Active dans le recyclage de plomb et d’antimoine depuis 1912, la “Compagnie métallurgique de la Campine” fait partie du paysage boursier belge depuis 1936. Ce n’est toutefois que récemment qu’elle a attiré l’attention des investisseurs.
Restée dans l’anonymat du double fixing (valeurs cotées deux fois par jour sur Euronext Bruxelles) pendant de longues décennies, Campine s’impose aujourd’hui comme l’action la plus performante de l’année sur le marché belge. Une progression fulgurante, soutenue par une amélioration marquée de ses résultats financiers, qui n’est pas sans rappeler le parcours de Lotus Bakeries, référence incontestée de la cote bruxelloise depuis le début de ce siècle.
Marges et diversification
À l’époque, le célèbre fabricant de spéculoos était bien loin du locataire du Bel 20 et du prestigieux indice MSCI World actuel. Durant ses 15 premières années de cotation, Lotus Bakeries a évolué dans l’ombre, cantonné à un rôle de petite entreprise familiale sans prétention.
Le premier tournant décisif s’opère en 2003 : son résultat opérationnel bondit de 80% pour atteindre 4 millions d’euros et le bénéfice net repasse dans le vert. Cette inflexion résulte d’une refonte stratégique. Le biscuitier abandonne la production sous label de distributeurs et les marques locales pour se recentrer entièrement sur la marque “Lotus”. Le groupe ne vendait alors plus simplement des produits, mais une marque forte.
Lire aussi| La croissance de Lotus Bakeries demeure robuste

Ce repositionnement améliore sensiblement la rentabilité de l’entreprise, avec une marge opérationnelle qui évolue progressivement de 3% à 16%. Cette montée en puissance permet à Lotus Bakeries de se doter des moyens nécessaires pour internationaliser son produit phare – le spéculoos, rebaptisé Biscoff – et pour se diversifier dans les en-cas sains grâce à des acquisitions ciblées comme celles de Nakd et Bear.
Le succès est au rendez-vous. En 2024, Lotus Bakeries a enregistré un résultat opérationnel supérieur à 200 millions d’euros, quasiment 100 fois plus qu’en 2002.
Plus rapide que Lotus
Lotus et Campine évoluent dans des univers industriels radicalement différents, mais partagent pourtant une vision stratégique comparable : capter une part plus importante de marge tout au long de la chaîne de valeur.
Freinée un temps par une enquête européenne pour entente sur les prix de rachat de batteries usagées entre 2009 et 2012 (clôturée par une amende réduite de 4,3 millions d’euros), Campine a depuis pu accélérer la mise en œuvre de son plan. En amont, elle a renforcé ses capacités de recyclage, notamment pour récupérer l’antimoine utilisé dans ses additifs retardateurs de flamme. Alors qu’en 2017, 80% de ses besoins étaient couverts par des achats en Chine, cette dépendance est tombée à 5% en 2024 – un virage clé, comme on le verra plus loin.
Lotus et Campine évoluent dans des univers industriels radicalement différents, mais partagent pourtant une vision stratégique comparable.
En aval, Campine a développé ses propres masterbatches, des solutions prêtes à l’emploi destinées aux industriels, plus simples et plus sûres à utiliser que les composés bruts.
Combinée à un contexte favorable sur les métaux, cette stratégie a permis de multiplier par plus de cinq le résultat opérationnel, passé de 5,8 millions en 2019 à 30,6 millions d’euros en 2024. Et en Bourse, Campine a fait encore mieux que Lotus : il lui aura suffi de cinq ans pour décupler sa valorisation, contre huit pour le spécialiste du spéculoos – dont l’envolée s’est ensuite prolongée avec une multiplication par 30 en 13 ans.
Numéro deux européen
Ces résultats solides ont également renforcé la position financière de Campine. La renégociation, en 2017, des conditions de ses crédits bancaires à la suite du règlement de l’amende infligée par la Commission européenne semble désormais bien loin. L’entreprise dispose aujourd’hui d’une assise financière confortable, qui lui permet de soutenir activement sa croissance.
Dès 2022, le groupe campinois a ainsi acquis trois usines en France appartenant au groupe Recylex, alors en redressement judiciaire. Une opération stratégique qui a permis au groupe belge de devenir le numéro deux européen du recyclage de batteries au plomb, avec une capacité portée à 180.000 tonnes par an, soit l’équivalent de 10 millions de batteries automobiles.
Dans le détail, les deux sites de broyage de batteries au plomb acquis alimentent directement la fonderie de Campine en Belgique. Quant à l’usine de recyclage de plastiques, elle a ouvert au groupe une nouvelle filière dans le traitement du polypropylène, le matériau utilisé pour les boîtiers de batteries.
Nouveau rachat en France
Poursuivant son expansion en France, Campine a annoncé fin mai avoir soumis une offre de reprise au groupe américain Ecobat pour ses filiales hexagonales. L’opération porte sur deux usines de recyclage de batteries et une unité de produits semi-finis à base de plomb. Le groupe de Beerse souligne que “les fours (d’Ecobat, ndlr) en France peuvent être utilisés dans la chaîne d’approvisionnement et de traitement pour récupérer l’antimoine et d’autres métaux”.
Cette initiative permettrait à Campine de renforcer et de développer sa position de référence dans le recyclage des batteries au plomb. Elle s’inscrit également dans la continuité de son second pilier stratégique : la production de trioxyde d’antimoine (pôle de chimie de spécialité). Le groupe figure en effet parmi les trois principaux producteurs mondiaux de cet additif ignifuge, utilisé dans les plastiques automobiles, les matériaux de construction et les appareils électroménagers.
Déclencheur en Chine
En observant le graphique boursier de Campine, une nette accélération se dessine à partir de l’été 2024. Ce qui correspond à l’annonce par la Chine de restrictions à l’exportation d’antimoine et d’autres métaux à usage civil et militaire – l’antimoine étant notamment utilisé dans la fabrication de munitions.
La Chine, la Russie et le Tadjikistan représentant à eux trois 87% de la production minière mondiale d’antimoine, selon Mandalay Resources, cette décision a fortement influencé le cours du métal. D’autant plus que la Chine a renforcé ses restrictions en décembre dernier, en interdisant les exportations vers les États-Unis. Le prix européen de l’antimoine à Rotterdam a ainsi bondi de 22.461 dollars la tonne en juillet 2024 à un record historique de 60.000 dollars.
Pour Campine, qui couvre désormais l’essentiel de ses besoins en antimoine par le recyclage, cette flambée des prix constitue une véritable aubaine, appelée à gonfler ses résultats en 2025. Fin mai, le groupe a ainsi publié un communiqué alertant les marchés sur une forte hausse de ses performances, avec un excédent brut d’exploitation attendu à 50 millions d’euros au premier semestre, contre 42 millions pour l’ensemble de l’année 2024.
Faible valorisation

Sur la base de tels résultats, le titre Campine reste étonnamment bon marché, malgré une envolée spectaculaire ces cinq dernières années. En supposant que le groupe réalise un deuxième semestre similaire au premier, Campine devrait dégager un résultat net supérieur à 50 millions d’euros en 2025, ce qui correspondrait à un ratio cours/bénéfices de 7 au cours actuel de 235 euros.
Compte tenu de la politique de dividende du groupe, qui distribue environ un tiers de ses bénéfices, le rendement brut atteindrait ainsi 5%.
Évidemment, ces chiffres bénéficient directement de la situation géopolitique et des restrictions à l’exportation imposées par la Chine. Toutefois, il semble peu probable que ces tensions disparaissent rapidement, et la valorisation actuelle de Campine reflète déjà ce caractère temporaire.
Électrification automobile
Structurellement, le principal défi pour Campine ne semble pas tant être une normalisation du marché de l’antimoine, mais plutôt l’électrification croissante des véhicules. Il est en effet tentant de considérer l’essor des batteries au lithium comme une menace fatale pour la batterie au plomb.
Pourtant, tout véhicule électrique est équipé, en plus de sa batterie principale – souvent à 400 ou 800 volts –, d’une batterie secondaire basse tension destinée à alimenter les équipements auxiliaires (verrouillage centralisé, alarme, éclairage intérieur, vitres électriques…).
Historiquement, cette batterie secondaire est un accumulateur classique au plomb, qui présente certains atouts, notamment un coût réduit et une bonne résistance aux basses températures. Ces dernières années, quelques constructeurs, dont Tesla, ont toutefois opté pour des batteries secondaires au lithium, mais cette tendance est encore loin d’être généralisée.
Le marché de Campine ne paraît pas menacé à court ou moyen terme, a fortiori en tenant compte de la durée de vie moyenne d’un véhicule estimée à 18 ans et du fait que l’industrie automobile ne représente qu’environ la moitié du marché des batteries au plomb selon Avicenne Energy. Le reste est notamment utilisé dans l’industrie, par exemple pour les chariots élévateurs, ou dans des applications stationnaires telles que les télécommunications ou les énergies renouvelables.
Actionnaire de contrôle
Cependant, une évidence demeure : les efforts stratégiques de Campine ne lui permettront pas d’échapper aux cycles inhérents aux matières premières, en particulier le plomb et l’antimoine. Contrairement à Lotus Bakeries, il serait donc illusoire d’attendre une croissance soutenue et régulière des résultats.
Néanmoins, les excellents chiffres actuels offrent à Campine les moyens financiers nécessaires pour poursuivre son développement et sa diversification, qui pourrait l’amener au-delà des batteries au plomb et des additifs ignifuges. Le groupe conçoit en effet, depuis plusieurs années, une stratégie visant à devenir un acteur majeur du recyclage multimatériaux et de l’économie circulaire.
Les excellents chiffres actuels offrent à Campine les moyens financiers nécessaires pour poursuivre son développement et sa diversification.
À ce stade, la principale inconnue reste la volonté de l’actionnaire de contrôle, F.W. Hempel Metallurgical, qui détient 72% du capital de Campine. Au sein du groupe allemand, la société belge côtoie deux spécialistes du recyclage et du négoce de métaux et alliages divers. Pour les investisseurs et Euronext Bruxelles, le scénario idéal serait une poursuite dynamique du développement de Campine, accompagnée d’efforts pour améliorer la faible liquidité du titre.