l’indice Bel-20. L’indice vedette belge est en baisse de 4,5 % comparé à la fin de l’année dernière. Et ce alors que le CAC40 français et l’AEX néerlandais sont tous les deux en hausse de plus de 10 %.  Voilà qui est fort déplaisant pour tous ceux qui s’intéressent (ou s’intéressaient) aux actions belges. Car la question n’est pas seulement de savoir pourquoi les actions belges sont à la traîne, mais aussi, et peut-être surtout, de savoir si les actions belges rattraperont un jour leur retard.

L’immobilier pèse lourd sur le Bel-20

“Le Bel-20 est plus sensible aux taux d’intérêt que d’autres indices”, estime Laurence De Munter, gestionnaire d’actifs chez Securities De Munter (SDM), qui prend le pouls des marchés boursiers mondiaux depuis Londres. “Le Belgian All Shares, qui mesure la performance de toutes les actions belges, et pas seulement des 20 actions du Bel-20, s’est beaucoup mieux comporté depuis Nouvel An”. En tenant compte des dividendes des sociétés, les investisseurs ont perdu 1,35 % avec le Bel-20 et gagné 7,31 % avec le Belgian All Shares depuis le début de l’année.

La hausse des taux d’intérêt a eu un impact négatif sur les trois sociétés immobilières réglementées publiques (SIRP) du Bel-20. Aedifica et Cofinimmo ont toutes deux perdu plus de 20 % de leur valeur de marché depuis le début de l’année. Cela n’est pas seulement lié aux taux d’intérêt, mais aussi au segment immobilier dans lequel elles opèrent, à savoir l’immobilier de soins de santé. La troisième SIRP de l’indice Bel-20 résiste un peu mieux, mais a tout de même perdu 3,5 pour cent. WDP est actif dans l’immobilier logistique et est l’un des rares acteurs à posséder encore des terrains sur lesquels peuvent être construits des centres de distribution pour le commerce électronique notamment.

La baisse des taux d’intérêt pourrait entraîner une réévaluation

Selon Laurence De Munter, la sensibilité du Bel-20 aux taux d’intérêt pourrait devenir un atout lorsque les taux d’intérêt recommenceront à baisser. En effet, dans les premiers jours qui ont suivi l’annonce de l’inflation américaine, le Bel-20 a surperformé la plupart des indices boursiers connus. Plus l’inflation est faible, moins il est probable que la banque centrale américaine relève à nouveau les taux d’intérêt. Une pause ou, mieux encore, une baisse des taux d’intérêt serait bénéfique pour le secteur de l’immobilier coté en bourse.

Dans le cas contraire, des taux d’intérêt plus élevés et les prix des actions plus bas rendent l’achat ou la construction d’immeubles plus coûteux et, par conséquent, plus difficiles à rentabiliser. Mais ce n’est pas tout. Les actions immobilières sont devenues moins intéressantes aux yeux des investisseurs depuis que les rendements obligataires ont commencé à les rattraper. Leur rendement en dividendes les a fait apparaître comme une alternative aux obligations à rendement nul ou négatif au cours de la période 2019-2021. La hausse des taux d’intérêt inverse cette tendance. Les investisseurs qui préfèrent les obligations se sont détournés des actions immobilières dès qu’il y a eu des rendements à obtenir avec les obligations.

A la bourse de Bruxelles, on trouve une quinzaine de SIRP, tant dans le Bel-20 qu’en dehors. Cela n’explique donc pas pourquoi les Belgian All Shares surperforment le Bel-20. “Une offre publique d’achat est un autre moyen de faire disparaître la sous-évaluation des actions belges. Récemment, une offre a été faite avec une prime de plus de 50 pour cent sur Intervest Offices & Warehouses”, note De Munter. Cette offre reste toutefois inférieure de 5,5 % à la valeur de la propriété inscrite au registre.

Peu de grands investisseurs pour les petites actions

“Les valorisations élevées du passé pourraient ne jamais revenir pour certaines actions belges”, prévient Rik Dhoest, gestionnaire du fonds Nagelmackers Equity Small & Mid Cap, faisant référence aux petites capitalisations, les petites actions qui intéressent encore très peu d’investisseurs. “Ce n’est que lorsqu’il y a suffisamment de transactions sur une action que la sous-évaluation peut disparaître”, poursuit M. Dhoest.

Or, les transactions sur les petites actions belges se tarissent. De moins en moins de grands investisseurs osent investir dans des titres peu négociés. Ils ne veulent pas se retrouver coincés avec ces titres. M. Dhoest a fait l’exercice théorique pour son fonds de savoir combien de temps il faudrait pour liquider une position en actions. “Par exemple, pour une action comme le producteur d’huile de palme Sipef, il faudrait 92 jours de bourse pour vendre toutes les actions de notre fonds, 23 jours pour le producteur de semi-conducteurs X-Fab et 14 jours pour KBC Ancora, la société holding mère au-dessus de KBC.

Dhoest a ajouté qu’il avait dû vendre sa position dans Smartphoto pour des raisons de liquidité. “Lorsque nous avons lancé notre fonds en 2016, nous avons fixé la limite inférieure à des capitalisations boursières de 100 millions d’euros. Nous avons dû relever cette limite à 500 millions d’euros parce que les transactions sur les petites valeurs se tarissaient. L’évaluation de valeurs telles que le fabricant de lingerie Van de Velde ou le groupe alimentaire What’s Cooking, anciennement Ter Beke, était auparavant prise en charge par les fonds d’investissement. S’il n’est plus possible pour les fonds d’investir dans ces actions, comment ces actions pourront-elles atteindre la valeur qu’elles avaient auparavant ?

Pondération des indices sur le Bel-20

Mais il y a d’autres raisons pour lesquelles le Belgian All Shares surpasse le Bel-20. Dans les deux indices, les actions sont pondérées proportionnellement à leur capitalisation boursière. Il n’y a que dans le Bel-20 qu’il y a des limites, et ce afin de s’assurer qu’une action ne puisse pas dominer l’ensemble de l’indice, dans le Belgian All Shares il n’y en a pas. Le poids du géant de la bière AB InBev est ramené à 12 % chaque année, lors du remaniement du Bel-20. Par conséquent, le bancassureur KBC, avec une capitalisation boursière d’un peu moins de 23 milliards d’euros, pèse à peu près autant dans le Bel-20 qu’AB InBev, qui, avec une capitalisation boursière de 97 milliards d’euros, est presque quatre fois plus important. En fait, tant AB InBev que KBC ont connu une année difficile.

Ainsi, dans le Belgian All Shares, AB InBev pèse plus lourd que dans le Bel-20. L’action pèse près de 15 %, mais le brasseur n’est que la deuxième entreprise de l’indice Belgian All Shares à avoir un tel poids. TotalEnergies domine l’indice avec près de 25 %. On peut se demander si TotalEnergies est encore belge. Pas assez belge en tout cas pour figurer dans le Bel-20. Quant à la cotation de l’entreprise énergétique française sur Euronext Brussels, c’est une relique. Depuis l’absorption de Petrofina par Total en 1999, le centre de décision se trouve en France.

Les grands évincent les petits

Le groupe bancaire ING (7,5 %), Engie (6 %), le producteur de verre Saint Gobain (4,8 %) et la chaîne de magasins Ahold Delhaize (4,5 %) ne sont pas non plus assez belges pour faire partie du Bel-20, mais ce sont des poids lourds de l’indice Belgian All Shares. Les performances de l’indice Belgian All Shares sont déterminées par les grands acteurs mondiaux qui ont un lien ou une histoire avec la Belgique. Pour cet indice, il importe peu que les petites entreprises belges perdent du terrain, car leur part dans le total est négligeable. “Si vous décortiquez les performances des indices les plus performants au monde, vous arrivez presque toujours à la conclusion que, cette année, seule une poignée d’indices tirent leur épingle du jeu”, explique Guy Sips, analyste chez KBC Securities, spécialisé dans les petites et moyennes capitalisations. Selon cette théorie, les investisseurs à long terme pourraient obtenir davantage de rendements avec les petites actions qu’avec les grandes, car elles ont souvent un plus grand potentiel de croissance.

“Regardez la différence entre l’indice Euronext 100 et l’indice Next 150”, conseille M. Sips. Les 100 plus grandes entreprises des bourses Euronext ont gagné 10 % en moyenne cette année. Des sociétés telles que le groupe de luxe français LVMH (9 % de l’indice), le fabricant néerlandais de puces électroniques ASML (6 %) et le producteur de pétrole néerlandais Shell (6 %) sont en tête de l’Euronext 100. Les 150 entreprises suivantes (les Next 150) ont vu le cours de leurs actions augmenter de seulement 4 % en moyenne.

Nous pouvons aller plus loin. Les petites valeurs sont tombées dans l’oubli. Avec les petites valeurs belges de l’indice Bel Small, les investisseurs ont perdu plus de 20 % cette année. Avec les petites capitalisations françaises et néerlandaises, les investisseurs ont également gagné beaucoup moins d’argent cette année, voire même en ont perdu. Même sur une base quinquennale, les petites capitalisations se sont moins bien comportées que les grandes actions au niveau national, chez nos voisins du nord et du sud. “Le manque de liquidité n’est pas un problème belge, mais le problème de petites capitalisations. Je le constate également dans les petites valeurs françaises et néerlandaises”, ajoute M. Dhoest. “Le Bel Mid, en revanche, avec des entreprises d’une taille supérieure comme Colruyt, bat le Bel 20 depuis le début de cette année », renchérit Guy Sips.

Plus d’indices, moins d’actions

L’exemple le plus flagrant est celui des “Magnificent Seven”, qui représentent ensemble 28 % de l’indice américain S&P500. Si Apple, Alphabet, Microsoft, Amazon, Tesla, Meta Platforms et Nvidia pesaient autant que toutes les autres actions de l’indice, le S&P500 n’enregistrerait qu’un gain de quelques pour cent au lieu de 18 %. De plus en plus de personnes investissent dans des indices plutôt que dans des actions spécifiques, avec des fonds indiciels négociés en bourse (ETF). L’investissement dans les ETF crée un effet d’aspiration vers les actions les plus importantes et les plus liquides. Selon Sips, d’ici 2023, il n’y aura pas de fuite vers la sécurité, mais une fuite vers la liquidité.

Non seulement la Belgique est à la traîne par rapport à l’Europe, mais l’Europe est également à la traîne par rapport aux États-Unis. “Cela fait 25 ans que j’entends dire que les actions américaines sont trop chères, mais la plupart des entreprises susceptibles de changer le monde sont aujourd’hui cotées en bourse aux États-Unis”, explique M. Dhoest. “Si l’on en croit Ilham Kadri, le PDG de Solvay, les États-Unis sont beaucoup plus généreux en subventions. Les employés y bénéficient d’une protection sociale moindre, ce qui permet aux entreprises américaines de traverser plus facilement les périodes économiques difficiles.”

“Les investisseurs ont toujours attribué une note inférieure aux actions européennes. Après tout, la plupart des fonds proviennent des États-Unis. La guerre en Ukraine et la crise énergétique suffisent à refroidir les investisseurs américains, qui retirent alors leur argent des actions européennes”, estime Mme De Munter. Elle note toutefois que Goldman Sachs s’est montré plus positif à l’égard des actions européennes la semaine dernière, car les entreprises commencent à acheter de plus en plus de leurs propres actions.

M. Dhoest conclut sur une note positive. “Il est encore possible de gagner de l’argent avec les actions belges, mais il faut être sélectif et trouver des entreprises abordables avec une croissance durable, une bonne stratégie et un bilan solide. Ensuite, il faut être patient. Il y a des tendances dans l’économie mondiale que vous ne pouvez pas ignorer. Prenons l’exemple de X-Fab et Melexis, qui répondent à l’électrification. En revanche, la valorisation d’Alfen et de Fastned, qui répondent au même thème, était irrationnellement élevée”.

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