Des ETF pour seulement quelques euros

Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Une nouvelle génération d’agents de change et de banques souhaite démocratiser davantage l’investissement en Europe. Depuis l’étranger, ils tentent de conquérir les Belges avec des coûts réduits et des solutions simples pour investir, payer et effectuer des opérations bancaires. Mais nous avons lu pour vous les petits caractères de leurs conditions générales.

Avec ses tarifs compétitifs et ses solutions d’investissement simples, le courtier allemand Trade Republic, qui s’est récemment transformé en banque, lorgne un public jeune qui ne trouve pas son bonheur auprès des banques traditionnelles. Trade Republic est la figure de proue d’une nouvelle génération de courtiers en valeurs mobilières (néo-­courtiers) et de banques (néo-banques) qui veulent rendre l’investissement en Europe moins cher et plus facile.

Récemment, la banque a annoncé dans nos colonnes que d’ici la fin 2024, elle envisageait de débarrasser les clients belges des traditionnelles tracasseries administratives : comptes belges et retenue de tous les impôts belges. Si Trade Republic ne s’étouffe pas face à la complexité de la réglementation et de la fiscalité dans notre pays, elle pourrait devenir un concurrent à craindre pour les opérateurs historiques en Belgique.

Sur le marché belge, Trade Republic, qui compte, selon ses propres termes, “plusieurs milliers de clients”, n’est pas encore très loin. En effet, selon la FSMA, le gendarme du secteur, pas moins de 830.000 Belges investissent en Bourse. Trade Republic s’adresse aux investisseurs bel­ges depuis le 18 octobre 2022, et figurait depuis le 29 juillet 2022 (jusqu’à ce qu’elle devienne une banque) sur la liste de la FSMA des “entreprises d’investissement relevant du droit d’un autre Etat membre de l’Espace économique européen qui ont notifié leur intention de fournir des services d’investissement en Belgique sous le régime de la libre prestation de services”.

900 courtiers étrangers

La liste de la FSMA comprend environ 900 noms, allant des banques traditionnelles à, par exemple, le courtier en ligne néerlandais Lynx, qui opère en Belgique depuis au moins une décennie, et le néo-courtier néerlandais Bux, qui s’est installé en Belgique à l’été 2020. Ces deux derniers gèrent des comptes à l’étranger, que les Belges doivent déclarer au point de contact central de la Banque nationale. Ils retien­nent la taxe belge sur les opérations boursières (TOB) de sorte que les clients ne doivent plus la répercuter eux-mêmes. Bux a commencé à le faire au début de l’année 2023. La taxe sur les dividendes de sociétés étrangères doit cependant toujours être déclarée par les investisseurs dans leur déclaration d’impôts.

Le 14 décembre, ABN Amro a annoncé le rachat des activités de Bux, à l’exclusion de celles liées aux cryptomonnaies. Nous n’avons pas reçu de réponse à notre question sur les projets de Bux en Belgique. Le communiqué de presse concernant l’acquisition parlait principalement de la “plate­forme conviviale et intuitive” de Bux, “qui est très attrayante pour la nouvelle génération d’investisseurs”. Mais si ABN Amro et Bux unissent leurs for­ces pour séduire les investisseurs belges, cette combinaison pourrait également donner vie à l’entreprise.

Sur cette liste de ceux qui ont notifié à la FSMA qu’ils voulaient offrir des services d’investissement en Belgique mais sont régis par le droit d’un autre Etat membre de l’EEE, on dénombre beaucoup de noms. Trade Republic y figure. Flatex DeGiro aussi, depuis un certain temps. DeGiro opère en Belgique depuis 2014 en tant que “casseur de prix” pour les services d’investissement et a été racheté par la banque allemande Flatex fin 2019. Tant Trade Republic que Flatex DeGiro se concentrent principalement sur les produits d’investissement bon marché et peu coûteux, tels que les ETF (ou fonds négociés en Bourse), et ce n’est pas une coïncidence.

De 1.000 à 10.000 milliards 
de dollars

BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde (10.000 milliards de dollars) a récemment annoncé le licenciement de 600 personnes, soit 3 % de son personnel, afin de libérer des ressources pour des activités en plein essor telles que les ETF.

Pour rappel, ETF signifie “exchange traded fund” ou fonds négocié en Bourse, un fonds qui peut être acheté comme une action en Bourse et qui se distingue des fonds bancaires traditionnels par ses faibles coûts et son automatisation.

Aujourd’hui, BlackRock est le plus grand acteur mondial dans le domaine des ETF, alors qu’il y a 15 ans, il n’était nulle part. Grâce à la crise bancaire, BlackRock a pu acquérir Barclays Global Investors (BGI). A l’époque, BGI, avec sa marque iShares, était le leader du marché des ETF qui suivent passivement un indice boursier. BlackRock était alors particulièrement fort dans les fonds dont les gestionnaires tentent d’acquérir des actions bon marché au bon moment.

L’Europe est à la traîne par rapport aux Etats-Unis. Le premier ETF européen a été lancé presque 10 ans après le premier américain (par Lyxor). L’allemand DWS (Xtrackers) et le Français Amundi sont actuellement les plus grands fournisseurs d’ETF européens.

Pas impressionné

Le pionnier belge de l’inves­tissement sur internet, Keytrade Bank, ne craint pas cette concurrence. “Nous sommes à la fois une banque et un courtier et nous appartenons à un groupe européen solide (Crédit Mutuel Arkéa, Ndlr), répond Roel Vermeire, porte-parole de Keytrade. Nous avons vu des casseurs de prix entrer sur le marché à plusieurs reprises au fil des ans. Mais au cours de ces 26 dernières années, dans ce secteur si hautement réglementé, nous en avons vu également partir… Ces casseurs de prix ne s’aperçoivent souvent qu’après quelques années qu’il faut une marge suffisante pour maintenir un modèle d’entreprise.”

Werner Eetezonne, directeur général de KBC Bolero, ne s’estime pas non plus sous pression. “Jusqu’en 2019, le marché du courtage en ligne n’a pas beaucoup bougé, ironise-t-il. Bolero, qui fête cette année ses 25 ans sur le marché, a été l’un des pionniers. De même pour les ETF. Dès le début, vous pouviez investir dans une large gamme d’ETF chez Bolero. Nous ne pouvons donc pas vraiment qualifier les développements récents d’innovation.”

Reste que KBC Bolero a soudai­nement décidé, l’été dernier, de sérieusement réduire les frais demandés lors des passages de petits ordres pour une cinquantaine d’ETF. Ceux qui ne peuvent pas investir plus de 250 euros dans un ETF en une seule fois ne paieront plus que 2,5 euros de frais de transaction depuis le 1er juillet. Bolero se rapproche ainsi de ces acteurs à bas prix qui parviennent à attirer tant de jeunes investisseurs.

En 26 ans, nous avons vu les casseurs de prix aller et venir.” – Roel Vermeire, porte-parole de Keytrade

Les premiers sites d’investissement belges

Souvenez-vous: en 1998, Jean et José Zurstrassen et leur camarade Grégoire de Streel lançaient leur site d’investissement VMS-Keytrade. A l’époque, les frères Zurstrassen et De Streel étaient des pionniers. On leur doit d’ailleurs aussi le fournisseur d’accès à inter­net Skynet, vendu à Belgacom (aujourd’hui Proximus) trois ans après son lancement, tout comme Keytrade, qu’ils ont cédé à Land­bouwkrediet (aujourd’hui Crelan) en 2007. Outre Keytrade, les frères Zurstrassen et De Streel ont aussi lancé d’autres initiatives, dont KBC Bolero, le courtier en ligne au sein du groupe KBC.

En Belgique, Keytrade Bank et KBC Bolero sont les deux seuls courtiers en ligne encore en vie depuis la fin des années 1990. Chez Keytrade, il fallait alors compter un peu moins de 15 euros pour passer un ordre sur les Bourses d’Euronext et un peu moins de 30 euros pour un ordre à Wall Street. Bolero suivait de près avec ses petits frais pour les petits ordres sur la Bourse de Bruxelles. Keytrade compensait toutefois la différence en ne facturant pas de droits de garde annuels, ces pourcentages que la banque déduit de la valeur de chaque ligne du portefeuille.

En 2005, l’arrivée du courtier néer­landais BinckBank (aujourd’hui Saxo) en Belgique fut un moment important. Binck avait de grandes ambitions et voulait faire bouger les lignes en proposant des taux inférieurs de 20 % à ceux de Keytrade et de Bolero. En outre, comme Keytrade, Binck ne facturait pas de droits de garde. Une guerre des prix s’ensuivit, qui conduisit Keytrade à réduire de moitié ses tarifs pour les petits ordres sur Euronext en 2007. En 2009, KBC Bolero faisait de même. Mais ce n’est qu’en 2013 que KBC Bolero a abandonné les droits de garde.

De la même manière, les acteurs émergents sur le marché belge peu­vent-ils inciter les banques et les courtiers belges à baisser à nouveau leurs prix ? Pour certaines opérations, tant Keytrade que KBC Bolero facturent encore aujourd’hui exactement les mêmes frais de transaction qu’en 2007 et 2009 : par exemple, 7,5 euros pour les ordres jusqu’à 2.500 euros sur Euronext Brussels. Saxo facture aujourd’hui 7,25 euros pour un tel ordre à Bruxelles. MeDirect, la banque en ligne belge qui aime se présenter comme le challenger des grandes enseignes belges, facture 7 euros de frais de transaction pour les actions belges.

“Tout acteur qui apporte de l’innovation et de la compétitivité sur le marché belge est pour nous une évolution positive”, affirme Steven De Backer, porte-parole de MeDirect. Ce courtier est présent en Belgique depuis 2014. D’abord avec une licence maltaise et depuis juin 2015 avec une licence bancaire belge. Au départ, l’accent était mis sur les fonds d’investissement, mais depuis plusieurs années, la banque en ligne propose également des ETF. Il est également possible d’investir dans des actions, bien que les investisseurs bénéficient de moins d’avantages sur ce marché que via d’autres plateformes.

Reste qu’aujourd’hui, c’est Trade Republic qui arrive en tête du classement des principales applications de placement les moins chères de Belgique.

Comme y arrive-t-elle? “Trade Republic vend son flux d’ordres, explique le porte-­parole de MeDirect. En d’autres termes, tous les ordres passés par le courtier transitent par le même ’teneur de marché’. Trade Republic reçoit ainsi une petite commission pour cha­que ordre. En conséquence, vos ordres peuvent potentiellement être exécutés à des prix moins favorables. Ce paiement pour le flux d’ordres (“payment for order flow” ou PFOF) est controversé. L’Union européenne a ainsi décidé de mettre fin à cette pratique d’ici à la mi-2026.” FlatexDegiro utilise également ce PFOF, même si le “casseur de prix” germano-néerlandais a toujours affirmé qu’il ne s’agissait que d’une très petite partie de son modèle de revenus.

Trade Republic est moins cher parce qu’il vend son flux d’ordres. Mais il est possible que les ordres soient exécutés à des prix moins favorables…” – Steven De Backer, porte-parole de MeDirect

Mouvement dans les grandes banques

On l’a vu, Werner Eetezonne de KBC Bolero affirme qu’il y a eu peu de mouvement sur le marché jusqu’en 2019. Mais à partir de mars 2020, tout a changé. La raison? Un investissement “passe-temps” qui décollait grâce au covid, au confinement et aux autres mesures prises pour le contenir. Résultat, à l’été 2020, le casseur de prix néerlandais Bux entrait également sur le marché belge avec une application explicitement destinée aux investisseurs jeunes et inexpérimentés. Un an plus tard, Belfius lançait Re=Bel (sans droits de garde) et ING Self Invest suivait en septembre 2021 (avec des droits de garde de 0,0242 % par an pour les actions).

Ces dernières applications le mon­trent à l’envi : comme les courtiers en ligne, les grandes banques visent également les investisseurs débutants… et tous ceux que veulent se lancer même en démarrant à un prix relativement bas. Re=Bel est ainsi bon marché : 3 euros pour les petites transactions jusqu’à 2.500 euros sur Euronext Brussels. Mais pour les transactions sur Paris ou Amsterdam (6 euros pour les ordres jusqu’à 2.500 euros) ou New York (15 euros) ou encore sur d’autres marchés (25 euros), l’avan­tage tarifaire est bien moindre. Les frais de transaction d’ING Self Invest sont également compétitifs par rapport aux courtiers en ligne (0,35 % sur la transaction, avec un minimum de 1 euro). Avec un bémol: l’existence de droits de garde qui semblent pourtant dépassés.

Quid de BNP Paribas Fortis? L’ensei­gne ne s’est pas encore lancée dans la bataille des applications d’investissement. Mais la plus grande ban­que du pays possède un robot d’inves­tissement, Lucy, qui permet aux clients d’envoyer automatiquement de l’argent vers six ETF. Un outil avec lequel la banque tente de concurrencer d’autres robots d’inves­tissement comme Matti (de KBC) ou Keyprivate (de Keytrade) et des acteurs plus petits tels qu’Easyvest et Curvo.

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