Fonds: “Les plus bas sont encore devant nous”

Matthieu Grouès (Lazard Frères Gestion) © PG

Le gestionnaire de fonds Matthieu Grouès, de Lazard Frères Gestion, pilote deux stratégies cinq étoiles performantes avec une approche qui reste prudente à l’entame d’un exercice 2023 qui pourrait encore réserver de mauvaises nouvelles aux investisseurs.

A l’occasion de son récent passage à Bruxelles, nous avons eu l’occasion d’interviewer Matthieu Grouès (Lazard Frères Gestion). Outre sa fonction de responsable de la stratégie et de l’allocation d’actifs chez le gestionnaire parisien, il pilote également les fonds flexibles Lazard Patrimoine SRI (Allocation prudente) et Lazard Patrimoine Opportunities (Allocation modérée) avec Julien-Pierre Nouen.

Alors que la plupart des fonds mixtes ont encaissé des reculs supérieurs à 10% durant un exercice 2022 très délicat à négocier, les deux produits de Lazard Frères Gestion ont dégagé des performances (légèrement) positives et affichent désormais des notations cinq étoiles chez Morningstar.

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TRENDS-TENDANCES. Comment analysez-vous la bonne performance de vos fonds durant l’exercice écoulé?

MATTHIEU GROUÈS. Nous avions une approche assez extrême sur les marchés au début 2022, tant sur les actions que sur les obligations. Pour l’exposition obligataire, nous avions même une sensibilité négative par rapport à l’évolution des taux d’intérêt, ce qui nous a permis de dégager une performance positive lorsque les rendements ont commencé à s’envoler. De même, nos expositions sur les actions étaient fortement diminuées par rapport à nos contraintes de gestion. Pour l’essentiel, nous avons conservé cette approche conservatrice durant l’ensemble de 2022.

Les marchés sont-ils actuellement trop optimistes?

Nous sommes un peu dubitatifs sur l’enthousiasme des marchés durant les dernières semaines. Les raisons qui justifient cette hausse nous semblent très ténues. Notre scénario de base reste celui d’une surchauffe des économies américaines et européennes, avec des indices de prix qui continuent de grimper trop rapidement. Le marché du travail est le problème fondamental auquel la Réserve fédérale doit faire face. Tant qu’il y aura un tel écart entre le nombre d’offres d’emploi et le nombre de demandeurs d’emploi (job gap) dans l’économie américaine, l’inflation va rester un problème.

Un scénario de “soft landing” est-il envisageable?

L’économie américaine a connu deux atterrissages en douceur depuis la Seconde Guerre mondiale (en 1966/1967 et 1995) et les salaires ont tendance à progresser sensiblement plus vite après le soft landing qu’avant. L’idée qu’un soft landing puisse ralentir les salaires, c’est une théorie qui ne s’est pas vérifiée dans un passé récent. Une récession est nécessaire pour corriger ces problèmes, même si elle devrait être d’ampleur modérée vu qu’il n’y a pas eu d’excès dans l’économie américaine ces dernières années.

La BCE a raison de craindre l’apparition d’une inflation des salaires provoquée par la hausse des prix avec un nombre d’offres d’emploi qui reste très élevé.

La position de la Fed est donc extrêmement compliquée?

Si la Réserve fédérale veut durablement revenir sur un objectif d’inflation à 2%, elle va devoir infléchir la tendance sur le marché du travail, ce qu’elle n’a jusqu’ici pas été en mesure de faire. Le taux de chômage à 3,5% reste au niveau du plein emploi, les réserves disponibles sur le marché du travail sont historiquement faibles, les emplois vacants sont pratiquement revenus sur leur niveau le plus élevé (atteint en mars 2022), et les inscriptions hebdomadaires au chômage sont incroyablement basses.

Donc, les taux américains vont rester élevés?

Nous travaillons actuellement sur deux scénarios avec des probabilités équivalentes, le premier avec les hausses de taux déjà planifiées par la Fed, et le second avec une Fed qui sera obligée de resserrer à nouveau sa politique durant la deuxième partie de l’année si elle ne parvient pas à contrôler l’inflation des salaires. Dans les deux cas, il est impossible d’envisager une baisse du taux directeur américain avant 2024.

Et au niveau de l’Europe?

Nous avons également un vrai problème de diffusion de l’inflation dans l’économie européenne, avec des salaires à l’embauche en forte augmentation et un climat social qui se dégrade. La BCE a raison de craindre l’apparition d’une inflation des salaires provoquée par la hausse des prix avec un nombre d’offres d’emploi qui reste très élevé, même en Allemagne. Si elle veut vraiment revenir vers une inflation de 2% dans un délai acceptable pour ne pas modifier les attentes des agents économiques, elle va être contrainte de continuer à appuyer sur le frein.

Vous ne partagez donc pas le point de vue de risques “plus équilibrés” sur l’inflation?

Il n’y a eu pour le moment aucun indicateur permettant de penser que l’inflation en Europe est en train de ralentir, avec une inflation core à 5,2%, des surprises économiques positives, des salaires qui accélèrent et une diffusion de la hausse des prix vers l’ensemble de l’économie. Il y a une forme de mimétisme entre l’ensemble des grandes banques centrales, qui ont tendance à augmenter ou relâcher la pression en même temps.

Comment positionnez-vous vos fonds dans le cadre de ces attentes?

Sur nos deux fonds, nous restons actuellement proches des limites basses de nos contraintes de gestion pour les actions, soit 4% des encours pour Lazard Patrimoine SRI et 24% sur Lazard Patrimoine Opportunities SRI ; avec une préférence pour la zone euro et la value, plus particulièrement les valeurs bancaires qui vont bénéficier au premier plan de la hausse des taux. Nous apprécions aussi les valeurs pharmaceutiques ou des valeurs industrielles qui sont sur un cycle autonome par rapport au reste de l’économie, comme l’aéronautique. A l’inverse, nous restons largement sous-exposés sur le secteur technologique.

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Nous n’avons pas encore atteint le plus bas sur les actions?

Aux Etats-Unis, nous n’avons jamais eu un point bas sur les marchés boursiers avant l’arrivée de la récession, et il est impossible de repartir sur un nouveau cycle économique avec un taux de chômage à 3,5%. Les points bas sont donc encore devant nous et nous n’avons donc aucune raison de nous positionner massivement sur des marchés qui sont encore chers à l’heure actuelle. La perspective d’une poursuite de la hausse des taux en Europe et aux Etats-Unis ne semble absolument pas prise en compte par les marchés, qui ont pris le parti d’attendre un recul du taux directeur américain durant le second semestre 2023 et d’ignorer les mises en garde du président de la Fed Jerome Powell. Les primes de risque (la différence entre le dividende et le taux sans risque du marché) sont revenues à leur plus bas niveau depuis les 10 dernières années sur les marchés d’actions, ce qui laisse penser que les futures hausses de taux risquent d’être beaucoup plus difficilement digérées par les marchés.

Vous êtes un peu plus constructif sur les marchés obligataires?

Nous restons prudents et nous avons maintenu une sensibilité négative sur notre portefeuille obligataire. Il faut néanmoins tenir compte du fait que les rendements sont désormais beaucoup plus attractifs par rapport au début 2022. Pour les prochains mois, il n’est pas déraisonnable de réduire progressivement la sensibilité négative sur les taux pour se constituer un portefeuille sur le crédit aux entreprises de qualité investment grade, avec des rendements tournant autour de 4%. Même si la Fed remonte encore ses taux, nous ne devrions pas avoir une répétition du scénario de 2022 sur les marchés financiers.

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