La chronique du Dr Sales: Le client est toujours le héros de l’histoire

Depuis plus d’un siècle, l’expression “le client a toujours raison” rythme les interactions commerciales. Longtemps perçue comme une affirmation presque dogmatique, elle reflète une vérité bien plus profonde : en vente, l’enjeu n’est pas de déterminer qui a raison ou tort, mais de comprendre que nous ne sommes pas le héros de l’histoire. Le client, lui, l’est toujours. Et notre rôle est de l’accompagner dans sa quête, pas de l’affronter sur le terrain des arguments.
Notre société, et en particulier notre éducation occidentale, est structurée autour d’une vision binaire des choses. Depuis Aristote et son principe du tiers exclu (une proposition est soit vraie, soit fausse, sans alternative possible), nous avons appris à fonctionner en termes d’opposition : bien ou mal, vrai ou faux, gagnant ou perdant, bonnes et mauvaises réponses. Nous avons été récompensés pendant des années à chaque fois que nous avions raison. Ce conditionnement s’est infiltré dans notre système scolaire, dans nos débats sociétaux et, bien entendu, dans notre manière d’envisager la relation commerciale.
Le vendeur, ainsi formé à convaincre, est souvent piégé dans ce réflexe : prouver qu’il a raison. Chaque réfutation d’une objection client devient une victoire intellectuelle, chaque contre-argument un point marqué dans un match imaginaire. Pourtant, cette dynamique transforme la vente en joute plutôt qu’en collaboration. Le vendeur finit par être perçu comme un affreux donneur de leçons, quelqu’un qui cherche à imposer sa vision plutôt qu’à écouter. Et personne n’aime recevoir une leçon, encore moins de la part d’un vendeur.
Cette posture, bien souvent inconsciente, a des conséquences directes sur la relation commerciale. Plus le vendeur s’accroche à sa volonté de convaincre, plus il nourrit une opposition (principe de réactance). Le client, pris dans ce jeu de pouvoir, peut alors se braquer et résister davantage. Ce qui aurait pu être un dialogue constructif devient un bras de fer inutile, dont tous se plaignent, les vendeurs en premier. Posons-nous donc la bonne question : préférons-nous avoir raison ou vendre ?
L’idée que “le client a toujours raison” ne date pas d’hier. À une époque où le marché était régi par la loi du plus fort, l’acheteur était à la merci du vendeur. La maxime juridique romaine “caveat emptor” (que l’acheteur soit vigilant) dominait les échanges : toute transaction reposait sur la prudence du client, qui devait s’assurer de la véracité des promesses faites. Une fois l’argent passé de main en main, toute contestation était vaine.
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Respect et écoute
Il faudra attendre le début du 20e siècle pour que quelques précurseurs bouleversent cette vision de la vente. Parmi eux, Harry Gordon Selfridge, fondateur des célèbres grands magasins éponymes, considérait que pour établir une relation durable, le client devait toujours avoir le sentiment d’être respecté, écouté et privilégié. Il ne s’agissait plus de conclure une vente à tout prix, mais d’instaurer une expérience où l’acheteur revenait par plaisir et confiance.
Marshall Field, autre pionnier du commerce moderne, partageait cette philosophie. “Donnez à la dame ce qu’elle veut”, disait-il, résumant ainsi l’essence d’une approche centrée sur le service. Plus qu’un simple slogan, ce principe amorçait une révolution culturelle visant à faire du client un partenaire avec qui construire.
Cette transformation a radicalement changé la manière dont les entreprises abordent la relation commerciale. Au-delà de la vente d’un produit, il s’agissait de créer une expérience où l’acheteur ressent une valeur au-delà de l’acte d’achat. Une stratégie qui, plus tard, donnera naissance au concept de customer centricity, où toute l’organisation est pensée autour de la satisfaction du client.
Roi… dans son propre royaume
Rares sont ceux qui comprennent toute la portée de cette idée de “centricité”. Il ne s’agit plus d’obliger le client à nous rejoindre sur notre terrain, mais bien de s’inviter poliment sur le sien. Lui parler depuis ses perspectives, depuis son cadre de référence, avec une compréhension réelle de son univers. Accepter que la vérité commerciale n’est pas unique, mais multiple, et qu’elle se vit différemment selon l’acheteur.
Nous sommes tous le héros de notre propre récit. Chacun perçoit le monde depuis son prisme, ses expériences et ses enjeux. Dans l’immense majorité des cas, le client agit toujours dans son propre intérêt et selon sa perception du bien. Il n’est pas dans une logique de confrontation, mais dans une quête de solution qui fait sens pour lui. Son objectif n’est pas d’avoir raison contre le vendeur, juste de trouver ce qui lui convient le mieux.
Le client est donc toujours roi, non pas parce qu’il détient une vérité absolue, mais parce qu’en son royaume, lui seul décide ce qui a de la valeur. Dans cette optique, le vendeur ne doit pas chercher à être le héros du parcours d’achat, il doit devenir une ressource essentielle pour le héros qu’est le client, un allié discret mais fondamental, dépourvu de toute volonté de captiver l’attention, d’imposer son expertise ou de prendre le devant de la scène. C’est une posture totalement différente. Ni adversaire ni protagoniste central, le vendeur est un guide, un facilitateur, un partenaire de réflexion qui aide le client à faire les meilleurs choix pour lui-même. En ce sens, il ne doit pas chercher à être celui qui brille, mais celui qui éclaire.
Cela implique une approche radicalement différente de la vente. Trop souvent, les commerciaux tentent de faire rentrer leur client dans leur propre schéma, de lui imposer une vision de ce qu’il devrait vouloir, ou de lui expliquer pourquoi son raisonnement n’est pas optimal. En nous plaçant en position de corriger l’autre, nous créons inconsciemment une résistance. Personne n’aime être corrigé. Tout le monde veut être compris. Un vendeur efficace n’impose pas une expertise ou une vision, il aide le client à clarifier la sienne et facilite sa prise de décision.
Un des secrets les plus fondamentaux de la vente consiste à réussir à être plus heureux pour son client que pour soi-même.
Se détacher du besoin d’avoir raison
Le jour où un vendeur comprend qu’il ne doit plus chercher à avoir “raison” mais à faire avancer le client sur son propre chemin, il se libère d’un poids immense. La vente cesse d’être une performance à évaluer et devient un véritable acte d’accompagnement.
Carl Rogers, le célèbre thérapeute humaniste, promoteur de la congruence, disait à l’un de ses élèves : “Ôte-toi du chemin de guérison de ton patient.” L’idée est forte : lorsque l’ego du thérapeute interfère en voulant exister, se prouver, être validé ou reconnu, il ralentit en fait la progression de son patient plutôt que de l’aider. Parallèle saisissant : plus le vendeur cherche à être validé par son client, à prouver qu’il sait, plus il devient un obstacle. Il impose son univers au lieu de s’insérer dans celui de l’acheteur.
Un des secrets les plus fondamentaux de la vente consiste à réussir à être plus heureux pour son client que pour soi-même lorsqu’il se décide et avance dans sa propre quête. Alors je vous encourage à vous écarter du parcours d’achat de votre client en reprenant votre place à son coté, sur cette route, en regardant ensemble dans la même direction, vers le même objectif et en savourant la joie d’avoir raison avec lui, plutôt que contre lui !
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